12.11.2024
Les questions posées par l’intervention en Libye
Tribune
11 juillet 2011
Il est certain qu’il était difficile pour la France, et les Occidentaux en général, de laisser la révolte libyenne se terminer dans un bain de sang à Benghazi. Tant du fait du risque humanitaire encouru, qui rappelle trop de mauvais souvenirs pour les Occidentaux, que du coup d’arrêt pour le printemps arabe que pouvait signifier la chute de Benghazi, il fallait agir. Mais comment agir ? C’est là que le bât blesse et que notre fonctionnement démocratique laisse à désirer. Demain on ne retiendra du débat au Parlement que l’approbation ou la désapprobation de l’opération libyenne. Les parlementaires ne pourront se prononcer ni sur l’objectif politique de sortie de crise, ni sur le mode opératoire militaire qui a été décidé. Or, les experts en stratégie militaire les plus reconnus, comme le général britannique Rupert Smith et le général français Vincent Desportes concluent à la nécessité de définir un objectif politique clair à la sortie de crise avant de déclencher une opération militaire et à la nécessité de proportionner l’usage de la force en fonction de cet objectif politique(1). Dans le cas de la Libye, l’opération militaire résulte d’un compromis entre deux objectifs politiques bien différents : protéger la population libyenne et faire chuter le régime du colonel Kadhafi. L’opération est aussi le fruit d’un consensus de la communauté internationale reposant sur de multiples ambiguïtés. Ambiguïté franco-britannique sur le rôle de l’OTAN, ambiguïté franco-américaine sur le degré d’implications des Etats-Unis, ambiguïté sur l’interprétation de la résolution 1973, entre l’esprit et la lettre de cette résolution.
Le Livre blanc français sur la défense et la sécurité nationale publié en 2008 avait pourtant permis de définir une grille de lecture précise pour nos engagements extérieurs. Sept principes directeurs avaient été entérinés :
– Caractère grave et sérieux de la menace contre la sécurité nationale ou la paix et la sécurité internationale.
– Examen, préalable à l’usage de la force armée, des autres mesures possibles, sans préjudice de l’urgence tenant à la légitime défense ou à la responsabilité de protéger.
– Respect de la légalité internationale.
– Appréciation souveraine de l’autorité politique française, liberté d’action, et capacité d’évaluer la situation en permanence.
– Légitimité démocratique, impliquant la transparence des objectifs poursuivis et le soutien de la collectivité nationale, exprimé notamment par ses représentants au Parlement.
– Capacité d’engagement français d’un niveau suffisant, maîtrise nationale de l’emploi de nos forces et stratégie politique visant le règlement durable de la crise.
– Définition de l’engagement dans l’espace et dans le temps, avec une évaluation précise du coût.
De la réponse floue aux questions posées par les trois derniers principes (les objectifs poursuivis, la capacité d’engagement et la stratégie politique, la définition de l’engagement dans l’espace et le temps) résultent aujourd’hui nos difficultés.
Si l’objectif était de renverser le régime, il eut fallu à la fois faire vite pour éviter d’enkyster le risque de guerre civile et de donner le sentiment d’un conflit de plus des Occidentaux dans un pays arabe, et ainsi avoir une vision claire de la solution politique qui pouvait se dessiner une fois l’intervention militaire achevée. Or ni l’une ni l’autre de ces conditions n’étaient réunies au début du conflit faute d’opération militaire adaptée à l’objectif visé et de connaissance fine du paysage politique libyen.
Aujourd’hui, nous en sommes donc réduits à espérer que le colonel Kadhafi accepte les conditions de son départ dans une négociation pour le moins aléatoire. Certes on peut penser que son isolement finira par vaincre ses dernières réticences mais le dirigeant libyen sait également que plus le conflit dure plus la détermination des alliés de la France faiblira tant pour des raisons militaires que budgétaires et politiques.
Quant au contrôle des opérations extérieures par le Parlement français la révision de la constitution de 2008 aura montré ses limites. Ce contrôle s’est trop focalisé sur la question du vote sur l’opération militaire et pas assez sur celle de l’adéquation de l’opération militaire aux objectifs politiques. Le contrôle doit s’opérer dès le premier jour du conflit -et non au bout de quatre mois- en utilisant la grille de lecture des sept principes directeurs sur l’engagement de nos forces armées à l’étranger qui figurent dans le Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale.
Aussi, l’information que doit donner le pouvoir exécutif au Parlement selon l’article 35 de la constitution doit à la fois être précise et continue dans le temps, notamment en direction des commissions parlementaires compétentes. Cette information devrait même être fournie en amont du déclenchement de l’opération quand la planification de l’opération n’est pas encore entérinée par le président de la République. La question à ce niveau n’est pas tant de censurer une décision du pouvoir exécutif que de mettre en place un véritable débat contradictoire sur les modalités d’une intervention, permettant ainsi de dégager les principes d’une intervention militaire efficace au profit d’objectifs politiques clairs. C’est ce que l’on pourrait appeler un contre-pouvoir productif.
(1) General Sir Rupert Smith « de l’utilité de la force » Economica 2007, Vincent Desportes « la guerre probable », Economica 2007.