17.12.2024
La forêt, un enjeu croissant dans la lutte contre le réchauffement climatique
Tribune
21 mai 2010
L’ampleur de la déforestation
La déforestation, en augmentation notamment du fait de la production agricole alimentaire, des biocarburants, de l’élevage, du bois de chauffe, de la culture sur brûlis, représente actuellement entre 17 et 20 % des émissions mondiales de carbone. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime que chaque année, 13 millions d’hectares de forêts tropicales disparaissent. Or, les forêts sont de véritables puits de carbone. Constitué à 50 % de carbone, le bois en absorbe par le principe de la photosynthèse tout au long de sa période de maturité. Ainsi la forêt constitue un piège naturel du CO2 (2), d’où les émissions de gaz à effet de serre (GES) relâché dans l’atmosphère lors de la destruction des forêts.
Malgré un recul durant la décennie 2000-2010, « la déforestation mondiale se poursuit à un rythme alarmant dans de nombreux pays » (3). Globalement dans les pays industrialisés, le couvert forestier a augmenté alors que dans les pays en développement (PED) la déforestation se poursuit. Ce sont les continents africain et sud-américain qui ont subi les pertes annuelles nettes de forêts les plus importantes sur la dernière décennie (4).
Les outils de lutte contre la déforestation
Il est impératif pour les grands bassins forestiers au monde (Afrique, Amérique latine et Asie) de préserver leurs forêts.
Pour ce faire, il existe le mécanisme REDD. Créé en 2007, il est le plus avancé des outils de lutte contre la déforestation. A destination des PED, ce mécanisme onusien a pour objectif de rendre la conservation et la protection des forêts plus « rentable » que la poursuite de leur dégradation, et ce par le biais d’une incitation financière. En effet, le REDD offre une rémunération (sous forme d’aide publique internationale ou de crédit carbone) aux pays qui réduisent leurs émissions issues de la destruction et de la dégradation de leurs forêts. Il était initialement prévu une réduction de la déforestation d’un quart d’ici 2015, de la moitié d’ici 2020 et une éradication totale en 2030, mais cet objectif a dû être revu à la baisse lors de la COP15 faute d’engagements de financement à ces échéances.
REDD a été complété et transformé en REDD + lors de la quinzième Conférence des Parties. Institué dans l’Accord de Copenhague, REDD + est un grand pas en avant. Au-delà de l’action sur les émissions dues à la déforestation, REDD + a pour objectif de favoriser la conservation, la gestion durable des forêts et la conservation des stocks de carbone forestier dans les PED. Il se compose de deux étapes complémentaires. La première consolide les stratégies nationales afin de lutter contre les causes structurelles (production agricole, croissance démographique, etc.) et institutionnelles de la déforestation (corruption, absence de droits fonciers, etc.). La deuxième phase est la phase opérationnelle où le mécanisme incitatif et rémunérateur est mis en place pour les pays bénéficiaires. C’est cette phase qui doit être mise en place pour la période post-2012, soit dans moins de deux ans (5).
Le difficile passage à la phase rémunératrice.
REDD + offre donc la possibilité aux pays forestiers de conserver leurs forêts contre une rémunération. Le problème est que lors de la mise en place de la deuxième phase du processus, les pays bailleurs de fonds peuvent retirer leur participation financière puisqu’il n’existe aucun engagement contraignant. En témoigne le résultat de l’initiative Yasuni en Equateur sous l’égide de l’UNESCO et l’UNITAR (6). Le gouvernement équatorien était d’accord pour ne pas exploiter les ressources pétrolières de cette forêt afin de protéger la biodiversité, et ce, contre une compensation financière. Il n’y avait eu que des engagements verbaux, et lors de la Conférence de Copenhague, les pays qui s’étaient engagés à rémunérer cette initiative se sont retirés.
C’est en partie afin de concrétiser les engagements financiers déjà prononcés et d’en trouver de nouveaux que les gouvernements norvégien et français ont organisé la Conférence internationale des pays forestiers à Paris le 11 mars dernier. Réunissant 54 délégations des grands bassins forestiers (Amazonie, bassin du Congo, d’Indonésie, de Papouasie Nouvelle-Guinée, de Malaisie, de Russie pour les principaux), des PED pour la plupart ainsi que 12 représentants de pays bailleurs de fonds, cette conférence est une réelle mise en avant de l’enjeu de la forêt dans la lutte contre le réchauffement climatique.
L’objectif du Club des amis de la forêt – comme l’a appelé Jean-Louis Borloo, ministre de l’Ecologie français – est de recenser l’ensemble des projets et des financements existants et futurs dédiés aux forêts, mais surtout de trouver les financements manquants. La somme nécessaire a été évaluée à 6 milliards de dollars par an sur la période 2010-2012, soit 20% de la somme prévue à court terme pour l’adaptation et l’atténuation du changement climatique au profit des PED dans l’Accord de Copenhague (7). Or, les engagements formulés par les six pays industrialisés engagés (Australie, Etats-Unis, France, Japon, Norvège et Royaume-Uni) ne se montent aujourd’hui qu’à 3,5 milliards de dollars (8). Lors de son discours d’ouverture, Nicolas Sarkozy a proposé de trouver des fonds par la taxation des transactions financières, proposition qu’il souhaite soutenir lors du prochain G20. Sans attendre cette échéance, il pourrait y avoir une accélération de la mise en œuvre de la protection des forêts à la fin du mois de mai à Oslo lors de la seconde conférence internationale des pays forestiers. En effet, sans pour autant l’avoir chiffré, l’Allemagne, l’Espagne, la Slovénie, et la Commission européenne se sont engagés à participer au financement du REDD +. En outre, les Etats-Unis se sont engagés, en marge de la Réunion des pays développés des 18 et 19 avril dernier, à verser 1 milliard de dollars.
Les pays forestiers disposent donc d’un moyen d’action dont le rôle va aller croissant dans la lutte contre le réchauffement climatique. En revanche, cette problématique forestière soulève un questionnement quant au statut des forêts mondiales. Les pays bailleurs de fonds souhaitent que ces puits de carbone relèvent d’une gestion internationale, alors que les gouvernements des pays forestiers souhaitent que ces richesses restent dans le domaine national afin de les gérer comme ils l’entendent.
1/ Accord de Copenhague (version anglaise)
2/ Selon la FAO, les forêts emmagasinent quelque 289 giga tonnes de carbone dans les arbres et la végétation.
3/ Enquête de la FAO sur les forêts, l’Evaluation des ressources forestières mondiales 2010.
4/ Respectivement de 4 millions et de 3,4 millions d’hectares, selon l’Evaluation des ressources forestières mondiales 2010 de la FAO.
5/ Le Centre d’analyse stratégique de Paris estime qu’elle ne le sera probablement pas avant 2018, Les pré-requis pour une lutte efficace contre la déforestation, note de veille, mars 2010.
6/ Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO). Institut des Nations unies pour la formation et la recherche (UNITAR)
7/ L’Accord de Copenhague prévoit des fonds (de court et de long terme) pour l’adaptation et l’atténuation du changement climatique au profit des PED alimentés par les pays industrialisés et gérés par le « Fond vert climat » – entité créée à Copenhague afin de gérer le fonctionnement du mécanisme financier de la CCNUCC. A court terme, le financement prévu se monte à 30 milliards de dollars sur 3 ans (2010-2012) et sera alloué à l’adaptation en priorité des pays les plus vulnérables, soit l’Afrique et les petits Etats insulaires. A plus long terme, il est prévu d’engager 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020.
8/ Une étude du cabinet McKinsey estime que 15 à 25 milliards de dollars seraient nécessaires d’ici à 2015 pour réduire la déforestation de 25 %.