12.11.2024
L’accord franco-britannique sur les drones : un pas en avant pour la coopération en matière d’armement ou la mort de l’Europe de la défense ?
Tribune
22 juillet 2011
Aujourd’hui, les Britanniques sont isolés dans leur refus de créer un QG européen, et la politique de leur premier ministre, David Cameron, rappellera aux connaisseurs celle que pratiquaient ses prédécesseurs, Margaret Thatcher puis John Major, au début des années 1990, quand ceux-ci soutenaient l’UEO contre l’Union européenne, essayant de torpiller l’initiative franco-allemande qui allait donner naissance à la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) ainsi qu’à la politique étrangère de sécurité et de défense (PESD), par le traité de Maastricht. Sur ce point précis, il faut aussi ajouter que notre retour dans le commandement militaire intégré de l’OTAN n’aura décidément eu aucun effet positif sur le développement de l’Europe de la défense.
Face à cet immobilisme britannique, la France a essayé de construire une coalition dans le format « triangle de Weimar » pour relancer la politique européenne de sécurité et de défense (PeSCD). En soit, l’initiative est louable. Ce qui devient moins compréhensible, c’est que, dans le même temps, nous déclinons l’offre polonaise faite au mois de juillet de relancer la coopération structurée permanente, et que trois jours après avoir subi l’affront Britannique sur le QG européen, nous rendions publique la perspective d’un accord de coopération industrielle franco-britannique sur les drones, dont l’effet premier est d’écarter le partenaire allemand ainsi que d’autres pays européens. Ajoutons à ceci que le 13 juillet 2011, la France a organisé à Paris, dans le format « triangle de Weimar », un séminaire sur le pooling and sharing pour faire comprendre une semaine plus tard à nos partenaires allemands et polonais que le pooling and sharing se ferait avec les Britanniques et non avec eux ! Force est donc de constater que cette politique manque pour le moins de cohérence.
Sur le fond, l’accord franco-britannique sur les drones pose également problème. La perspective de cette coopération est assurément un progrès, étant donné que le dossier n’avait pas progressé depuis dix ans, quand sa lacune capacitaire avait été identifiée au niveau de l’Union européenne. Une coopération bilatérale, en période de contrainte budgétaire, est toujours plus intéressante qu’un programme national. Mais avec des budgets de défense qui baissent en moyenne de près de 10% en Europe, crise économique oblige, l’heure n’est plus à se demander avec qui il faut construire l’Europe de la défense. Nous avons besoin de tous, et le pooling and sharing doit aujourd’hui autant être une question industrielle qu’une question capacitaire. Penser que nous pouvons nous permettre deux programmes européens de drones, que nous pouvons couper l’Europe en deux, voire plus, sur le seul programme en coopération susceptible d’aboutir depuis dix ans est une erreur. Nous connaissons la recette des bons programmes de coopération, et il faut battre en brèche le dogme selon lequel les programmes regroupant plus de deux Etats sont un échec 3 . On parle aujourd’hui beaucoup de l’échec supposé du programme A 400 M, qui regroupe sept pays, et peu de la réussite réelle du programme de missile air-air Meteor, qui en regroupe six. Un programme de coopération réussi est un programme au sein duquel les besoins opérationnels sont communs, au sein duquel la structure de maîtrise d’œuvre du programme est efficiente. Un programme de coopération réussi est un programme qui doit déboucher sur des alliances structurelles entre les industriels impliqués dans la coopération, qui doit permettre de consolider la base industrielle et technologique de défense européenne et qui doit avoir des débouchés à l’exportation. Les deux premiers critères semblent aujourd’hui effectivement remplis dans l’accord sur les drones, mais si nous restons sur une seule base franco-britannique, il n’en sera pas de même pour les trois derniers. L’avion de combat Jaguar fut certes un excellent programme franco-britannique sur le plan opérationnel, mais il a débouché, faute d’alliance structurelle entre les industriels, sur la rivalité Eurofighter/Rafale dont nous souffrons tous aujourd’hui.
Le débat doit donc s’engager sur le programme de drone européen qui conditionne autant l’avenir de l’Europe de la défense que celui de l’Europe de l’armement.
1 – Cinq pays ont aujourd’hui la capacité de planifier des opérations militaires : France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie et Grèce. Les accords Berlin plus signés à la fin de l’année 2002 permettent à l’Union européenne de faire appel aux capacités de planification de l’OTAN. Mais cette faculté est décidé au coup par coup au conseil de l’Atlantique Nord et est donc soumis au veto turc.
2 – Ce sommet, dit sommet des chocolatiers, avaient réunis la France l’Allemagne, le Luxembourg et la Belgique en pleine crise irakienne. Ces quatre pays avaient demandé que l’Europe se dote d’une capacité de planification autonome.
3 – Cf sur ce sujet Jean-Pierre Darnis, Giovanni Gasparini, Christoph Grams, Daniel Keohane, Fabio Liberti, Jean-Pierre Maulny, May-Brit Stumbaum, lessons learned from cooperative program, Occasional paper n°69, octobre 2007, Institut d’étude de sécurité de l’Union européenne.