03.12.2024
Les vicissitudes de la politique spatiale américaine et leur impact sur les relations spatiales franco-américaines
Tribune
6 juin 2011
Incomparable car unique au monde, le programme Shuttle a toutefois rencontré de nombreuses difficultés qui ont conduit la NASA à annoncer son abandon pour 2011. Lorsque Richard Nixon donna son accord au programme en 1972, le coût moyen prévisionnel d’une mission Shuttle était de l’ordre de 250 millions de dollars (actuels), contre 1 100 pour une mission Saturn V à l’époque. Aujourd’hui le coût moyen d’une mission Shuttle avoisine les 1 300 millions de dollars… Au final, le cout total du programme est estimé à 174 milliards de dollars, dépassant ainsi le programme Apollo (évalué à 136 milliards de dollars)(2). De plus, les deux accidents Challenger (1986) et Columbia (2003) ont fortement marqué les esprits car ils ont entrainé à chaque fois la mort de sept membres d’équipage et l’interruption des programmes de vols habités pendant plusieurs années. Malgré un ratio d’échec de 2/135, le programme Shuttle n’a pas donné toutes les garanties de fiabilité, et sa sécurisation explique en partie la hausse des coûts depuis le lancement du programme.
Peu après la catastrophe de la navette Columbia lors de sa réentrée atmosphérique en 2003, les Américains inaugurèrent le programme Constellation, qui comprenait la création d’une nouvelle famille de lanceurs (Ares) pour relayer les navettes et assurer aux Etats-Unis un accès autonome durable à l’espace, avec comme objectif le retour des astronautes sur la lune puis des vols habités vers la planète Mars à l’horizon 2020.
Contrainte par les exigences de restrictions budgétaires, la nouvelle Administration Obama dut mettre un terme à ce projet peu pragmatique et trop coûteux. Malgré un premier test réussi en octobre 2009, le lanceur Ares I fut ainsi abandonné sans qu’aucune solution de remplacement du lanceur ou du Shuttle ne soit trouvée. En octobre 2010, Barack Obama a signé une loi, la NASA 2010 Autorisation Act(3), qui oblige la NASA à construire un nouveau lanceur lourd pour les missions spatiales lointaines, ceci en engageant le secteur privé dans la commercialisation de lanceurs capables d’accéder à l’orbite basse. Des fonds ont déjà été alloués à quatre entreprises, dont SpaceX qui a réussi le lancement du Falcon 9 avec sa capsule de vol Dragon en juin 2010. Toujours est-il que les Etats-Unis, la grande nation pionnière de l’espace du XXème siècle, n’aura plus d’accès autonome à l’espace pendant au moins quatre ans et dépendra, d’ici là, de la famille Soyouz, qui confirme au fil des décennies sa capacité d’adaptation (plus de 1 768 vols à son actif).
L’absence de consensus entre le Congrès, la NASA et la Maison-Blanche sur les modalités d’application de la NASA Autorisation Act fragilise le processus de transition post-Shuttle. Avec les contraintes budgétaires en toile de fond, c’est l’ensemble de la politique spatiale américaine qui est suspendue aux prochaines décisions politiques. Depuis le début de l’année 2011 la NASA vit sous perfusion financière et ce n’est qu’au début du mois d’avril, à quelques heures de la suspension du financement de l’appareil fédéral, que le Congrès s’est accordé sur un budget annuel légèrement en deçà du niveau de 2010(4).
Quelle incidence sur les relations spatiales avec la France ?
Traditionnellement les premières missions remises en cause en période de contrainte financière sont les missions à visées scientifiques(5), jugées moins « importantes » que les missions de sécurité/défense ou encore les télécommunications. Or, souvent pour les mêmes raisons, les principales missions menées en coopération internationale sont justement des missions scientifiques ou d’exploration spatiale. On pourrait donc interpréter les périodes de difficultés financières comme de mauvais augures pour la coopération transatlantique qui articule plusieurs missions de ce type. Ainsi, le projet ESA-NASA d’exploration martienne dit « ExoMars » est en cours de redéfinition depuis que la NASA ait annoncé ses difficultés à respecter la ligne budgétaire du programme signé en octobre 2009 et dont le budget total avoisine les 5 milliards de dollars. Ce programme prévoyait notamment l’envoi d’une sonde en 2016 ainsi qu’un double robot d’exploration sur le sol martien d’ici 2018 mais avait été gelé par l’ESA en avril dernier. L’agence européenne vient de relancer les contrats industriels pour la mission et négocie les nouvelles modalités du programme, dont le lancement d’un seul robot d’exploration en commun pour 2018 (7).
Mais la crainte de voir des missions achopper ne doit pas cacher le fait que les périodes d’austérité sont généralement propices aux resserrements des liens internationaux. Tel fut le message de la nouvelle politique spatiale américaine présentée par le président Obama le 28 juin 2010. La main tendue aux autres agences spatiales révèle ainsi moins de l’effet d’annonce que du pur pragmatisme économique et technologique. Il devient de plus en plus difficile aujourd’hui de mener unilatéralement de grands projets d’exploration spatiale et c’est la raison principale de l’abandon du programme Constellation qui avait été développé en parallèle avec la doctrine de « Space dominance » défendue par l’Administration Bush.
L’ouverture annoncée vers les partenaires internationaux s’est notamment concrétisée dans les relations de la NASA avec le CNES, qui reste actuellement le premier partenaire de l’agence américaine. En septembre 2009 les deux agences spatiales ont signé différents accords de coopération couvrant trois missions d’explorations(8) et une mission d’observation océanographique (SWOT(9)). La mission SWOT représentera dans les prochaines années la réalisation majeure des relations spatiales franco-américaines, au même titre que les programmes Topex-Poséidon et JASON dans les années 1990 et 2000. Le CNES garantit 25% du budget de SWOT, qui a d’ailleurs été intégré dans le plan d’investissement d’avenir du gouvernement français en mars dernier(10). Les deux pays envisagent également de poursuivre jusqu’en 2013 la coopération existante dans le cadre du programme CALIPSO qui analyse la composition atmosphérique. L’intensification en cours des relations entre le CNES et la NASA a en outre été facilitée par l’accord-cadre intergouvernemental entré en vigueur en 2008, qui désigne le CNES comme agence responsable de la mise en œuvre des accords de coopération dans le domaine du spatial civil(11).
En février dernier les deux pays ont signé un accord-cadre inédit qui concerne cette fois la surveillance des débris et objets spatiaux, un sujet de coopération « sensible »(12). L’accord officialise la coopération bilatérale en œuvre depuis plusieurs années dans le cadre du Forum de coopération spatiale entre la DAS et le Department of Defense américain. Le radar français expérimental Graves opéré par le CDAOA(13) fournit de nombreuses données sur l’environnement circumterrestre proche (inférieur à 1 000 km d’altitude). La connaissance n’étant plus uniquement du côté américain, cette coopération a permis de partager le souci de laisser secrètes les orbites des satellites militaires d’observation. Les Américains ont ainsi exclu de leurs éphémérides publiques les orbites des satellites français Hélios. Leur intérêt commun dans la protection de leur flotte satellitaire respective face à la menace grandissante des débris spatiaux pousse Washington et Paris à allier leurs compétences en termes de SSA (« Space Situational Awareness », observation spatiale).
Conséquence des dures réalités budgétaires et d’un nouvel aiguillage de la politique spatiale américaine en faveur des partenariats internationaux, le rapprochement franco-américain révèle également du bon sens dans le contexte particulier du retour de la dialectique de la « course à l’espace » provoquée en particulier par le développement des politiques spatiales chinoises et indiennes ainsi que le retour en grâce de la politique spatiale russe ces dernières années.
Afin de pérenniser et d’approfondir les liens spatiaux transatlantiques, certaines difficultés devront toutefois être surmontées. Un premier point d’achoppement qui remonte aux années 1990 concerne les règles d’exportations américaines ITAR qui inhibent fortement les relations industrielles entre les deux côtés de l’Atlantique nord. Obama avait promis une rationalisation de ces règles dont la procédure atteint des niveaux de complexité et d’opacité singulièrement élevés. Autre difficulté : la France et les Etats-Unis ont souvent fait preuve d’une grande méfiance réciproque lorsqu’il s’agissait d’utilisation militaire du secteur spatial. Les Américains ont volontairement limité la coopération en termes de recherche balistique et les programmes spatiaux d’observation terrestre à des fins sécuritaires n’ont pas non plus fait l’œuvre de programmes de coopération entre les deux puissances.
Ces tensions ne sont pas insurmontables, comme le montre la signature de l’accord transatlantique de 2004 qui mit un terme aux suspicions américaines quant à la compatibilité du système de navigation satellitaire Galileo avec le signal GPS. De plus, la signature de l’accord-cadre franco-américain sur la surveillance des objets spatiaux marque également une avancée en termes de « confidence-building » entre les deux pays. Ces processus de rapprochements internationaux se caractérisent par une lenteur qui s’explique traditionnellement par le caractère dual (civil/défense) et donc « sensible » des politiques spatiales.
Ainsi, les difficiles négociations du Code de Conduite des activités dans l’espace extra-atmosphérique(14) proposé par l’Union Européenne attestent une nouvelle fois de la réticence américaine face aux éventuelles interférences dans sa souveraineté spatiale. La concurrence internationale pour l’accès à l’espace et les méfiances vis-à-vis des nouvelles puissances émergentes ne doivent néanmoins pas compromettre les efforts de coopération et de désarmement dans un secteur dont les activités ne sont pas encore suffisamment concernées par le droit international.
(1) Le Soyouz, l’autre grand vaisseau spatial, opéré par la Russie, peut quant à lui transporter 3 astronautes et jusqu’à 7 tonnes de charge utile en orbite basse.
(2) Alain Dupas, « La nouvelle conquête spatiale », 2010, p.116.
(3) http://www.bbc.co.uk/news/science-environment-11518049
(4) http://spacepolicyonline.com/pages/index.php?option=com_content&view=article&id=1516:shutdown-averted-at-last-moment&catid=67:news&Itemid=27
(5) http://www.spacenews.com/civil/110415-deal-compromises-weather-sat.html
(6) http://www.spacenews.com/civil/110314-nasa-europe-rethink-planetary-missions.html
(7) http://www.spacenews.com/civil/110527-esa-cleared-restart-work-mars.html
(8) Mars Atmosphere and Volatile Evolution Mission, MagnetosphericMultiscale Mission et Convection Rotation and Planetary Transits Mission.
(9) Surface Water OceanTopography, mission d’observation océanographique qui met en œuvre un satellite dont le lancement est programmé en 2019, en succession aux trois satellites JASON.
(10) http://discours.vie-publique.fr/notices/113000743.html
(11) Si la NASA est une agence fédérale, le CNES est quant à lui une société mixte (EPIC) qui ne représente pas l’Etat français par nature.
(12) http://www.defense.gouv.fr/actualites/articles2/la-france-et-les-etats-unis-ont-signe-un-accord-de-cooperation-spatiale
(13) Commandement de la Défense Aérienne et des Opérations Aériennes
(14) http://www.thespacereview.com/article/1794/1