19.12.2024
La visite en France du président tunisien : une opportunité historique
Tribune
18 juillet 2012
La Tunisie, après les élections du 23 octobre 2011 et l’arrivée au pouvoir d’une coalition tripartite entre les islamistes d’Ennahdha, le Congrès pour la République, parti de centre-gauche du Président Mazrouki et les socio-démocrates d’Ettakatol, n’a pas tourné le dos à la France, loin de là. Ceci, malgré les errements de la diplomatie française avant la chute de la dictature et une politique de l’ancienne majorité de droite faisant de la suspicion vis-à-vis des étrangers son principal fond de commerce en nourrissant dangereusement une phobie croissante vis-à-vis de l’islam et des musulmans en particulier. La position d’attente adoptée par la Tunisie trouvera peut-être les réponses attendues dans la réorientation de la politique étrangère par la nouvelle majorité ? En effet, des signes avant-coureurs encourageants sont déjà apparus dès la prise de fonction du Président François Hollande comme la suppression de la circulaire Guéant restreignant les droits des étudiants étrangers. Ce symbole a son importance et crée un terrain favorable pour aller plus loin en mettant l’accent sur la véritable convergence d’intérêts entre la Tunisie et la France, autant sur le plan économique (qui englobe la question de l’immigration), culturel et stratégique.
A ce propos, rappelons-nous tout d’abord les vagues d’immigrés clandestins tunisiens arrivés en Europe par l’île italienne de Lampedusa avant de tenter de rejoindre un imaginaire « eldorado » français qui se sera, pour beaucoup, transformé en enfer. Où peut-on voir une convergence d’intérêts sur ce sujet entre une Europe de plus en plus réticente à accueillir des travailleurs étrangers et une rive sud de la Méditerranée en proie à un chômage croissant dont résulte ce mouvement désespéré vers l’Europe ? Et bien justement, la question centrale du développement des régions les plus déshéritées du Maghreb et de l’Afrique est peut être la clé de ce problème. Evidemment, il ne sera pas facile pour le Président Hollande et les dirigeants européens progressistes de convaincre la frange de leur opinion publique la plus perméable au discours d’extrême-droite qu’aider au développement de ces territoires étrangers est bien dans l’intérêt de la France dans le sens où la réussite de ce pari tarirait sans doute les sources de cette immigration illégale.
Par opposition à cette immigration illégale, l’immigration légale trouve également une place dans les accords bilatéraux franco-tunisiens, qui prévoient notamment la possibilité d’accueillir jusqu’à 9 000 tunisiens chaque année dans le cadre de l’immigration de travail et donc en dehors des cas de regroupement familial ou des étudiants. Mais qu’en est-il ? Le fait est que la France n’applique pas ces accords sans que la Tunisie n’ait demandé à ce que cela soit fait. N’est-il pas le moment de les mettre à profit en permettant que des Tunisiens puissent recevoir une formation qualifiante en France ou monter des projets de développement économique en Tunisie ou tournés vers la Tunisie ? Raison de plus pour mettre à plat cette question dans toute sa dimension.
Sur le plan culturel, l’arabe comme unique langue officielle ne saurait être contesté. Toutefois, il serait impardonnable de laisser mourir une relation ancienne basée sur des échanges constants, du fait de l’abandon partiel par la France, crise oblige, de ses outils de diffusion de la culture française dans les pays francophones, laissant ceux-ci se tourner vers d’autres cieux, notamment pour des étudiants préférant s’orienter vers d’autres pays francophones, voire anglophones, au vu des difficultés rencontrées pour venir et se maintenir en France ? Il est incontestable que la France est, depuis des années, en train de perdre la bataille culturelle au niveau mondial et c’est là aussi un nouveau défi à relever pour le Président Hollande.
Enfin, sur le plan stratégique, la Tunisie et la France sont sans doute, pour toutes les raisons évoquées, les deux pays se trouvant au carrefour de l’Europe, du Maghreb et de l’Afrique, voire même du monde arabe et de l’Occident. Des gestes forts dépassant le seul cadre franco-tunisien et euro-méditerranéen peuvent en effet contribuer au resserrement des relations tel que l’instauration d’un nouveau rapport d’égal à égal entre la France et les Etats d’Afrique et du Moyen Orient ou encore la reconnaissance de l’Etat palestinien par la France, comme annoncée par le Président Hollande et confirmée par M. Laurent Fabius, son ministre des Affaires étrangères. Des gestes comme ceux-là contribueraient, à coup sûr, à écarter la suspicion existant de part et d’autre et à donner à la France une position privilégiée au sein du monde arabe et de l’Afrique. Et son rôle au sein de l’ensemble européen et occidental n’en serait que renforcé. A partir de là, de nouvelles perspectives deviendraient peut être envisageables en terme d’accords de coopération de défense, mais dans le plus strict respect de la souveraineté des Etats, pour aider les Etats maghrébins et africains à maintenir leur sécurité intérieure face à la présence de groupes terroristes. Là aussi, la France et l’Europe ont intérêt à ce que la sécurité intérieure de ces pays soit assurée du seul fait que ceux-ci se trouvent à la porte de l’Europe. Mais ces perspectives ne seront rendues possibles qu’avec le retour de la confiance.
Les nouveaux Président français et tunisien ont donc aujourd’hui face à eux une occasion historique à ne pas manquer.