ANALYSES

L’Union pour la Méditerranée : le « boulet diplomatique » de Nicolas Sarkozy

Tribune
23 avril 2012
L’UPM paie ses pêchés originels. Le manque de préparation et de concertation préalable autour d’un projet franco-français a entraîné une levée de bouclier des Européens en général et des Allemands en particulier. L’initiative française fut perçue comme une sorte de contre offensive face à la « Mitteleuropa » érigée progressivement par l’Allemagne avec le soutien des pays d’Europe centrale et orientale. Suite à un véritable recadrage par Berlin puis Bruxelles, l’Union méditerranéenne version française a laissé place à une Union pour la Méditerranée (UPM) incluant dans le partenariat l’ensemble des États membres de l’Union européenne…
Pis, l’initiative française avait manifestement sous-estimé les différends interétatiques qui continuent d’animer la rive sud de la Méditerranée : le conflit israëlo-arabe a été ravivé par l’opération militaire de Tsahal dans la bande de Gaza, le cas du Sahara place les relations entre le Maroc et l’Algérie sous tension continue, … Ensuite, la création de l’UPM coïncide avec l’entrée du vieux continent dans une grave crise économique et financière. Une crise qui – dans un monde globalisé – n’épargne pas la rive sud de la Méditerranée, loin s’en faut. Enfin, et surtout, la puissance de l’onde de choc des soulèvements populaires qui traversent le monde arabe a donné le coup de grâce. Faut-il le rappeler, Nicolas Sarkozy s’était appuyé sur les chefs d’Etats égyptien et tunisien – connus pour leur autoritarisme – pour légitimer sa propre initiative. Désormais déchus, les présidents Ben Ali et Moubarak avaient activement soutenu la création de l’UPM. Bachar Al Assad avait lui-même été convié à l’Elysée pour le Sommet de Paris, conformément à la volonté affichée de Nicolas Sarkozy de réhabiliter le régime syrien sur la scène internationale… Face à la nouvelle donne régionale et l’aspiration démocratique des peuples du Sud de la Méditerranée, les chefs d’Etat et de gouvernement européens – dont la plupart étaient déjà peu enthousiastes – sont réticents à l’idée de s’afficher aux côtés des dictateurs encore en place. Le report sine die du second sommet de l’UPM témoigne d’un enlisement institutionnel et politique. Non seulement la créature de l’Elysée n’est plus la chose de la France, mais elle se trouve – plus que jamais – reléguée au second plan par les Européens et par les Arabes eux-mêmes, perplexes face à cette coquille vide. L’activisme diplomatique du président de la République tunisienne en vue de relancer l’Union du Maghreb Arabe atteste du déficit de crédibilité de l’UPM.
Si aucun Etat membre de l’UPM n’a officiellement demandé à s’en retiré, « elle est aujourd’hui en panne de fonctionnement », de l’aveu même d’Henri Guaino, conseiller spécial de Nicolas Sarkozy et inspirateur du projet. La nécessité de repenser la coopération entre le Nord et le Sud du bassin méditerranéen suppose une refonte de l’UPM en faveur d’un projet intégrateur fondé notamment sur une dimension politique assumée. Au départ, l’organisation devait dépasser les partenariats euro-méditerranéens jusque là expérimentés, en insufflant une impulsion nouvelle au « processus de Barcelone ». Il s’agissait de renforcer les liens entre les pays riverains de la Méditerranée et de faire de cette aire géographique et culturelle un espace de coopération et de solidarité. La démarche se voulait « pragmatique », se concentrant sur six projets à vocation purement technique(3). En dépit de cette démarche prudentielle, le bilan demeure famélique. Les peuples de la Méditerranée peuvent en témoigner…
Certes, il convient d’éviter tout discours teinté de néocolonialisme et animé par une quelconque « mission civilisatrice » de l’Europe (ou des Etats-Unis : faut-il rappeler le projet de Grand Moyen-Orient imaginé par les néo-conservateurs ?). Il n’empêche, une démarche d’intégration méditerranéenne doit s’inscrire – aujourd’hui plus que jamais – dans le sens des aspirations démocratiques des peuples arabes. La responsabilité historique de l’Europe consiste ici à accompagner l’ aggiornamento politique qui se joue sur la rive sud. Ce rôle suppose des moyens et des financements significatifs, alimentés, pourquoi pas, par une Banque euro-méditerranéenne.
Les insuffisances structurelles et l’ambiguïté des objectifs de l’UPM interrogent sa propre raison d’être. Toutefois, l’acte de décès du projet originel peut être l’acte fondateur d’une Union repensée. Cette perspective suppose de se départir des obsessions sécuritaire et migratoire en faveur d’un authentique projet d’intégration au sein d’un espace euro-méditerranéen – comptant quelques 400 millions d’individus – dont les peuples sont plus qu’ailleurs liés par une communauté de destin.

(1) Soit les vingt sept États membres de l’Union européenne, les douze États membres du Partenariat Euro-Méditerranéen et quatre autres États hors Union européenne (Bosnie-Herzégovine, Croatie, Monténégro, Monaco) également riverains de la Méditerranée.
(2) La co-présidence Nord de l’UPM est assurée par l’UE depuis le 1er mars dernier.
(3) Dépollution de la Méditerranée, autoroutes de la mer et autoroutes terrestres ; protection civile ; plan solaire méditerranéen ; enseignement supérieur et recherche, université euro-méditerranéenne ; initiative méditerranéenne de développement des entreprises.
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