ANALYSES

Le veto américain contre la reconnaissance d’un État palestinien : une faute historique et politique grave ?

Tribune
22 septembre 2011
Par Morgan Vasner, assistant de recherche à l’IRIS
En écoutant une telle déclaration et à la lumière des intérêts de la politique américaine, on ne peut qu’être perplexe sur le calcul stratégique qui pousserait le président américain à mettre sa menace à exécution. Plusieurs éléments nous conduisent en effet à nous interroger sur une telle décision.

Tout d’abord parce qu’après les huit années au pouvoir de George W. Bush, le capital sympathie des États-Unis a été sévèrement et durablement entamé, particulièrement dans le monde arabo-musulman. Mais si les guerres d’Irak et d’Afghanistan sont certes imputables aux mandats du dernier président républicain, le soutien inconditionnel des États-Unis envers Israël est un consensus largement partagé au sein de la classe politique américaine, et ce au moins depuis les années 60. Et il est indéniable que ce soutien tient une place de premier plan dans le classement des griefs qui sont tenus à l’égard de la politique étrangère américaine à travers le monde.

Obama qui lors de son discours devant l’université du Caire le 4 juin 2009, avait déclaré que « l’Amérique ne tournera pas le dos à l’aspiration légitime du peuple palestinien à la dignité, aux chances de réussir et à un État à lui »(1), a su créer autour de sa personne un espoir et un enthousiasme largement partagés à travers le monde, et qui lui valurent un prix Nobel de la paix. Lui qui annonçait au début de son mandat des changements tangibles de la politique américaine sur la question israélo-palestinienne, opposerait alors son veto à une résolution qui, aux yeux de presque toute la communauté internationale (à l’exception des pays occidentaux), ramènerait un peu plus de justice et d’équilibre à l’un des problèmes politiques les plus graves et les plus inextricables des relations internationales. Le président Obama si populaire, soutiendrait ainsi le gouvernement israélien actuel qui s’est montré particulièrement imperméable à la négociation et au compromis, et qui a su résister aux pressions américaines sur le gel des colonies en Cisjordanie. L’intransigeance du gouvernement Netanyahou continue aujourd’hui d’isoler toujours plus Israël sur la scène internationale. Le récent saccage de l’ambassade israélienne du Caire donne une idée de l’évolution toujours plus négative de l’image d’Israël auprès des populations du monde arabe. Que cette résolution soit juste ou non sur le plan moral importe peu. Elle est perçue comme telle, et soutenue par la majeure partie de l’opinion publique internationale.

Opposer un veto à cette résolution serait à coup sûr catastrophique pour l’image des États-Unis dans le monde, alors qu’Obama semble avoir à peine réparé les dégâts causés par l’ère Bush. Bien sûr Washington, dans le cadre de sa politique consistant à consolider son influence mise à mal au Moyen-Orient, rejette cette initiative aussi parce qu’elle n’est pas de son fait (cela a souvent été le cas, notamment durant les années 60/70 où les États-Unis et l’URSS se disputaient l’influence au Moyen-Orient par le biais de leurs initiatives dans les guerres israélo-arabes). Mais s’opposer à une telle avancée sur une question qui depuis plus de 50 ans focalise l’attention de la communauté internationale, et cristallise les passions et les incompréhensions à travers le monde, causerait d’irréparables dommages à la perception que le reste du monde se fait des États-Unis, et aux intérêts américains dans la région. Washington partagerait un peu plus l’isolement de son allié israélien, et tandis qu’il était vu auparavant comme le seul acteur assez influent pour œuvrer efficacement en faveur de la paix au Proche-Orient, il serait désormais celui qui en constitue le principal obstacle. La question israélo-palestinienne tendrait progressivement vers un cadre d’opposition Nord-Sud ou Ouest-Sud. Afin d’éviter les écueils sur le choc des civilisations, et la montée de l’anti-occidentalisme à travers le monde, tous deux en partie fondés sur le thème de « l’Occident dominateur et néo-colonialiste », les États-Unis (et les Européens également) seraient bien inspirés de ne pas s’opposer à une résolution qui suscite une telle adhésion au sein de la communauté internationale, voire de la soutenir.

Un veto serait par ailleurs un mauvais message envoyé aux populations dont les opinions sont déjà sensibles aux discours des fondamentalistes, pour qui la question de la Palestine constitue l’un des fondements de leur doctrine extrémiste, avec la maîtrise des médias qu’on leur connaît. Ce serait aussi un mauvais message envoyé aux Palestiniens tant de Cisjordanie que de Gaza, les uns désavoués dans leur volonté d’employer les voies de la politique et de la négociation, les autres gouvernés par un Hamas qui serait conforté dans sa rhétorique du rejet d’Israël, et de la violence comme seule solution pour mettre fin aux souffrances des Palestiniens et d’accéder à un État propre.

Jusqu’où l’Amérique peut-elle aller dans son soutien à l’État hébreu ? Très loin incontestablement. Mais ce « Très loin » n’a-t-il pas déjà été atteint ? Combien de temps encore les États-Unis pourront-ils se permettre d’ignorer une bonne partie de la communauté internationale, au nom du soutien à Israël ?

On ne peut bien entendu, mettre de côté la puissante influence du lobby pro-israélien sur la politique américaine, ni le fait que n’importe quel président des États-Unis qui souhaite être réélu doit compter avec cette force politique. Obama y songe certainement dans la perspective de 2012. Mais le temps de la démocratie qui fait alterner tous les 4 ans les chefs d’États américains, ne doit pas les contraindre d’y sacrifier toute vision politique sur le long terme. Soyons clairs : la reconnaissance de l’État palestinien par l’ensemble de la communauté internationale, y compris par Washington, serait incontestablement une défaite politique majeure pour Israël et les milieux favorables à l’État hébreu aux États-Unis. La brouille entre Américains et Israéliens serait durable et ressentie comme une trahison en Israël. Mais elle ne mettrait pas fin à l’inter-dépendance qui lie l’État hébreu aux États-Unis, et ne signerait en aucun cas la fin de l’État d’Israël qui a dans un avenir proche, bien plus à craindre pour sa sécurité d’autres voisins qu’un État palestinien, et sur qui la convergence de points vues stratégiques entre Washington et Tel-Aviv ne saurait être remise en cause par ce bouleversement.

Finalement la véritable question d’un vote américain en faveur du projet de résolution de l’Autorité palestinienne au Conseil de Sécurité, peut-être posée non pas selon la formule « Qu’y gagnerons-nous ? » mais plutôt « Que n’y perdrons-nous pas ? ».

Si cette résolution finit par être portée devant le Conseil de sécurité, chaque chef d’État des pays qui y siégeront portera sur ses épaules une lourde responsabilité historique, en premier lieu desquels Barack Obama.

(1) http://elections-americaines.lesechos.fr/elections-americaines-barack-obama/le-discours-en-francais-de-barack-obama-au-caire-a2784.html
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