19.12.2024
Côte d’Ivoire : la fin du pouvoir de Gbagbo
Tribune
1 avril 2011
Depuis plusieurs semaines, la Libye et le Japon captivaient l’attention des médias et des opinions publiques alors qu’une crise humanitaire dramatique (environ 1 million de déplacés et plus de 500 morts depuis les élections présidentielles) et une guerre (affrontement entre les forces pro-Gbagbo et pro-Ouattara et des violences permanentes dans les quartiers d’Abidjan) se déployaient en Côte d’Ivoire avec toujours plus d’intensité. L’Union africaine atone a échoué diplomatiquement et n’a pas condamné les attaques contre les troupes et le personnel des Nations unies ; elle avait seulement reconfirmé Ouattara vainqueur le 10 mars 2011. Elle devait à nouveau arbitrer le 4 avril à Addis-Abeba entre les deux protagonistes. Les Nations unies avaient reconnu la victoire de Ouattara mais n’avaient pu voter, comme en Libye, une intervention pour la « protection des populations » ni renforcer le mandat de l’ONUCI. Elles ont par contre voté des sanctions contre Laurent Gbagbo.
Au-delà de la situation dramatique subie par les Ivoiriens, du spectre de la guerre civile, deux visions s’ affrontaient : celle souverainiste, ethno-nationaliste et anti-coloniale sur laquelle jouait Laurent Gbagbo, plus ou moins appuyée par certains pays africains, considérant les Nations unies comme des forces d’ingérence et ayant le souvenir de la position africaine pro-apartheid et pro-française de Houphouët Boigny ; celle internationaliste et légaliste sur laquelle s’appuyait Alassane Ouattara et qui est soutenue par les Nations Unies, les puissances occidentales et de nombreux pays africains.
Chacun des protagonistes disposait d’armes différentes. La légalité interne et la légitimité internationale étaient du côté d’Alassane Ouattara, sa puissance militaire se renforçait et il pouvait bénéficier de l’asphyxie financière de Laurent Gbagbo. Ce dernier disposait quant à lui de la mobilisation des jeunes patriotes, de la puissance du feu (forces spéciales, mercenaires, responsables de l’armée) et d’une légitimité auprès d’une partie de la population du Sud qui est persuadée qu’il a gagné et (ou) qu’il est victime d’un complot étranger et qu’il y a ingérence voire recolonisation de la Côte d’Ivoire.
Après avoir temporisé pendant près de quatre mois, Alassane Ouattara a lancé les FRCI à l’Ouest dans la zone cacaoyère avec pour objectif les villes de San Pedro et Yamoussoukro et à l’Est jusqu’au fief de Laurent Gbagbo. Mais ce dernier mobilise les jeunes patriotes à Abidjan. L’ethno-nationalisme très peu présent dans les résultats des élections présidentielles est instrumentalisé par le clan Gbagbo et évidemment ne peut que se renforcer en situation de crise et de violence. Avant cette action militaire, plusieurs interrogations dominaient. L’asphyxie économique et financière du clan du président sortant, qui dispose de réserve et de soutiens angolais, était-elle suffisante pour réduire le nerf de la guerre ? Les FSD et les jeunes patriotes iraient-ils jusqu’aux violences extrêmes ? In fine, vu le changement de rapports de force, le cessez-le-feu proposé par Gbagbo conduirait-elle à une issue négociée sous l’égide de l’UA ?
Tout a été fait, jusqu’à présent, notamment par le rôle des forces d’interposition de l’ONUCI et de la Licorne, pour éviter le scenario du pire : celui de l’affrontement armé et de la guerre civile. La majorité de la population ivoirienne qui a massivement voté est lasse de la situation de ni guerre-ni paix qui dure depuis dix ans. Elle veut retrouver un pays en paix où le dirigeant redresse l’économie et assure l’unité territoriale. L’économie est de plus en plus paralysée avec montée du chômage et baisse des revenus. Il était urgent que l’UA sorte d’une position d’attentisme empêchant une pax africana , que les Nations unies donnent un mandat renforcé à l’ONUCI pour protéger les populations, et que la communauté internationale se mobilise face au drame humanitaire en cours
Quel que soit le dénouement final de la crise, Alassane Ouattara aura beaucoup de mal à reconstruire et réunifier le pays. Un compromis à la zimbabwéenne ou à la kenyane est impossible ; en revanche un gouvernement d’union nationale s’imposera pour panser les blessures et atténuer les haines. Les défis à relever post-crise et conflits seront considérables. Le pouvoir sous la responsabilité de Ouattara devra réaliser une pacification durable, la construction d’une armée nationale et le désarmement de la population, une reconstruction économique et une unification territoriale avec l’adhésion de la population et pas seulement les appuis extérieurs qu’ils soient africains ou autres.
Le dénouement de la crise ivoirienne est stratégique non seulement pour le devenir des Ivoiriens, mais constitue un exemple pour un continent qui connaîtra en 2011 dix-neuf élections. La crise durable ou les affrontements violents concernent toute l’Afrique de l’Ouest. Peu de pays auront autant mobilisé de financement et d’efforts de la communauté internationale pour sortir de la crise.