ANALYSES

Espagne, 20 novembre 2011, une élection sans enjeux intérieurs et extérieurs ?

Tribune
24 octobre 2011
Plus structurelle que conjoncturelle la crise dont souffre l’Espagne depuis 2008 a en effet redistribué bien des cartes. La donne intérieure est profondément affectée par un taux de croissance désespérément plat. Contraint à l’austérité, le gouvernement en place a réduit la voilure. Les salaires des fonctionnaires et les investissements publics ont été revus à la baisse. Les prélèvements ont été réajustés à la hausse. La consommation intérieure s’enfonce dans la morosité. Seul le chômage reste dynamique et frise désormais les 21% de la population active. La nouvelle équipe choisie par les électeurs quelle qu’elle soit aura peu de réponses et d’espérances à leur offrir. Quant à l’influence extérieure de l’Espagne, déjà bousculée par les politiques différentes des socialistes et populaires qui alternent au pouvoir depuis 1996, elle est elle aussi depuis trois ans sens dessus dessous. L’Espagne interpelle pourtant toujours autant le monde. Mais ce n’est plus celle de la movida et du Cambio , qui a perdu beaucoup de ses plumes. C’est l’Espagne des Indignados .

Les incidences intérieures de cette crise sont les plus immédiates. Le calendrier électoral a été avancé par un gouvernement pressé par la dette extérieure et la crise sociale. Une double alternance se prépare le 20 novembre prochain. A Madrid celle du parti populaire, au Pays basque celle des partis nationalistes. Alors que dans la rue grondent les Indignés , jeunes et moins jeunes, en attente de travail, déçus par la majorité au pouvoir. Le retour du balancier vers la droite laisse pourtant augurer des lendemains difficiles. Difficiles d’abord pour les Espagnols qui vont devoir ajouter quelques crans supplémentaires à leur ceinture. Les plans d’austérité budgétaire mis en place dans les régions gagnées ces derniers mois par le Parti populaire et en Catalogne par Convergence et Union laissent entrevoir pour les lendemains du 20 novembre une soupe à la grimace pour la population. Difficiles tout autant pour les vainqueurs de la consultation, le PP, qui aura à gérer un mécontentement pérenne indifférent à l’alternance.

Les conséquences extérieures de la crise sont elles aussi déjà perceptibles. Elles sont pareillement extérieures à la votation du 20 Novembre. Le jeu des chaises musicales à la tête de l’Etat avait en 1996 comme en 2004 réorienté la politique étrangère. Les périodes PSOE étaient attentives au monde méditerranéen et latino-américain et plus européennes. Les gouvernements du Parti Populaire se voulaient atlantistes et proches des Etats-Unis. Mais, depuis 2008, la crise a provoqué des bouleversements d’une telle ampleur qu’elle affecte le dernier changement de cap diplomatique opéré avec les socialistes en 2004. L’Espagne aujourd’hui moins riche qu’hier, n’a plus les mêmes moyens d’intervention hors de ses frontières. L’Espagne hier bruissante d’initiatives est contrainte de solliciter des amitiés ou des indulgences extérieures. L’Espagne convoquait le monde à Madrid pour parler Proche-Orient ou Amérique latine. Aujourd’hui en crise, elle mobilise à temps plein ses dirigeants, qui ont réduit leurs agendas internationaux.

Europe, Amérique latine, Etats-Unis, Méditerranée restent bien comme hier avant la crise les pôles référentiels. Mais l’assurance de l’Espagne et ses ambitions diplomatiques ont été dégradées par les agences de notation. En 2007, l’Espagne revendiquait au nom de sa bonne gestion, et de sa forte croissance, une place de faveur à Bruxelles. Le 7 septembre 2011, pressé par les échéances de la dette, le gouvernement espagnol a introduit comme le souhaitait la chancellerie allemande la règle de l’équilibre budgétaire dans sa Constitution. Quant à la présence de Madrid en Amérique latine, elle n’est plus en 2011 ce qu’elle était. Déjà le 10 novembre 2007, le sommet ibéro-américain de Santiago du Chili avait été altéré par un échange polémique inhabituel en ces lieux entre le Roi d’Espagne et le président vénézuélien. Depuis ces rendez-vous traditionnels de l’influence espagnole sont boudés par un nombre croissant de chefs de gouvernement. Y compris l’Espagnol qui n’a pas été en mesure d’assister à celui de décembre 2010 en Argentine. L’attitude « gaullienne » adoptée le 12 octobre 2003 par José Luis Rodriguez Zapatero, alors secrétaire général du PSOE, resté assis au passage du drapeau des Etats-Unis lors d’un défilé militaire avait été renforcée après la victoire d’avril 2004. José Luis Rodriguez Zapatero, président de gouvernement avait ordonné le retrait des troupes espagnoles déployées sous commandement nord-américain en Irak par son prédécesseur de droite. Pourtant l’Espagne ces derniers mois a oublié cette page. Elle tourne désormais les yeux vers l’Ouest, vers Washington. Elle a participé à l’opération de l’OTAN en Libye. Et le 5 octobre 2011 au siège bruxellois de l’OTAN son chef de gouvernement a annoncé la participation espagnole à la défense anti-missile des Etats-Unis. Dans l’une des rares explications données à cette décision qui rompt avec les grandes lignes défendues jusque-là par la diplomatie espagnole conduite par les socialistes, est avancée la perspective de retombées financières. 1200 militaires des Etats-Unis vont en effet être déployés à Rota au Sud de l’Espagne, région particulièrement affectée par le chômage. L’Espagne, en crise, retrouve ainsi paradoxalement l’un des fondamentaux de la diplomatie franquiste qui en 1953 avait cherché en signant un accord de défense bilatéral avec Washington une bouée de secours à ses problèmes.

La crise enfin a mécaniquement érodé un certain nombre d’instruments d’influence. Le ministère de la défense a annoncé qu’il n’était plus budgétairement en condition de poursuivre sa politique de modernisation. Seraient dans le collimateur, 12 chasseurs Eurofighters, un nombre indéfini d’hélicoptères NH-90, 50 chars Leopard, 175 véhicules blindés, et la participation à la construction par EADS d’un avion sans pilote, le Talarion. Les multinationales espagnoles très offensives ces dix dernières années commencent à vendre par appartements un certain nombre d’actifs. Après avoir cédé une part importante de ses avoirs en Argentine et au Brésil, Repsol, le pétrolier espagnol est contraint d’accepter l’entrée de son concurrent mexicain Pemex dans son capital. Agbar, les eaux de Barcelone a cédé sa filiale britannique British Waters à un fonds canadien, Capstone Infrastructure Corporation.

Les faits sont têtus aujourd’hui comme en 1917. Et ils se marient assez mal avec la vie démocratique. L’Espagne, après la Grèce, et avec l’Europe vérifie le commentaire des experts, qui prédisent pour demain une démocratie de l’impuissance qui pourrait si elle venait à se perpétuer nourrir l’abstention et l’indignation.(1)

(1) Jean-Paul Fitoussi, La politique de l’impuissance, paris, Arlea, 2004/Céline Braconnier, Jean-Yves Dormagen, La démocratie de l’abstention, Paris, Folio-actuel, n°129, 2007
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