20.12.2024
Espagne, laboratoire des contradictions européennes
Tribune
13 juillet 2010
Au Viva España madrilène , a répondu le même jour les Viva el Barça , le célèbre club barcelonais ayant constitué l’armature de l’équipe nationale espagnole. Quand on saura que son avant dernier président, Joan Laporta, s’est lancé en politique pour défendre la légitimité de la souveraineté catalane tandis que le Parti populaire a signalé que la journée du 11 à Johannesbourg allait effacer celle du 10 à Barcelone, on comprendra qu’entre football et politique les rapports outrePyrénées relèvent d’une géopolitique complexe. L’Espagne, née en 1492, est un vieil Etat européen. Mais faute de révolution industrielle et démocratique, les consensus politiques et territoriaux ont été tardifs et douloureux. Les sentiments collectifs, à la différence de la France, sont partagés. La frontière identitaire, entre Espagnol et Catalan, Espagnol et Basque, Espagnol et Valencien, Espagnol et Galicien, n’est pas nécessairement géographique. Elle partage les cœurs, qui vont de l’un à l’autre selon les circonstances. Espagnol le 11, Catalan le 10, tout est fonction du contexte.
Et le contexte à Barcelone est aujourd’hui très européen et anti-madrilène. La quasi-totalité des partis catalans avaient proposé en 2004 un ajustement institutionnel, une réforme du statut d’autonomie, reconnaissant le caractère de nation à la Catalogne. Le parlement catalan, le parlement de Madrid, les électeurs catalans consultés par référendum l’avaient adopté en 2006. Le parti populaire seul contestait le bien fondé de cette réforme. Il a saisi le Tribunal Constitutionnel, qui formé de juges nommés par les partis politiques, a mis quatre ans avant d’arriver à trouver un consensus. Le Tribunal a contesté le caractère de nation affirmé dans le statut version 2006. Ce refus des juges a provoqué la manifestation du 10, organisée par l’ensemble des forces politiques catalanes, des communistes aux nationalistes, en passant par les socialistes et les écologistes, à l’exception du parti populaire. Le paradoxe de cette situation est d’autant plus grand que le parti populaire est totalement opposé à l’introduction d’une éducation citoyenne nationale, d’une instruction civique, dans les collèges. Contraint par une décision ministérielle, Francisco Camps président de la région de Valence, membre du parti populaire, a par exemple décidé de faire enseigner dans sa région l’éducation civique espagnole, en anglais (2) .
En Belgique, le parti flamand qui a emporté les dernières élections a mis en avant son esprit européen, et le caractère évolutif et pacifique de ses ambitions nationales. Les partis autonomistes, régionalistes, nationalistes basques, catalans, galiciens d’Espagne partagent ce point de vue. Plus Bruxelles capte de nouvelles compétences et plus la centralité nationale s’efface. Avec Schengen, les douaniers et la police des frontières ont disparu. Avec l’Euro, la monnaie, symbole fort du pouvoir central, a également disparu. Le sport il est vrai reste l’ultime réduit des nations. Mais jusqu’à quand ? Les pouvoirs régionaux basques et catalans réclament haut et fort depuis plusieurs années la possibilité de pouvoir aligner leurs équipes « nationales ».
(1) In El Pais, Madrid, 16 janvier 2008
(2) Jean Jacques Kourliandsky, « Espagne, la nation introuvable », in Füsun Türkmen, coord., Turquie, Europe : le retour des nationalismes ?, Istamboul-Paris, Un. Galatasaray-L’Harmattan, 2010