17.12.2024
Secteur énergétique iranien : des nouvelles actions américaines viennent compliquer la donne
Tribune
28 janvier 2011
Ces mesures indiennes ne manqueront pas d’inquiéter l’Iran, qui réagit en refusant de traiter qu’à travers l’ACU, sachant que la vente de brut iranien, qui passe en partie par l’ACU, est au cœur de l’économie du pays, constituant 83.4% de ses exports et 70% des recettes budgétaires de l’Etat. (3) Cette relation avec l’ACU remonte à sa création en 1974 sous les auspices des Nations Unies, dans le cadre d’un mandat visant à facilité les paiements entre les pays de l’Asie du sud (Bangladesh, Bhoutan, Birmanie, Inde, Iran, Maldives, Népal, Pakistan, Sir-Lanka). (4)
D’un autre côté, I ndia’s Reliance Industries Limited a décidé d’arrêter son transport de gazoline vers l’Iran en juin 2009, précédant et anticipant les sanctions américaines concernant les produits pétroliers raffinés. Les projets pétrolifères d’envergure envisagés avec des entreprises américaines ont indéniablement influencé cette prise de décision indienne, qui fut confirmée début 2010 par le non renouvellement des contrats liant la compagnie indienne et l’Iran. (5)
Les décisions du gouvernement indien s’inscrivent dans le cadre d’un effort général initié par les États-Unis, dans le but d’asphyxier le secteur énergétique iranien. Les pays européens ont déjà arrêté tout transfert technologique et tout investissement dans le secteur énergétique iranien, mettant l’Iran dans une situation délicate en termes de production de brut et de gaz naturel. Mais pénalisant durement, à la même occasion, les compagnies européennes en les privant d’un marché lucratif, là où des compagnies comme Total ou BP envisageaient d’entreprendre des projets importants. Sans oublier les sanctions américaines qui ont frappé durement certaines compagnies du secteur.
Néanmoins, les Iraniens réussissent à contourner les sanctions d’une façon indirecte grâce à une coopération entre BP et des compagnies comme NaftIran dans le cadre de projets communs. Comme en Azerbaïdjan, avec une co-entreprise englobant d’autres compagnies étrangères (6) ; ou même en Mer du Nord (site de Rhum) avec une joint-venture 50/50. (7) NaftIran basé en Suisse, et qui détient 24.683.858 actions de BP d’une valeur de 775 millions$ selon Bloomberg, est fortement subventionnée par le gouvernement iranien selon les services de renseignement Occidentaux. (8)
L’administration Obama continue sur le chemin des sanctions et de l’effort anti iranien, au niveau international, à travers plusieurs mesures visant le secteur énergétique :
– En exposant le rôle des Pasdarans (Corps des Gardiens de la Révolution Islamique) dans l’exportation du brut iranien, via l’identification de la chaîne d’écoulement du brut iranien, qui permet de désigner les entreprises impliquées dans le processus, et à la même occasion celles qui traitent avec les Pasdarans parmi ces entreprises (sans oublier que les Gardiens de la Révolution sont présents dans tous les secteurs clefs du pays). Cela oblige les entreprises internationales à réagir et à limiter la coopération avec les entreprises désignées, dans le souci d’éviter toute répercussion négative sur leurs relations commerciales –en cours ou en vue- avec les compagnies occidentales, et compliquant de ce fait les desseins énergétiques de l’Iran. Cette approche trouve un écho grandissant, au niveau international, depuis la répression violente des manifestants lors des événements qui ont suivi la réélection contestée d’Ahmadinejad à la présidence de la république islamique en 2009.
– A travers la résolution 1929 du Conseil de Sécurité, adopté en juin 2010 et qui établit un lien entre le secteur énergétique (en visant les importations de produits pétroliers raffinés, le transport du brut, et le secteur bancaire) et le programme nucléaire iranien. (9)
– Avec le durcissement de la législation américaine. Mais aussi en incitant les pays européens à durcir la législation européenne, prohibant tout commerce avec les entreprises affiliées aux Pasdarans . L’illustration de cette initiative est la décision de sanctionner la P ars Oil & Gas Company , qui est désignée comme compagnie écran, impliquée dans le développement de plusieurs gisements de brut et de gaz au Moyen-Orient (10), notamment au champ pétrolifère d’Azar avec une exploitation partagée avec l’Irak. (11) Un autre exemple est l’arrêt de l’exploitation du site de Rhum en mer du Nord (déjà mentionné) depuis le 16 novembre 2010, suite à une décision de BP qui attend plus de « clarifications » de la part du gouvernement britannique concernant les nouvelles mesures européennes. (12)
Les pressions de Washington peuvent aussi s’appliquer d’une manière indirecte, avec une augmentation de la production et de l’exportation de brut à l’échelle mondiale. Une augmentation qui est décelable à travers le nombre de tankers quittant les ports de l’Arabie Saoudite, et qui est estimée de l’ordre de 600milles b/J (qui se rajoute à la moyenne de 9millions b/j) ; néanmoins cette tendance reste à confirmer dans les mois à venir. (13) Cette volonté américaine peut expliquer la livraison de nouveaux permis de forage par l’administration Obama, permis accordés pour des projets dans le Golfe du Mexique, et cela sans imposer de conditions environnementales draconiennes quelques temps seulement après la période de gel des forages qui a suivi le désastre environnemental de l’été 2010. (14) A noter qu’une augmentation de production, donc de l’offre, permettra de faire chuter les cours du brut sur les marchés mondiaux.
Ces mesures affecteront sérieusement la capacité iranienne à exporter du brut car l’Iran aura du mal à maintenir le même niveau d’exportation (avec une production qui a déjà chuté de 3.3% par rapport à 2008). La république islamique continue néanmoins d’assurer 5.3% de la production mondiale, avec 2.2/6 millions b/j, à un prix qui frôle les 100$ le baril. (15)
Avec les nouvelles sanctions les États-Unis durcissent les mesures contre l’Iran, sans que celles-ci ne provoquent une hausse des prix du brut, qu’une démonstration de force militaire dans la région causerait inévitablement. Cela permet d’éviter un effet boomerang, qui mènerait à plus de revenus pour le régime iranien. Et cela n’élimine par pour autant toute chance d’avancement ou d’entente sur le dossier du nucléaire, ce qui reste envisageable malgré l’échec des dernières négociations entre Téhéran et les six médiateurs (Allemagne, Chine, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Russie) à Istanbul. Ces mesures peuvent être aussi les dernières avant le désengagement américain d’Irak et d’Afghanistan, qui permettra un autre genre de mesures face à l’intransigeance de Téhéran.
(1) Reserve Bank of India
(2) ACU
(3) Encyclopaedia Universalis, 2011
(4) ACU
(5) UPI.com, India’s Reliance backs away from Iran
(6) BP
(7) Iranian Oil Company UK Ltd
(8) Massimo Calabresi, « Sleeping with the enemy : BP deals with Iran »,Time, 16.06.2010
(9) Résolution 1929, du Conseil de Sécurité des Nations Unies
(10) Mark Dubowitz, « Killing Iran’s Energy Industry » Wall Street Journal, 2.01.11
(11) Teheran Times, du 7.11.10
(12) BP
(13) Discussion avec Francis Perrin, Directeur de la revue « pétrole et gaz arabe », le 20.01.11
(14) The Bureau of Ocean Energy Management, Regulation & Enforcement, 3.01.11
(15) BP Statistical Review, juin 2010