21.11.2024
Monde arabe et Amérique latine : un moment de vérité
Tribune
15 février 2011
Les contacts entre Arabes et latino-américains se sont alors accélérés. Mahmoud Abbas a visité l’Amérique du sud. A la suite de Bachar El Assad, le chef de l’Etat syrien. Hugo Chavez s’est rendu à Damas et à Tripoli. Cristina Kirchner a effectué une tournée dans les pays du Golfe. Le Mercosur a signé un accord de coopération commerciale avec l’Autorité palestinienne. La IIIème ASPA approchant, les annonces se sont précipitées. Le Brésil annonçait le 3 décembre 2010 qu’il reconnaissait l’existence d’un Etat palestinien. Et l’Autorité palestinienne annonçait dans la foulée la construction d’une première ambassade à Brasilia. Et très vite en domino la quasi-totalité des sud-américains a reconnu la Palestine comme Etat. Les Etats-Unis et Israël ont regretté, considérant la décision prématurée. Mais ils n’ont pu que prendre acte d’une irruption diplomatique révélatrice de la présence d’acteurs internationaux nouveaux.
Les évènements de Tunisie et d’Egypte ont bouleversé la donne de façon inattendue. La conférence de Lima a été suspendue en termes choisis, pleins de sous-entendus frisant l’indifférence démocratique. Alan Garcia président du Pérou, pays hôte de la conférence, a en effet sobrement et non sans humour involontaire signalé le report de la façon suivante, « nous sommes à l’écoute de ce que vont décider les dirigeants arabes. Nous comprenons le sévère problème d’instabilité dans la région, qui conduit certains à hésiter à effectuer des déplacements à l’étranger ». Cette froideur solidaire à l’égard des mouvements populaires arabes est surprenante. A la différence d’autres pays émergents ceux d’Amérique latine ont des gouvernements issus d’élections libres. Ils sont représentatifs de partis et mouvements qui ont du se battre pour que la démocratie soit reconnue. Certains chefs d’Etat ont connu l’exil comme le péruvien Alan Garcia. D’autres ont été arrêtés et torturés comme la Brésilienne Dilma Rousseff et l’Uruguayen Pepe Mugica. Pourtant la montée en puissance de la revendication démocratique arabe les a laissés sans voix, tout autant que leurs homologues en pouvoir, mais non en légitimité démocratique, chinois et russe. Comment donc interpréter ce décalage, d’autant plus illisible que certains partis de gouvernement latino-américains ont participé en février 2011 au Forum social mondial de Dakar pour défendre la mise en œuvre « d’un autre monde » ?
La morale de cette histoire, si tant est qu’il soit nécessaire d’en chercher une, renvoie aux manuels de géopolitique et à la Realpolitik. Le découplage entre ce que l’on est, chez soi, et ce que l’on fait hors de ses frontières, est un constat commun à tous les peuples et pays. Croisade, Djihad, Destinée manifeste, mission civilisatrice, fardeau de l’homme blanc, solidarité révolutionnaire… voire silence, ont accompagné les jeux de puissance et les aventures militaires et impérialistes les plus diverses. L’émergence latino-américaine avait jusqu’ici volontairement fait l’impasse sur les violations des droits de l’homme, et l’absence de libertés démocratiques dans le monde arabo-musulman. Cette absence et ce silence étaient en contradiction absolue avec les combats menés chez eux pour gagner la bataille démocratique par les Garcia, Kirchner, Lula, Mugica et autres Ortega. Il est vrai que ce silence avait une contrepartie géopolitique dont commençait à souffrir les Occidentaux. « Je suis convaincu », avait déclaré l’un des participants applaudis au sommet de Doha, « que nos deux grands pôles géographiques (..) sont en mesure aujourd’hui de jouer un rôle actif au service de la sécurité, de la paix, et du développement du monde ». L’auteur de ce propos frappé au sceau du bon intérêt partagé, n’était autre que l’ex-président Ben Ali. Paradoxe sans doute. Mais le paradoxe du jour, moment de vérité, celui auquel vont devoir s’atteler vaille que vaille les chefs d’Etat Latino-Américains, est celui d’une réalité qui du Caire à Tunis rend les valeurs démocratiques incontournables.