20.12.2024
UE : crime organisé et citoyenneté
Tribune
16 décembre 2011
La citoyenneté européenne est une invention assez récente. Le concept a été créé par le traité de Maastricht, entré en vigueur en 1993. Il est écrit dans son préambule que les Etats membres de l’Union européenne sont « Résolus à établir une citoyenneté commune aux ressortissants de leurs pays ». Le traité de Maastricht mentionne notamment le droit des citoyens de faire pétition devant le Parlement, le droit de vote et d’éligibilité aux élections pour le Parlement européen et aux élections municipales. Auxquels il faut ajouter la possibilité de recourir au médiateur et la protection diplomatique et consulaire.
Le traité de Lisbonne, mis en œuvre depuis 2009, précise certains paramètres de la citoyenneté européenne. Le Traité sur l’Union européenne la redéfinit aux articles 9, 10 et 11. L’article 10 précise ainsi que, « Le fonctionnement de l’Union est fondé sur la démocratie représentative. Les citoyens sont directement représentés au niveau de l’Union, au Parlement européen ».
Le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aborde la citoyenneté européenne aux articles 15, 20 à 24, 170, 227 et 228. L’article 24 ouvre notamment la possibilité d’une Initiative citoyenne.
Bref, les citoyens européens ont tout pour être heureux, du moins à la lecture des traités.
En dépit de ces garanties, force est pourtant de constater que la citoyenneté européenne se porte assez mal. En effet, depuis 1979, date de la première élection pour le Parlement européen, la participation électorale ne cesse de baisser. Or, il s’agit d’un élément clé de la citoyenneté.
De 1979 à 2009, sans exception, les sept scrutins pour le Parlement européen se caractérisent par une baisse de la participation, donc une augmentation de l’abstention. Cette dernière s’élève progressivement de 38,01% des inscrits en 1979 à 56,92% en 2009.
Face à de tels chiffres, les déclarations volontaristes sur la citoyenneté européenne font pâle figure.
Les mafias sous l’angle de leur emprise sur le pouvoir par le biais de la corruption
La corruption peut se définir comme l’abus d’une charge publique à des fins d’enrichissement personnel. En voici trois exemples : la corruption d’agents publics, les pots-de-vin dans le cadre de marchés publics et le détournement des fonds publics. Ces pratiques sapent la concurrence et mais aussi les fondements de la citoyenneté et de la démocratie. En effet, la valeur du vote change considérablement si l’électeur ne peut pas avoir toute confiance dans l’élu, par exemple au Parlement européen.
Les mafias ont les moyens et tout intérêt à utiliser les opportunités de la corruption, chacun le sait ici. Elles peuvent « s’offrir un élu » en soutenant sa campagne pour ensuite avoir une emprise sur lui et les ressources politiques et financières à sa disposition. Ce qui permet aux mafias d’exercer une partie du pouvoir, dans l’ombre, c’est-à-dire de manière à la fois protégée et efficace. Notons que la crise économique et sociale multiplie les opportunités pour les réseaux criminels, notamment en matière de prise de contrôle d’entreprises fragilisées.
Que nous apprend l’étude de la corruption à l’échelle de l’Union européenne ? Une étude transversale de l’Indice de perceptions de la corruption réalisée par l’Organisation non gouvernementale Transparency International est riche d’enseignement. Dans un souci de cohérence des données, sont utilisés les indices de l’année de l’élection du Parlement européen, soit 2009.
Les indices de perception de la corruption dans les pays de l’Union européenne présentent alors globalement deux gradients, nord-sud et ouest-est. En effet, les pays d’Europe du Nord (ex. : Finlande, Suède, Danemark) sont généralement moins corrompus que ceux d’Europe du Sud (Italie, Grèce). Par ailleurs, les pays d’Europe de l’Ouest – mis à part le Portugal et l’Italie – sont généralement moins corrompus que ceux situés à l’Est de l’ex-Rideau de fer. L’Estonie fait exception. Se distingue une « verticale orientale de la corruption » dont les éléments sont, du Nord au Sud : Roumanie, Bulgarie et Grèce.
Le groupe des 13 pays membres de l’UE les moins bien classés en matière de corruption compte 9 nouveaux États membres sur les 12 entrés en 2004 ou 2007 : Bulgarie et Roumanie (3,8 sur 10) ; Lettonie et Slovaquie (4,5) ; Lituanie et République tchèque (4,9) ; Pologne (5, soit la moyenne mondiale) ; Hongrie (5,1) ; Malte (5,2). On note que la participation à été particulièrement faible aux élections pour le Parlement européen en Bulgarie et en Roumanie, les deux pays les plus corrompus de l’UE.
Force est de constater qu’on trouve aussi dans ce groupe des pays les moins bien classés en matière de corruption des pays entrés depuis longtemps dans l’Union européenne, voire fondateurs : Grèce (3,8 sur 10) ; Italie (4,3). Ces deux pays ont en 2009 une participation aux élections supérieure à la moyenne de l’UE, mais l’image de la classe politique n’y est pas très favorable. C’est le moins qu’on puisse dire.
La lutte contre les mafias peut contribuer à donner du sens à la citoyenneté européenne
Loin de moi l’idée d’affirmer qu’il existe une corrélation mécanique entre faible participation aux élections pour le Parlement européen et corruption. Il existe des exemples qui le laissent à penser, d’autres qui semblent indiquer le contraire.
En revanche, nous pouvons avancer deux idées fortes.
Première idée : la lutte contre les mafias est un enjeu urgent parce que les pays les plus corrompus – où elles sont souvent présentes – sont généralement ceux qui reçoivent le plus de fonds communautaires. Pourquoi ? Parce qu’ils sont aussi les plus pauvres et que les fonds de la politique régionale sont attribués aux régions dont le Produit intérieur brut par habitant en standard de pouvoir d’achat reste inférieur à 75% de la moyenne de l’UE. Or les moyens budgétaires de l’Union européenne sont finalement assez réduits, puisque son budget avoisine 1% de la richesse produite dans l’UE. Jamais l’Union européenne n’a été aussi hétérogène que depuis les élargissements récents, jamais les budgets des Etats ne se sont trouvés soumis à des pressions aussi importantes que depuis la crise de 2008. Autrement dit, il est vital que les fonds communautaires qui constituent le deuxième poste du budget européen, soient utilisés de manière optimale, c’est-à-dire dans l’intérêt général et non pas détourné via la corruption par des réseaux criminels. Cela limiterait les effets délétères de l’hétérogénéité économique.
Deuxième idée : la lutte contre les mafias peut participer à légitimer la construction européenne. En effet, toutes les enquêtes d’opinions démontrent que les citoyens européens attendent une protection de l’Union européenne. Celle-ci est souvent accusée – à tort ou à raison – de ne pas avoir suffisamment protégé les Européens de la mondialisation. Si les institutions européennes arrivaient à prouver leur efficacité dans la lutte contre les mafias et la corruption, alors ces institutions prendraient une envergure nouvelle aux yeux des citoyens. Ce qui renforcerait la citoyenneté européenne. Le renforcement de la citoyenneté européenne consoliderait la démocratie, une valeur centrale de la construction européenne. Notons qu’il faut attendre juin 2011 – soit 4 ans après l’entrée de la Roumanie et de la Bulgarie – pour que la Commission européenne annonce le lancement d’une évaluation de la corruption dans tous les Etats membres de l’Union européenne… en 2013.
Alors dans ce contexte, oui, la lutte contre les mafias peut contribuer à donner du sens à la citoyenneté européenne. Alors que la crise multiplie les opportunités pour la criminalité organisée, il importe que les institutions européennes se saisissent au plus vite de ce sujet.
Ce texte a été préparé pour l’allocution de Pierre Verluise au colloque de la Fondation antimafia Antonino Caponnetto, « L’Europe est-elle colonisée par les mafias ? », Florence (Italie), le 19 novembre 2011. Le site de la Fondation Antonino Caponnetto http://www.antoninocaponnetto.it/