L’opportunité Google
Tribune
19 février 2010
Des critiques si appuyées que ça ?
La Chine est, sans surprise, le régime le plus en pointe en ce qui concerne le contrôle de l’information sur Internet, les attaques virtuelles, et les tentatives de déstabilisation des dissidents, qu’ils soient en Chine ou à l’extérieur du territoire. Pékin a même considérablement progressé sur ces questions au cours des dernières années, au point de surpasser les puissances occidentales, tout en servant d’exemple à suivre dans la capacité d’identifier et poursuivre des sites pédophiles, nazis, ou de toute autre nature.
Avec les attaques relevées sur Google, ce n’est donc pas d’un scoop dont s’est emparée l’administration Obama, mais des pratiques connues de tous. Mais en évoquant un « rideau de l’information », Hillary Clinton a placé l’affaire au niveau politique, usant d’un vocabulaire utilisé au temps de la Guerre froide, et poussant de nombreux observateurs à faire état d’une nouvelle Guerre froide entre les Etats-Unis et la Chine. Encore, pourrait-on dire, quand on constate que ce thème a été développé à de multiples reprises depuis la disparition de l’Union soviétique, que ce soit à l’occasion de la crise Chine-Taiwan de 1995, le bombardement « accidentel » de l’ambassade chinoise à Belgrade en 1999, l’affaire de l’avion espion dans le Hainan en 2001, ou encore les multiples rapports (dont le fameux Cox), études et travaux consacrés à cette question. Depuis vingt ans, les « China watchers » guettent toutes les déclarations, postures et tensions susceptibles de leur donner raison, et que nous sommes bien entrés dans une nouvelle Guerre froide.
Que ceux qui craignent un retour de la bipolarité se rassurent : nous n’en sommes pas là, et le schéma de la relation Washington-Moscou n’a aucune chance de se reproduire dans le cas de la Chine. D’ailleurs, les critiques d’Hillary Clinton ne sont pas si appuyées que cela. A peine une remarque de forme sur le fait que la Chine devrait se montrer plus transparente, et conduire une enquête sur cette affaire. Pas grand-chose à voir avec l’évocation de « l’empire du mal » de Ronald Reagan, pour ne citer qu’un exemple.
Détail intéressant d’ailleurs, si les Etats-Unis se positionnent en défenseur de la liberté d’expression sur Internet, le message d’Hillary Clinton consiste plus à inciter les entreprises américaines comme Google au courage qu’à annoncer un bras de fer politique entre la Chine et les Etats-Unis. « J’espère que le refus de soutenir la censure politique va devenir une caractéristique des entreprises américaines dans le secteur des technologies. Je voudrais que cela devienne comme une marque nationale », a ainsi déclaré la secrétaire d’Etat. Et le département d’Etat a souligné qu’il n’était « pas le bras armé de Google en politique étrangère » et qu’il s’agissait d’un problème entre des entités « privées et le gouvernement chinois », comme pour mieux rappeler que cette affaire ne signifie pas une crise politique entre les deux pays.
Il y a donc un certain décalage entre les propos de la secrétaire d’Etat et la manière dont ils furent présentés, et plus encore avec les réactions qu’ils suscitèrent.
Une opportunité pour l’administration Obama, et pour le Département d’Etat
Certains médias se sont interrogés sur la posture de Google. Le géant d’Internet se placerait-il désormais en défenseur de la liberté d’expression, ou chercherait-il à faire un immense coup de publicité, sachant que sa présence en Chine est importante, mais nettement en deçà de celle de Baidu, le serveur chinois, qui représente plus de la moitié du marché. On pourrait se poser la même question à l’égard de l’administration Obama.
Après un an à la Maison-Blanche, et malgré l’ampleur des réformes entreprises, l’administration démocrate fait face à des difficultés politiques importantes (avec notamment la perte du soixantième et crucial siège au Sénat), et de nombreux américains se disent, sinon déçus, en tout cas moins enthousiastes que lors de la prestation de serment de Barack Obama, il y a tout juste un an. La côte de popularité du président américain stagne d’ailleurs à 50%, bien en-deçà des chiffres qui avaient accompagné son arrivée à la Maison-Blanche. Une fin de lune de miel prévisible, mais qui impose de retrouver un second souffle. Parallèlement, la politique chinoise de l’administration Obama s’est teintée d’un fort pragmatisme, par nécessité plus que par choix, et afin de ne pas s’aliéner Pékin dans la réponse à apporter à la crise économique internationale, véritable priorité du président américain. Cette politique de complaisance à l’égard de la Chine, illustrée par les négociations à Copenhague ou la visite d’Obama en Chine, est parfois mal perçue par les Américains, qui souhaitent voir leurs dirigeants se montrer plus ferme vis-à-vis de la puissance émergente. A ce titre, une plus grande fermeté sur un sujet facile, et pour lequel Pékin ne peut adresser de reproches à Washington aussi fermes que sur les échanges commerciaux, la politique monétaire ou le budget de défense, était une opportunité à saisir pour rassurer les Américains sur le fait que leur pays est encore capable de se dresser face à la Chine. En apparence du moins.
Hillary Clinton avait de son côté toutes les raisons de s’emparer du dossier Google. Se montrant d’une fermeté sans égal à l’égard de la Chine quand elle était en campagne pour les primaires démocrates face à Barack Obama (avec notamment les demandes de boycott de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Pékin), la secrétaire d’Etat a depuis son entrée dans l’administration fait profil bas. Sa visite en Asie en février 2009 fut ainsi marquée par son silence éloquent sur la question des droits de l’Homme en Chine, là où de nombreuses associations et dissidents attendaient pourtant un geste significatif.
Dans ce contexte, l’ancienne First-lady ne pouvait laisser filer l’occasion de rappeler à la Chine, mais aussi et surtout aux Américains, que si pragmatisme il y a dans la relation Chine – Etats-Unis, cela ne doit pas nécessairement se traduire par une faiblesse de Washington. Et que de son côté elle n’a pas modifié son regard sur la défense des droits de l’homme depuis son arrivée à Foggy Bottom. Et comme elle bénéficie sur la politique asiatique de Washington d’une marge de manœuvre importante, il était quasi inévitable qu’elle monte en première ligne sur l’affaire Google.