ANALYSES

Déconstruction et reconstruction de l’Union pour la Méditerranée ?

Tribune
7 mars 2011
Le constat d’échec

Ironie de l’histoire, alors que l’Union pour la Méditerranée (UPM) devait incarner – suivant la volonté « pragmatique » de ses propres concepteurs – une sorte d’objet apolitique à vocation fonctionnel et technique, ses fondements se trouvent ébranlés par la puissance de l’onde de choc des mouvements populaires qui traversent le monde arabe. La perspective d’une démocratisation des régimes de la rive sud de la Méditerranée modifie la donne géopolitique de la région et bouscule les grilles d’analyse et autres paradigmes sur lesquels était fondée la perception européenne du monde arabe en général et du Maghreb en particulier. Or ces mêmes analyses ont servi à la réalisation du projet d’UPM, dont a été écartée toute ambition ou problématique politique. Basée sur un prétendu principe de réalité et sur une dissociation fictive entre le politique et l’économique – comme si l’existence d’un système de corruption généralisé et le non respect de l’Etat de droit étaient conciliables avec un développement durable dans cette partie de la Méditerranée – l’objectif de l’UPM consiste à renforcer les liens entre les pays riverains de la Méditerranée et à faire de cette aire géographique et culturelle un espace de coopération et de solidarité, dans la continuité du processus de Barcelone lancé en 1995. Le projet a pour vocation d’être le cœur de la coopération entre la rive sud et la rive nord de la Méditerranée. Toutefois, le projet demeure marqué par un certain nombre d’insuffisances et d’ambiguïtés prégnantes déjà dans la déclaration finale du Sommet de Paris : manque de préparation et de concertation autour d’une intuition franco-française ; l’absence de garantie sur le financement des projets ; l’exclusion des différends politiques et des questions relatives aux « droits de l’Homme, à la démocratie et à l’Etat de droit » ; l’opposition entre valeurs et intérêts ; absence d’orientations claires et de volontarisme politique des Etats comme de l’Union européenne qui aboutit in fine sur une crise existentielle.

Or précisément la reconfiguration de la donne politique des régimes arabes est de nature à relancer l’Union pour la Méditerranée. Celle-ci a désormais vocation à offrir un cadre pertinent pour mobiliser les moyens financiers et à définir des solutions aux défis posés par cette nouvelle donne régionale. Le mouvement qui prend corps en Afrique du Nord et au Moyen-Orient est susceptible de (re)donner un sens au projet, de (re)mobiliser les Etats et les sociétés civiles. Un mouvement qui peut traduire en acte cette profession de foi inscrite dans la déclaration commune de Paris « Les chefs d’Etat ou de gouvernement soulignent qu’ils sont déterminés à renforcer la démocratie et le pluralisme politique par le développement de la participation à la vie politique et l’adhésion à l’ensemble des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Ils affirment également leur ambition de bâtir un avenir commun fondé sur le plein respect des principes démocratiques, des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales, consacrés par les instruments internationaux relatifs aux Droits de l’Homme, comme la promotion des droits économiques, sociaux, culturels, civils et politiques, le renforcement du rôle des femmes dans la société, le respect des minorités, la lutte contre le racisme et la xénophobie, ainsi que la promotion du dialogue culturel et de la compréhension mutuelle ». La démocratisation en Tunisie, en Egypte, voire en Libye est de nature à conforter le principe du paritarisme, puisqu’au-delà de l’égalité qui structure les rapports entre Etats souverains, les régimes qui vont émerger pourront également se targuer d’avoir un modèle politique en partage. Cette évolution politique devrait faciliter le rééquilibrage des rapports de force.
Inspiré par le modèle de la construction européenne, l’idée originelle lancée par Nicolas Sarkozy avait le mérite de réactiver la question des enjeux méditerranéens dans un contexte de mondialisation et de régionalisation. Cependant, la méthode qui consiste à vouloir d’abord réaliser des projets concrets a rapidement atteint ses limites. Aujourd’hui, la dimension politique de l’UPM s’est finalement imposée au président de la République. Alors que deux piliers du projet initial – les présidents Moubarak et Ben Ali – sont déchus, Nicolas Sarkozy tente de reprendre la main. Dans son allocution radio-télévisée, le chef de l’Etat a estimé que « le moment est venu de refonder » l’UPM « à la lumière des événements considérables que nous vivons ». Dans la foulée, le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy chargé précisément de ce dossier, Henri Guaino, a souhaité qu’on aille « beaucoup plus loin dans le volet politique » de l’Union pour la Méditerranée (UPM), cette coopération que le président de la République souhaite « refonder ». En reconnaissant la nécessité de refonder le projet de l’UPM, Nicolas Sarkozy prend acte de l’échec de la méthode et de la conception originelles. L’UPM dans sa version « apolitique » a vécu.

Les bases d’une refondation

Toutefois, les propos tenus par le président de la République dans son allocution sont pour le moins équivoques au sujet de l’évolution des rapports entre les deux rives de la Méditerranée : d’un côté le chef de l’Etat prend acte de l’importance historique des bouleversements du monde arabe ; de l’autre, des sources de tension et d’incompréhension demeurent, puisque ces mêmes évènements sont analysés suivant un sentiment de peur et une logique sécuritaire de contrôle des flux migratoires, dans laquelle les pays du sud de la Méditerranée sont réduits à jouer un rôle de zone tampon avec la zone sub-saharienne, de gardes frontières de l’Europe. Ce discours diabolisant le risque de migration et agitant la menace terroriste traduit une approche réductrice et cynique, dont la visée électoraliste est manifeste. Est-ce le seul message que la France a à adresser – après celui du « savoir-faire » en matière de maintien de l’ordre public – aux peuples libérés ou mus par ce même élan émancipateur ?

Au nom de la realpolitik, la viabilité d’un tel projet ne saurait se fonder sur la seule réalisation de projets concrets, des moyens institutionnels et financiers : elle suppose aussi un moteur politique. Les mutations politiques dans le monde arabe ont permis de faire tomber les masques et de tenir enfin un discours de vérité sur l’ambition nécessaire de l’UPM. Il s’agit ainsi de saisir cette opportunité historique pour refonder le projet sur des bases repensées, dignes d’une véritable « politique de civilisation ». Dans cette perspective, l’UPM doit également être un instrument défense et de promotion d’un système de valeurs politiques communes aux membres de l’UPM. Concrètement, elle pourrait apporter une assistance et une expertise en matière d’ingénierie électorale, dans la phase de transition démocratique des pays concernés. En outre, il convient aussi de tirer les conséquences des déclarations des Etats membres en la matière, en prévoyant notamment un mécanisme de sanction interne sur le modèle de l’article 7 du traité UE en cas de violations de valeurs ou principes fondamentaux.

Enfin, avant même de s’atteler à la relance précipitée de l’UPM, toute reconstruction d’une politique euro-méditerranéenne passe pour les diplomaties françaises et européennes par la définition de politiques de soutien et incitatives pour chacun des pays qui s’engage dans une voie démocratique, en marquant notre espoir que, le moment venu, ces nouvelles politiques pourront être reprises à cette échelle plus globale.

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