ANALYSES

100 jours d’embargo du pétrole iranien. Etat des lieux, impact sur le marché et perspectives

Tribune
22 octobre 2012
Après 100 jours d’embargo, il est nécessaire d’analyser l’impact de ces mesures sur la production pétrolière ainsi que sur la situation domestique iranienne. Trois différents scénarios pétroliers sont ensuite identifiés en fonction des possibles développements du dossier iranien.

Evolution de la production et des exportations iraniennes

L’embargo européen et les sanctions financières américaines se sont avérés efficaces. La forte coordination entre les Etats-Unis et l’Union Européenne – par exemple autour des mesures de restriction sur le système de paiement et des assurances – a permis d’entraver de façon très efficace l’exercice du commerce avec l’Iran avec les pays tiers. La conséquence a été une baisse spectaculaire de la production et des exportations pétrolières iraniennes.
Selon les dernières données OPEP disponibles, la production iranienne au cours de l’été 2012 a été de l’ordre de 2.8 millions de barils/jour, par rapport à une production de 3.6 millions de barils/jour à l’automne 2011. Les exportations iraniennes de brut pour le mois de septembre ont baissé à moins d’1 millions de barils/jour environ (par rapport à un niveau de 2.2 millions de barils/jour en 2011). Ceci ne résulte pas seulement de l’embargo européen (rappelons qu’en 2011 avant le vote de l’embargo, l’Union Européenne importait 0.45 millions de barils/jour), mais aussi de la réduction du commerce avec d’autres acheteurs traditionnels comme le Japon, l’Afrique du Sud, l’Inde et la Chine.
La baisse de production de l’Iran a été compensée par un niveau de production de l’OPEP très élevé, supérieur à 31,5 millions de barils/jour (par rapport à un objectif officiel de 30). Cette hausse est le fait d’une production très élevée de l’Arabie Saoudite (proche des 10 millions de barils/jour), mais aussi de l’augmentation de la production de l’Irak qui a dépassé les 3.3 millions de barils/jour.

Evolution de la situation iranienne
Historiquement l’Iran tire 85 % de ses rentrées en devises des ventes d’hydrocarbures. La chute de la production et de l’exportation de pétrole a entrainé une dégradation du climat économique et social au sein de la République Islamique d’Iran.
Les conséquences économiques les plus visibles sont la hausse de l’inflation domestique (dont le taux officiel est de 23.5%) et l’effondrement de la devise iranienne – le rial. La dévaluation du rial contre le dollar a été de l’ordre de 40% pendant les dernières semaines, et de 60% depuis le début de l’année.
Cette dégradation brutale de la situation financière a avivé un mécontentement palpable au sein de la population et des manifestations – même violentes – ont eu lieu pour critiquer la mauvaise gestion de la situation par le pouvoir.
Les probables nouvelles sanctions internationales – notamment celles que l’Union Européenne vient d’adopter lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères le 15 octobre, interdisant entre autres l’importation de gaz iranien – devraient accentuer les difficultés domestiques du régime iranien.
Il est significatif que dans des déclarations récentes le président Ahmadinejad ait parlé de la « guerre économique » que les pays occidentaux mènent contre l’Iran et sur le besoin de mettre en place une économie de guerre.


Scénarios pétroliers

La progression du dossier iranien dans les prochains mois va influencer de façon significative l’équilibre du marché pétrolier. Nous avons identifié 3 scénarios pour la fin de l’année 2012.

Scénario de base : Statu quo
Soutien au prix du pétrole.
Notre scénario de base implique la poursuite des sanctions, sans pour autant qu’il y ait une rupture diplomatique complète entre l’Iran et les Occidentaux.
L’hypothèse la plus probable est à notre avis celle d’une confrontation prolongée, avec un Iran soumis à un régime de sanctions internationales de plus en plus dures, notamment sous l’impulsion d’Israël, des Etats-Unis et de l’Europe. Des mesures de contournement de l’embargo plus efficaces vont permettre au régime iranien de stabiliser ses exportations autour d’1 million de barils/jour. La livraison de 12 supertankers de fabrication chinoise d’ici au début 2013 devrait faciliter cette tâche, en permettant aux Iraniens d’assurer directement une partie de leurs exportations.

Même dans une situation de difficultés économiques croissantes, le régime de Téhéran devrait conserver le contrôle sur la scène politique intérieure. Un scénario qui rappelle l’Irak de Saddam Hussein pendant la période des accords « Oil for Food » dans les années 90.
Quelles conséquences sur le marché physique du pétrole ? Le maintien d’une production iranienne faible signifie que l’équilibre du marché reposera encore sur les capacités de production excédentaires de l’Arabie Saoudite. Ce scénario soutient le prix du pétrole car le faible niveau des capacités de production excédentaires effectivement mobilisables dans le court terme (que nous estimons à 1.7 – 2 millions de barils/jour) justifie une « prime de risque » supplémentaire dans la formation du prix du baril.

Scénario réaction iranienne
Hausse de court terme des prix du pétrole.
Il n’est pas à exclure que face à des difficultés économiques et sociales croissantes les durs du régime iranien arrivent à imposer une stratégie de réaction.
L’Iran pourrait par exemple décider de « reprendre la main », en décrétant un arrêt des exportations dans le but de déstabiliser l’économie des pays importateurs de pétrole. Ou pourrait menacer des actions de représailles « asymétriques » comme des attaques sur des infrastructures dans des pays du Moyen-Orient ou la fermeture du détroit d’Ormuz (par lequel transitent quotidiennement environ 16 mb de pétrole, soit près de 20% de la consommation quotidienne dans le monde).
Dans ces cas, la réaction du marché pétrolier pourrait être extrême, avec des hausses de court terme supérieures à 50 $/b.
Néanmoins la probable utilisation rapide des réserves stratégiques devrait freiner ce mouvement.

Scénario compromis nucléaire
Baisse limitée des prix du pétrole.
De façon symétrique à l’hypothèse précédente, il n’est pas impossible que finalement le régime iranien cède aux pressions internationales et accepte des négociations sur un arrêt effectif de son programme nucléaire.
Dans ce cas une baisse du pétrole devrait se manifester, du fait de la réduction de la « prime de risque » et du retour progressif des exportations d’Iran.
La magnitude de la baisse devrait néanmoins être limitée par la prévisible réduction de la production de l’Arabie Saoudite qui – fidèle à son rôle de stabilisateur du marché – devrait veiller à garder un équilibre physique et un niveau des prix autour de 100$/baril.
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