21.11.2024
Journée des dupes à Caracas, sans Hugo Chavez
Tribune
10 janvier 2013
La via crucis médicale de Hugo Chavez, est un de ces rares évènements porteurs d’émotions planétaires. Le personnage reflète l’époque. Ses opinions intéressent très marginalement les grandes chaines de télévision. En revanche, elles le suivent à la trace, parce qu’il « assure » depuis plus de dix ans le spectacle politique. Les talents de bateleur et les écarts verbaux de ce chef d’Etat atypique ont fait le bonheur des infos à la mode twitter : Cinq unes par colonne, peu de mots, beaucoup d’intensité émotionnelle. Son calvaire a logiquement aiguisé l’intérêt des medias. L’absence de nouvelles fiables sur son état de santé a stimulé l’imaginaire. Envoyés spéciaux, informateurs divers, docteurs Folamours, ont eu donc sur décor vénézuélien pour fonction de forger les scénarios les plus saugrenus, afin d’entretenir l’indice d’écoute. Le présentisme, est une valeur médiatique mais aussi boursière et politique dominante dans notre monde globalisé et européanisé. Les nécessités de la compétition commerciale effacent la complexité du réel. L’absence du héros, annoncée le 8 janvier, par ses communicants les plus proches, a brutalement vidé de son intérêt un scénario étudié pour occuper au minimum les journées des 9 et 10. La presse potin, victime de cette fin en queue de poisson a mal digéré cette journée des dupes.
L’opposition vénézuélienne pensait elle aussi tenir le bon bout, enfin. Après son double échec électoral d’octobre et décembre 2012, le cancer présidentiel lui offrait, semblait-il, la divine surprise d’une session de rattrapage dés les premiers jours de 2013. Petit livre bleu de la Constitution bolivarienne en mains, agitée page 243, celle de l’article 233, elle annonçait l’empêchement du président, et donc la tenue de nouvelles élections en février. Jusqu’au dernier moment la fébrilité des gens du pouvoir en va et vient silencieux entre Caracas et la Havane lui a donné espoir. Hugo Chavez était bel et bien au plus mal. Ses amis politiques sans doute affolés se disputaient au pied du lit présidentiel les reliquats du château Miraflores (la Présidence vénézuélienne). Le bruit s’est donc fait de plus en plus insinuant concernant, « l’incapacité physique absolue du président », contraignant constitutionnellement « à de nouvelles élections, universelle, directe et secrète, dans les trente jours ».
Ce Miraflores de l’opposition était un château de cartes. Il est tombé sous les chiquenaudes des juristes du pouvoir. Après mûres réflexions entre Caracas et la Havane, Diosdado Cabello, président du parlement, et Nicolas Maduro, vice-président, ont à l’unisson signalé que seul l’article 231 de la Constitution répondait aux incertitudes du jour. « Le candidat élu », (..) si pour quelque motif (..) ne peut prendre possession devant l’Assemblée nationale, le fera devant le Tribunal supérieur de justice ». L’article 235, également évoqué, précise que ladite assemblée est seule habilitée à autoriser le chef de l’Etat à s’absenter du territoire national. Le 8 janvier dans la soirée le parlement vénézuélien a en vertu de cet article 235, « autorisé le président à prendre tout le temps qu’il nécessite », pour se rétablir, et revenir quand « le motif » l’ayant empêché d’être à Caracas le 10, ainsi que le stipule l’article 231, « aura disparu ». Majoritaire au parlement, le mouvement chaviste avait les moyens d’imposer sa lecture de la Constitution. Minoritaire l’opposition a avalé son chapeau. Au terme d’une journée des dupes elle a été priée de réviser sa copie, et de mesurer les conséquences constitutionnelles de ses échecs électoraux successifs.
Le chavisme a gagné la belle, après ses victoires d’octobre et décembre 2012. Le 10 janvier 2013, sans prêter serment le président élu va entamer un nouveau quinquennat depuis un lit d’hôpital en pays étranger. Le chavisme raflera-t-il le dix de der ? Il lui reste à croiser les doigts, brûler un cierge à la vierge del Valle , pour que la santé du chef lui permette d’assumer les responsabilités pour lesquelles il a été élu. Faute de quoi il lui faudra bien passer par la case 233 du jeu de l’oie institutionnel. Or l’opposition n’est pas nécessairement mise hors jeu par le report de l’échéance électorale. Touchée par sa double défaite présidentielle et régionale, elle est en phase de réajustement. Henrique Capriles son leader électoralement malheureux est resté durant cette crise d’une prudence de sioux, évitant de s’exposer institutionnellement, et ne faisant aucun commentaire relatif à la santé d’Hugo Chavez. Il a malgré tout signalé, le 8 au soir, au cours d’une conférence de presse, qu’il n’était candidat à rien pour l’instant. Déclaration faite au côté d’un dissident chaviste, gouverneur de l’Etat de Lara, Henri Falcón. Cette combinaison inattendue annonce peut-être un gauchissement de l’opposition. Il pourrait mordre sur le capital électoral chaviste, qui pourrait alors connaître aussi sa journée des dupes.
La complexité de l’évènement, les conséquences de la maladie d’un chef d’Etat assis sur d’énormes réserves pétrolières, n’a pas échappé aux chancelleries internationales. Elles ont bien compris la nature de l’enjeu posé par la maladie d’Hugo Chavez. Le Venezuela est l’un des pays détenteur des réserves de pétrole connues les plus importantes au monde. Pour éviter une journée des dupes internationaux, une sorte de conspiration du silence politique est la devise partagée par les Etats-Unis comme par certains voisins du Venezuela, les Européens et les Asiatiques. Il n’y a là aucun complot ourdi dans les caves de la Cia, comme le disent les porte-paroles gouvernementaux du Venezuela. Mais une simple appréciation de la réalité énergétique. La plupart de ces gouvernements étrangers ont assorti leurs silences politiques des meilleurs vœux adressés à Hugo Chavez dont ils souhaitent le prompt rétablissement. Un certain nombre de latino-américains, seuls, ont dépêché à Caracas des missi dominici , pour témoigner in persone de l’intérêt qu’ils portent « à la santé de Hugo Chavez.