21.11.2024
Amérique latine : la France de plus en plus inaudible et déconsidérée
Tribune
25 février 2011
La visite a-t-elle répondu aux objectifs qui auraient du être les siens ? La ministre était-elle le bon interlocuteur ? La lecture de la presse brésilienne permet de s’interroger. Elle plante un décor assez décapant pour la France, la défense de ses intérêts, comme pour l’approfondissement d’un partenariat inscrit dans la durée. O Globo, le grand quotidien de Rio, après avoir rappelé les enjeux de la visite, a en effet présenté la ministre française de la façon suivante : « Michèle Alliot-Marie vient au Brésil dans un moment délicat, puisqu’elle court le risque de perdre sa charge en raison de ses liens avec l’ex-président de Tunisie, Zine El Abidine Ben Ali . Selon l’opinion publique, sa visite de deux jours au Brésil sera sa dernière comme ministre des affaires étrangères de la France. D’après une enquête rendue publique ce mardi par le journal français Libération, 68% des Français ne lui « font plus confiance » (..) Les parents de la ministre auraient profité du voyage pour faire des transactions immobilières avec un entrepreneur proche de Ben Ali. Au-delà de ce scandale, le positionnement peu clair de la diplomatie française face aux révoltes populaires du monde arabe a affecté, selon la presse française, le président Nicolas Sarkozy » a conclu O Globo. O Estado de São Paulo, le quotidien des milieux d’affaire, a très directement demandé à Mme Alliot-Marie si « elle ne regrettait pas d’avoir fourni des armes à Ben Ali utilisées contre les manifestations démocratiques ». Meionorte a lui aussi informé ses lecteurs, que la « ministre arrive au Brésil à un moment où elle est durement critiquée en France » (..) car « il a été découvert qu’elle a passé des vacances en Tunisie pendant la révolte, utilisant l’avion particulier d’un proche de Ben Ali » (..) ainsi que d’avoir facilité l’envoi de gaz lacrymogènes ».
Le Brésil, dira-t-on, n’est pas en Amérique latine le seul membre du G-20. Il y a plus au nord, associé au sein de l’ALENA aux Etats-Unis et au Canada, le Mexique. Le Mexique doit d’ailleurs après la France présider le G-20. La diplomatie d’influence avait mobilisé tous ses moyens pour créer un climat propice à l’écoute par Mexico des grandes propositions françaises sur la réforme et la régulation du système financier international. De grands évènements culturels avaient été programmés à cet effet pour présenter en 2011 le Mexique aux Français, et en 2012 la France aux Mexicains. Manifestement, tous ces beaux projets sont partis à vau l’eau. L’année du Mexique en France a été suspendue. Ernesto Cordero, ministre des finances du Mexique, a refusé d’assister à la réception de bienvenue donnée par le président Sarkozy aux délégations du G-20 présentes à Paris le 19 février. Il a tenu dans son ambassade parisienne des propos laissant entendre qu’il avait refusé tout contact bilatéral avec la ministre française de l’économie, Christine Lagarde. La grande politique a manifestement trébuché sur la communication très particulière du président français qui monte en épingle médiatique la situation de jeunes femmes françaises détenues à l’étranger, quelles qu’en soient les raisons. Or le 9 mars 2009, alors qu’il était en visite officielle au Mexique, le chef de l’Etat français avait de façon insolite interpellé publiquement les sénateurs mexicains. Au mépris des modes opératoires diplomatiques concernant le traitement de ce type de dossiers, il avait signalé à la tribune du parlement la situation d’une ressortissante française condamnée par la justice Mexique. Depuis cette date, la presse mexicaine, les partis politiques de droite comme de gauche et le gouvernement mexicain ont fustigé la méthode, jugée ingérente. Le président français s’est entêté dans ses démarches et pressions à caractère public. L’accompagnement culturel du G-20 en a fait les frais. La France prétendait placer en 2011 toutes les activités de l’Année du Mexique sous le parrainage moral de la personne incarcérée au Mexique pour complicité d’enlèvement. Le Mexique a refusé tout aussi publiquement cette conditionnalité. Les organisateurs des manifestations programmées, de Lyon à Paris en passant par Toulouse, présentent aujourd’hui l’ardoise financière au président français. Les diplomates, de façon insolite, se sont insurgés dans une tribune libre du journal Le Monde, contre une « diplomatie » qui, en mélangeant les dossiers, – la carpe des affaires individuelles avec le lapin des politiques d’Etat-, paralyse finalement les unes comme les autres. Les relations franco-mexicaines sont désormais gravement altérées, sans que pour autant le sort de Florence Cassez ait bougé d’un centimètre.
Il y a quelques années c’est une autre jeune femme qui mobilisait le président français, la franco-colombienne Ingrid Betancourt, alors détenue par les FARC. Recevant à l’Elysée en juillet 2007 Felipe Calderón, le président mexicain, Nicolas Sarkozy avait mis en bonne place dans leur échange, ainsi qu’en fait foi le communiqué publié à l’issue de cet entretien, le dossier Betancourt. On connaît la suite. Le président français a harcelé les autorités colombiennes, exigeant la libération d’un responsable de la guérilla, Rodrigo Granda, alors détenu, afin d’obtenir un hypothétique échange. Elargi grâce à cette intervention française, Rodrigo Granda a repris du service actif au sein des FARC. Le président français alors a changé son fusil médiatique d’épaule. Il a pris le micro de RFI, pour tenter d’attendrir le chef des ravisseurs, qualifié pour l’occasion, de « Monsieur Marulanda », et ainsi par la magie du verbe obtenir que l’otage lui soit remise. L’intéressée a finalement été libérée début juillet 2008 par les forces armées colombiennes. Ce qui n’a pas empêché Nicolas Sarkozy d’organiser à l’intention des Français un show télévisé avec les enfants de l’ex-otage et son premier ex-mari.
La Colombie, dira-t-on, n’avait pas l’importance du Brésil ou du Mexique. Et la France a pu sans trop de dommages passer quelques années en froid avec Bogota. Sans doute. Mais la crédibilité de la France à l’étranger en général, et en Amérique latine de façon particulière, a été écornée par la conception de la diplomatie révélée par cette obsession médiatique. Destinée à influencer les téléspectateurs français, cette forme de communication instrumentalise les victimes et obère gravement la diplomatie et les intérêts nationaux. Du reste, les retombées de cette affaire n’en finissent pas de provoquer des dégâts collatéraux. Le 22 février 2011, le journal de Bogota, El Tiempo, a sélectionné dans Wikileaks les bonnes pages envoyées au Département d’Etat par l’ambassade des Etats-Unis en Colombie, au sujet de l’activisme français concernant l’enlèvement d’Ingrid Betancourt. Selon le quotidien El Tiempo, une dépêche envoyé le 24 juin 2008 par les diplomates nord-américains signale qu’un intermédiaire du président français « a dit à Reyes » (= l’un des responsables des FARC) «que le gouvernement français demanderait à l’Union européenne la levée de la classification des FARC comme groupe terroriste et autoriserait l’ouverture à Paris d’un bureau des FARC, en échange de la libération d’Ingrid Betancourt ».
Plusieurs jeunes françaises sont actuellement détenues au Brésil, la plupart pour trafic de stupéfiants. On ne peut légitimement au vu de l’obsession féminine et émotionnelle de la diplomatie élyséenne en Amérique latine, qu’être préoccupé pour l’avenir de la relation bilatérale franco-brésilienne.