21.11.2024
Obama de retour sur le devant de la scène
Tribune
2 février 2011
Deux événements ont marqué le mois de janvier aux Etats-Unis et par deux fois, la croyance de l’opinion américaine en son exemplarité a été remise en cause. Avec la fusillade de Tucson, l’Amérique a d’abord dû faire face aux contradictions de son modèle social. La visite de Hu Jintao lui a ensuite rappelé les défaillances de son modèle économique. Janvier a donc donné à Obama l’occasion de rassurer et de rassembler une opinion inquiète. Ce qui a contraint les républicains à faire bloc derrière lui. La vie politique américaine n’a ainsi pu reprendre son cours normal qu’une semaine avant le discours sur l’état de l’Union sur une base nouvelle : Obama est remonté dans les sondages et les républicains bénéficient encore de l’élan des midterms. Chacun des deux camps capitalise de fait sur une popularité équivalente.
Depuis janvier, un consensus bipartisan original s’est ainsi élaboré devant les inquiétudes de l’opinion américaine. Pourtant en décembre, le passage en force du traité START (lors de la lameduck session) laissait présager une opposition frontale avec les républicains. Mais Obama a su jeter les bases du consensus en passant un accord avec le GOP sur les réductions d’impôts sur les sociétés. Puis au Sénat, où les démocrates ont encore la majorité, ce consensus a pris la forme mardi 18 janvier d’une entente avec les républicains pour encadrer le recours à la procédure dite du filibuster (qui permet d’entraver toute initiative législative par des discussions interminables). Au plan symbolique, c’est toujours ce consensus que les parlementaires des deux partis ont voulu montrer en se mélangeant dans l’assistance lors du discours présidentiel.
Derrière cette volonté d’unité affichée face aux enjeux auxquels le pays doit faire face, le jeu politique donne cependant toujours lieu à des confrontations. À la Chambre des représentants, majoritairement républicaine, la loi de la réforme de la santé a été abrogée mercredi 19 janvier. C’était une promesse des républicains, qui avaient fait la campagne des midterms sur le thème des déficits budgétaires induits par le « trop-d’Etat ». Mais c’est une victoire uniquement symbolique. Ce rejet ne peut en effet pas passer (Obama ferait de toute façon valoir son droit de veto). De plus, le sort de Gabrielle Giffords (la victime démocrate de Tucson, ardente défenseur de cette réforme) qui avait remobilisé l’opinion autour d’Obama n’a pas manqué d’être évoqué par la gauche lors des débats à la Chambre. Entre républicains et démocrates, le rapport de force est donc serré.
Mais une partie plus intéressante s’est jouée aussi entre les républicains eux-mêmes. En accédant à la majorité à la Chambre, ils avaient promis d’économiser 100 milliards de dollars par an sur le budget fédéral. Or P. Ryan s’est rapidement heurté à des résistances, donnant lieu à un véritable casse-tête pour réussir à économiser 60 milliards, au lieu des 100 espérés. Des divisions sont alors nées au sein du GOP avec les Tea Partiers, partisans du moindre Etat. C’est pourquoi une semaine avant le discours présidentiel, M. Bachmann était désignée par le Tea Party pour interpeller séparément Barack Obama sur ces questions budgétaires, exposant publiquement ces dissensions dans le camp républicain.
Du pain béni pour Obama, qui regagne en popularité et peut anticiper 2012. Il n’est d’ailleurs pas le seul. Pléthore de républicains aussi populaires ont aussi déclaré cette semaine leur candidature aux sénatoriales comme à la présidentielle. Seulement, contrairement à ceux-ci, Obama est seul à gauche. Surtout, il a su garder en janvier l’initiative du jeu politique. Il est populaire parce qu’il s’est montré très actif. Les républicains le sont encore, mais à cause d’Obama, ils n’ont pu faire mieux que profiter passivement de l’élan des midterms. Or ils sont maintenant chargés du lawmaking quotidien qui avait côuté à Obama ces élections de mi-mandat. Ce que n’avait donc pas vu venir la droite, c’est qu’il lui était désormais loisible de (ré)incarner les valeurs américaines et de faire valoir sa vision présidentielle au-delà des considérations partisanes.
Le discours sur l’état de l’Union est un moment privilégié de la politique américaine pour battre le rappel de l’unité nationale et professer de grandes idées. Dans son intervention, Barack Obama a ainsi réaffirmé que les États-Unis ont été, depuis deux cent ans, le phare du monde et qu’il n’était pas question qu’il n’en soit plus ainsi. Le président a endossé le rôle de guide d’un pays inquiet, en quête de repères dans un contexte de grave crise économique. Il a puisé dans l’histoire pour rappeler que les États-Unis avaient vu naître l’ampoule électrique et Google. Il a, de fait, encouragé ses concitoyens à retrouver cette capacité immémoriale à innover et à se réinventer. Signe que les temps sont à la lutte technologique et idéologique face au développement de la Chine et de l’Inde, le président a réclamé que l’Amérique entre dans son ‘moment Spoutnik’ : investissement massif dans les technologies de l’information, la recherche biomédicale et le développement des énergies propres. Il a d’ailleurs fixé comme objectif de voir circuler un million de voitures électriques en 2015 et de réduire les cadeaux fiscaux faits aux groupes pétroliers. Autre grande idée : la réforme du système scolaire primaire et secondaire. L’ambitieux programme ‘Race to the Top’ a été lancé, mais le président est resté discret sur son contenu.
Mais au moment où l’industrie automobile accentue sa reprise, où BP prospecte en Alaska, où Carol Browner – la conseillère pour l’environnement – donne sa démission, il est probable que ces vibrants appels à la conscience et à l’initiative américaines resteront des vœux pieux. D’ailleurs, ces déclarations d’intention ont, évidemment, peu convaincu les républicains qui n’ont vu derrière les ‘investissements’ que des hausses d’impôts. Il n’empêche : Obama s’est voulu rassembleur et novateur envers l’opinion comme envers les partis. Il les a appelés à travailler ensemble pour jeter les bases d’un nouveau système économique : rigueur budgétaire, gel des dépenses gouvernementales, abaissement des impôts qui pèsent sur les entreprises, relance des investissements en simplifiant le système et en uniformisant les règles.
Dans un contexte plutôt favorable, Barack Obama a renoué avec un ton idéaliste et visionnaire. N’ayant plus la main sur le lawmaking, il retrouve le souffle qui l’animait lorsqu’il n’était que candidat. Car il ne faut donc pas s’y tromper : Obama pense déjà à 2012. Un savant jeu de chaises musicales au sein de l’administration fait clairement apparaître ses ambitions : Chicago est prêt à redevenir son bastion (Rham Emanuel, ancien chef de cabinet de la Maison Blanche, brigue la mairie) ; une équipe de conseillers se met discrètement en place : Robert Gibbs et Paul Volcker ont démissionnés pour pouvoir être plus disponibles pour préparer 2012 et ont été remplacés par des fidèles ; enfin, un message clair a été envoyé au monde des affaires en nommant Jeffrey Immelt, William Dailey et Gene Sperling à des postes clés.
Face à un pays encore morose et une population qui considère, à 20%, la Chine comme ‘le plus grand danger’ pour les États-Unis (sondage réalisé par le Pew Research Center), Obama retrouve une stature de président veillant aux intérêts et aux destinées de la nation. Il est le président qui rassemble, qui rassure et qui en appelle fréquemment dans ses discours à la mémoire des Kennedy, Eisenhower et autres Roosevelt pour restaurer un sentiment de puissance un peu érodé dans ces temps de crise. Une crise que les Etats-Unis ont initiée et qui les oblige maintenant à solliciter la Chine en vue d’une réévaluation du yuan pour s’en sortir. Obama réussira-t-il encore à faire rêver l’Amérique ? Il ne faudra certainement pas attendre 2012 pour le savoir.