21.11.2024
Cuba : « On ne voit pas très bien où va se situer le curseur entre ouverture économique et renforcement du système socialiste. »
Tribune
3 mai 2011
Raul Castro le Premier secrétaire du Parti communiste cubain a confirmé à l’occasion de ce congrès que Cuba était en crise et que celle-ci était due notamment à la montée des coûts de tous les produits importés alimentaires et énergétiques. Il a estimé qu’il était nécessaire de faire des réformes dans l’agriculture. Il y a encore de trop nombreuses terres non exploitées à Cuba et les agriculteurs du pays pourraient représenter un moyen pour le gouvernement cubain d’éviter d’importer des produits agricoles. Beaucoup d’informations ont filtré sur les conclusions du congrès en matière économique mais en réalité on ne sait rien de concret. Il n’est pas sûr non plus que les choses soient clarifiées dans les prochaines semaines, puisqu’a été annoncée la tenue d’une conférence nationale d’évaluation du Parti communiste cubain le 26 janvier 2012. On parle de l’introduction d’un système d’impôts, du licenciement d’employés d’Etat, de la fin des aides apportées par l’Etat à un certain nombre de produits de consommation courante, de plus grandes opportunités données aux investisseurs étrangers, d’un développement du secteur privé, etc. Tout cela reste malgré tout encore très flou. D’autant plus que le nouveau Premier secrétaire du parti communiste cubain a précisé que les réformes avaient pour objectif de renforcer le système socialiste…
Il y a donc, en même temps, l’affirmation d’une ouverture vers l’économie de marché et d’autre part, celle de renforcer le système communiste. Pour l’instant, on ne voit pas très bien où va se situer le curseur entre ces deux affirmations contradictoires.
Fidel Castro a officiellement passé la main. Conserve-t-il malgré tout un pouvoir de décision ou une influence importante au sein de l’administration ?
Fidel Castro est connu de tout le monde. Il n’a pas besoin d’un titre ou d’une charge particulière pour avoir son mot à dire. Officiellement il est désormais un « modeste membre du Parti communiste cubain ». Un « membre modeste » qui bénéficie tout de même d’un accès permanent à la presse et aux organes du pouvoir. Il a donc une sorte d’autorité morale qui lui est reconnue par le Parti communiste et par son frère, détenteur désormais de toutes les fonctions exécutives.
La timide ouverture économique signifie-t-elle une ouverture politique ?
D’un point de vue politique, il n’y a eu aucune ouverture. On a au contraire assisté au retour des vétérans de la révolution cubaine. Ce retour a été justifié par le Premier secrétaire du Parti communiste cubain de la façon suivante : il a reconnu qu’il aurait dû y avoir une relève et a signalé un effort de renouvellement en citant notamment les statistiques concernant le nombre plus important de femmes au sein de la direction du Parti communiste cubain ainsi que celui des Noirs et des Métis. Mais concernant le noyau dur du bureau politique, il a signalé que des vétérans étaient revenus aux commandes car la génération plus jeune qui aurait dû prendre la relève n’a pas donné satisfaction. Il a néanmoins précisé qu’il faudrait que les choses évoluent à l’avenir et qu’en ce qui le concerne, ce congrès serait probablement le dernier qu’il aurait à diriger.
On constate donc un raidissement politique avec l’arrivée massive de militaires, vétérans de la Révolution, dans le noyau dur du bureau politique. Des militaires que connaît bien Raul Castro, puisqu’il a été ministre de la Défense pendant près de 50 ans. Ce choix peut être interprété comme un aveu concernant la gravité de la crise et la nécessité d’une équipe homogène et fidèle pour en assurer la gestion. Des décisions difficiles d’un point de vue social vont en effet être prises. La situation est si difficile qu’à l’issue de ce congrès, le gouvernement cubain sera tenu, selon Raul Castro, de procéder à ce qu’on appellerait chez nous un plan de rigueur.
Y a-t-il des oppositions au sein de la classe dirigeante cubaine ? Le changement économique fait-il consensus ?
Il est toujours difficile dans des pays gérés par des partis uniques de savoir exactement ce qui se passe dans les instances du pouvoir. Tout ce que l’on peut dire, c’est que depuis la fin de l’Union soviétique qui apportait une aide massive à Cuba, un débat s’est ouvert avec l’entrée en crise du système économique. A plusieurs reprises, un certain nombre de cadres du Parti communiste cubain ainsi que des chercheurs proches du Comité central ont essayé d’élaborer des modèles permettant de créer une sorte de social-démocratie à la cubaine, qui aurait tout de même continué à s’appeler communisme répondant aux exigences particulières de l’ile. Mais ces personnes qui, à un certain moment, ont eu la possibilité de s’exprimer et d’écrire, se sont fait taper sur les doigts. C’est toujours l’armée qui a gardé la maitrise des changements, notamment lorsqu’il y a eu une première tentative d’ouverture dans les années 90. Ce qu’on a appelé à ce moment là la « période spéciale », introduction limitée de l’économie de marché, s’est accompagnée d’une mise au pas de tous les rénovateurs. On constate que ce sixième Congrès du Parti communisme cubain s’oriente dans la même direction : des mesures socialement difficiles à accepter pour la population cubaine seront prises et elles seront accompagnées d’une ouverture économique. Mais le tout sera lié à une reprise en main et un contrôle étroit par le Parti communiste et au sein du Parti communiste par les forces armées.
Est-ce que Cuba est sur la voie chinoise d’un socialisme de marché ?
C’est une orientation que les Cubains ont toujours refusé. Ils ne veulent être assimilés à aucun modèle, considérant que leur voie n’est comparable à aucune autre. Lors de la « période spéciale », Cuba s’est orienté vers un modèle qui s’apparentait plutôt à ce qu’avait appliqué l’Union soviétique à ses débuts, la NEP. La NEP consistait en une ouverture provisoire sur le marché en vue de passer le menton économique hors de l’eau. Dès que la situation a été rétablie, l’Union soviétique est rapidement revenue à l’orthodoxie socialiste et à la planification d’une économie étatisée. C’est ce qui s’est passé à Cuba après la « période spéciale ». Est-ce que ce modèle-là va être repris sans le dire de façon explicite ? Ou est-ce que Cuba, contraint par les circonstances, va se diriger vers un modèle chinois ? Bien malin qui pourra le dire. En attendant, il faudra suivre attentivement les travaux de la Conférence nationale du 26 janvier 2012 pour tenter de comprendre les grandes lignes de l’avenir économique cubain.