Entretien avec Eric Vernier : « Gel des avoirs : Peu de moyens de pression et peu de volonté à les utiliser »
Tribune
22 février 2011
Est-ce possible (matériellement et légalement) de bloquer la totalité des avoirs d’un chef d’Etat ou d’un clan ? Quelles sont les parades éventuelles ?
C’est possible dans le cas d’avoirs dont on connaît très bien l’appartenance. En revanche, beaucoup de choses échappent au contrôle, grâce aux prête-noms, aux sociétés écrans, aux fonds d’investissements à l’origine floue, etc. Concrètement, les situations sont souvent complexes : que faire avec un appartement appartenant à telle ou telle famille ? On peut l’interdire à la vente mais ce n’est pas tellement contraignant.
Les parades sont effectuées en amont. Peu de choses sont ouvertes sous de vrais noms. Puis l’essentiel est ensuite de brouiller les pistes, à travers l’usage de sociétés « off-shore », de holdings, de fonds d’investissements opaques, etc. La traque devient difficile d’autant plus que si un danger survient, les avoirs sont rapidement placés ailleurs.
Y a-t-il une législation cohérente à ce sujet en Europe ? Quelles sont les méthodes ou les positions d’autres pays du monde (Etats-Unis, paradis fiscaux,…) ?
En Europe, des directives liées au blanchiment de la corruption notamment ont été transposées dans les législations nationales. Mais certains décrets d’application n’ont pas été rédigés et quand c’est le cas, leur application n’est pas très rigoureuse. Même s’il existe une volonté d’homogénéisation européenne, on en est encore loin dans les faits. Sur le plan mondial, chacun fait comme il veut. Si parfois les législations sont convergentes, cela peut être le jour et la nuit d’un pays à l’autre. C’est le cas y compris en Europe : il ne se passera pas la même chose à Nicosie ou à Paris.
D’autre part, il n’est pas vraiment possible de forcer des paradis fiscaux à bloquer des avoirs. On peut effectuer des pressions dans les instances internationales, mais c’est souvent du donnant-donnant entre paradis fiscaux et grandes puissances : on ferme les yeux sur les pratiques bancaires d’une part, et on soutient, par exemple, le vote d’une résolution de l’autre. Il y a donc assez peu de moyens de pression, et peu de volonté de les utiliser.