ANALYSES

Le land grabbing : une pratique d’une nouvelle ampleur

Tribune
14 décembre 2009
Face à la flambée des cours des matières premières, cette ruée vers des terres agricoles n’est autre que la manifestation de l’inquiétude des Etats pour assurer leur sécurité alimentaire. Selon l’OCDE, les cours des denrées agricoles devraient se maintenir à des niveaux élevés pendant les dix prochaines années. Tous les prix augmenteront, avec en tête l’huile végétale (+ 50%), le beurre (+ 30%), le blé (+ 20%), le riz et le sucre (+ 10%). De plus, avec la courbe des naissances annonçant plus de 9 milliards d’hommes à nourrir d’ici à 2050, le grignotage des terres pour cause de biocarburants, l’explosion urbaine et la spéculation financière, cette tendance à la ruée vers les terres agricoles ne risquent pas de s’atténuer.

Objectif : la sécurité de l’approvisionnement alimentaire à long terme

Selon la FAO, les pays riches achèteraient d’immenses terrains dans toute l’Afrique subsaharienne afin d’y créer des exploitations agricoles destinées soit à l’alimentation, soit à la production de biocarburants, dans le but d’assurer leurs approvisionnements alimentaires à long terme.

Quelques exemples marquants illustrent ce phénomène. L’Etat soudanais cède 880 000 hectares de terre arable pour 670 millions d’euros. Le Qatar a déjà acheté 200 000 hectares à Khartoum pour nourrir du bétail. L’Arabie saoudite et l’émirat d’Abu Dhabi négocient. L’Arabie saoudite est prête à débloquer 100 millions de dollars pour investir dans des fermes en Egypte, en Turquie et même en Ukraine. La Chine poursuit la même stratégie pour répondre à l’appétit croissant de sa population, au Cameroun notamment. Le Cambodge loue ses rizières au Koweït. La Corée du Sud a jeté son dévolu sur la Mongolie.

En 2006, Pékin a signé des accords de coopération agricole avec plusieurs Etats africains qui ont permis l’installation de 14 fermes expérimentales en Zambie, au Zimbabwe, en Ouganda et en Tanzanie. Enfin, en novembre 2008, Daewoo Logistics a annoncé un projet d’achat d’une concession de 1 million d’hectares à Madagascar pour une durée de 99 ans. La société sud-coréenne veut y cultiver 5 millions de tonnes de maïs par d’an d’ici à 2023 et produire de l’huile de palme à partir d’une autre concession de 120 000 hectares, en faisant appel à une main-d’œuvre principalement sud-africaine. La production serait destinée avant tout à la Corée du Sud.

Une stratégie purement économique derrière le label de la sécurité alimentaire ?

Le stratégie de ces Etats et multinationales est donc la recherche de vastes étendues de terre cultivable à acquérir dans le but de nourrir leurs populations en plein essor, et ce sans avoir recours au commerce international. Des coopérations politiques, économiques et financières qui tournent autour de contrats fonciers se sont donc mises en place. Cependant, avec l’avènement de la crise financière mondiale entre autre, on observe une autre catégorie d’acteur « accapareurs de terres », qui ne semble pas afficher une réelle volonté de sécurité alimentaire. Ce sont les fonds de couverture, les groupes de capital-risque, les banques d’investissement et autres organismes du même genre. Ces entités ont compris qu’on peut faire de l’argent en investissant dans l’agriculture, parce que la population mondiale continuant à s’accroître, les prix alimentaires demeureront élevés sur le long terme ; de plus, les terres agricoles sont très bon marché. Cela leur permet donc, au prix d’un peu de technologie et de quelques compétences de gestion de diversifier leur portefeuille tout en se prémunissant de l’inflation et en garantissant leurs bénéfices, grâce aux récoltes et à la terre elle même.

Le risque majeur de cette « mondialisation » des terres agricoles est la disparition de l’agriculture paysanne dans des pays qui ne jouissent pas de la sécurité alimentaire, comme au Pakistan, au Cambodge, aux Philippines, à Madagascar, au Soudan, en Ethiopie ou encore au Mali. Même si à la FAO, les gouvernements, les agences internationales (Banque mondiale) et les entreprises privées (Yara, Bunge et Dreyfus par exemple) sont en train de décider ce qu’ils appellent des codes de conduite ou des directives volontaires (1), on peut craindre qu’il s’agisse ici d’étendre et d’installer pour de bon le modèle occidental des grandes chaînes de valeur de marchandises. En d’autres termes, la tendance apparaît donc être à la production alimentaire contrôlée par les multinationales et tournée vers l’exportation. Il favorise un système agricole tourné vers les monocultures à large échelle, les organismes génétiquement modifiés (OGM) , le remplacement des paysans par des machines, et l’usage de produits chimiques et d’énergies fossiles.

Il apparaît donc nécessaire de favoriser, dans la droite ligne développée par le G8 en juillet 2009, l’élaboration d’un ensemble de principes garantissant la transparence des grandes opérations d’acquisition de terres, le respect des droits fonciers existants ou encore le droit à l’alimentation. Enfin, face à ces méga fermes aux mains de quelques méga propriétaires, il est nécessaire que l’investissement dans la souveraineté alimentaire, dans les marchés locaux et dans les quatre milliards de ruraux qui produisent l’essentiel de la nourriture qui permet à nos sociétés de vivre, se pérennise.

(1) Ce phénomène, relégué par les instances internationales ont conduit les pays du G8 lors du sommet de juillet 2009 à L’Aquilla (Italie) à se mettre d’accord pour élaborer un ‘code de bonne conduite’ en matière d’investissement agricole international, un engagement jugé trop frileux par certaines ONG.

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