ANALYSES

De EADS à EADC

Tribune
13 septembre 2012
15 ans après la perspective de la constitution de cette EADC, elle pourrait donc devenir une réalité si les négociations du rapprochement d’EADS et Bae Systems, annoncées ce 12 septembre, vont à leur terme.

Toutefois, pour faire une métaphore avec l’ouvrage d’Alexandre Dumas 20 ans après, le paysage a bien changé depuis la déclaration commune de 1997, même si 15 ans seulement se sont écoulés et non 20.

La première différence vient du fait que ce sont les industriels qui sont aujourd’hui à l’origine du projet de fusion et non les Etats comme en 1998. Cela n’est pas anodin. Deux explications peuvent être données à ce changement. En premier lieu, nous étions, à la fin des années 90, en pleine construction de l’Europe de la défense et le projet d’EADC en constituait en quelque sorte le volet industriel. Aujourd’hui, l’Europe de la défense est en panne et la volonté du nouveau gouvernement français de relancer cette Europe de la défense ne produira certainement pas des effets immédiats. En second lieu, le pouvoir de contrôle des Etats sur les entreprises de défense est moins grand qu’il ne l’était il y a 15 ans. Les budgets de défense ne constituent plus un bras de levier suffisant pour influer sur la stratégie des entreprises. Chez EADS l’activité défense ne représente que 25% du chiffre d’affaires de l’entreprise ; chez Bae Systems l’activité sur le sol britannique représente à peine un tiers du chiffre d’affaires de l’entreprise. Ces deux entreprises sont devenues des acteurs mondiaux : l’un, EADS, plutôt spécialisé dans l’aéronautique civile, l’autre, Bae Systems, plutôt spécialisé dans les systèmes de défense.

Et, de fait, c’est bien la complémentarité des entreprises qui peut nourrir l’espoir d’un rapprochement entre les deux entreprises. EADS a vu sa part civile augmenter au fil des années. Cette croissance est à la fois le reflet du succès d’Airbus mais également de la difficulté de la division système de défense, aujourd’hui appelée Cassidian, d’EADS à exister. L’objectif initial d’une activité répartie 50/50 entre le civil et le militaire, et ce afin de compenser les baisses de marché cyclique dans l’aéronautique civile, n’a pu être atteint. Pour Bae Systems le problème est inverse : l’entreprise est un pure defence player . Mais Bae Systems souffre aujourd’hui d’être implanté dans des pays dont les marchés de défense sont déclinants. L’entreprise a vu son chiffre d’affaires baisser de plus de près de 3 milliards d’euros en 2011 du fait de la conjonction de la réduction des commandes britanniques et américaines.

La fusion aurait également d’autres effets potentiels bénéfiques pour les deux entreprises en faisant croitre les activités d’électronique de défense qui sont de taille sous critique dans les deux entreprises. Elle permettrait surtout de fusionner les capacités d’aéronautique militaire de Bae Systems et d’EADS qui sont aujourd’hui affectées par les échecs à l’exportation de l’Eurofighter. En tout état de cause, cela constituerait une préfiguration de la consolidation de l’aéronautique militaire en Europe.

Cette perspective de fusion peut-elle pour autant être la réponse aux défis du futur ? Il ne faut pas nier que certains écueils peuvent naître.

En premier lieu, les méga-fusions ne sont jamais des choses simples. 12 ans après sa constitution, EADS n’a toujours pas réussi son intégration complète même si des progrès ont été enregistrés. Les dysfonctionnements liés à la non intégration peuvent parfois être réels comme on a pu le voir avec les débuts difficiles des programmes A 380 et A 400M.

En second lieu, les synergies sont toujours difficiles dans le domaine de la défense du fait des spécificités nationales et des impératifs de sécurité. On voit plus souvent la juxtaposition de différentes entités plutôt qu’une rationalisation par leur intégration. L’intégration de ces deux grands ensembles sera un défi pour la future société. Cette intégration est en tout cas impossible avec les entités américaines de Bae Systems qui évoluent dans le secteur de l’armement terrestre, de l’électronique de défense et de la réparation navale et ce du fait de la législation américaine.

En ce qui concerne les aspects liés aux règles de concurrence, il est peu probable que la commission européenne trouve à redire sur cette fusion. D’une part, on constate que secteur par secteur les activités des deux entreprises sont plus complémentaires que concurrentes. En second lieu si la Direction concurrence de la Commission européenne aura bien à examiner cette fusion, la Direction entreprise de cette même Commission européenne verra d’un bon œil cette fusion alors qu’elle appelle de ses vœux la consolidation de l’industrie de défense.

Enfin, il restera à régler les problèmes de gouvernance. Pour Daimler et Lagardère, ce peut être l’occasion de se retirer de l’actionnariat de l’entreprise. Il faudra alors revoir le pacte d’actionnaire qui lie aujourd’hui l’Etat français, Lagardère, Daimler et la SEPI qui porte la participation publique espagnole dans l’entreprise. Ce peut être l’occasion de mettre en place une golden share qui recueillerait l’agrément des trois Etats. Il reste aussi à protéger les intérêts spécifiques de certains Etats. C’est le cas de la France avec les missiles de la dissuasion nucléaire qui sont protégés aujourd’hui par une convention spéciale dans EADS. Ce sera également le cas pour les Américains. Il sera certainement nécessaire de respecter les accords passés par les Britanniques et les Américains au moment où Bae Systems avait acheté United Defence Industries aux Etats-Unis. Les Etats-Unis demanderont également certainement à protéger les technologies qui font partie d’accords particuliers entre le gouvernement américain et le gouvernement britannique et qui sont exploitées par Bae Systems en Angleterre.

Toutes ces conditions ne sont pas aisées à remplir car elles demandent les accords de tous les Etats concernés mais elles ne sont pas impossibles à remplir.

Reste à apprécier la portée de cette possible fusion. Ce serait un pas en avant vers la consolidation de la base industrielle et technologique de défense européenne puisque sont impliquées les entreprises des trois pays européens qui disposent de la base industrielle et technologique de défense la plus importante en Europe et dont l’effort de défense est le plus grand.

Si l’initiative va jusqu’au bout, cela conduira les autres grands acteurs Thales et Finmeccanica à s’interroger sur leur devenir. Et naturellement cette perspective ne peut qu’interpeller Dassault, actionnaire de référence de Thales, qui verra deux de ses concurrents impliqués dans l’Eurofighter se regrouper et son partenaire sur les drones, Bae Systems, se lier avec l’acteur allemand dans ce secteur EADS Cassidian.
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