ANALYSES

La diplomatie péruvienne contre la paix des fusils

Tribune
26 octobre 2009
La nécessité de protéger des frontières est présentée par le Brésil comme d’autant plus incontournable que les pays latino-américains disposent de richesses de plus en plus convoitées et donc potentiellement menacées. A celles d’hier qui gardent une importance économique majeure, gaz et pétrole, charbon, cuivre et fer, sont venues s’ajouter de nouvelles, lithium et soja, ressources halieutiques et bois tropicaux. D’autres gouvernements ont accompagné l’argument de mises en crainte plus directes. Il peut s’agir d’un voisin jugé particulièrement et durablement agressif, la Colombie dans le cas de l’Equateur, ou le Costa Rica dans celui du Nicaragua. Ou pour le Venezuela de l’angoisse existentielle d’un pays dépendant d’une seule richesse, le pétrole. Caracas avance de façon persistante la menace latente que feraient peser les Etats-Unis, puissance proche, dévoreuse de matières premières fossiles, sur son huile, pour justifier l’achat de chars et d’avions. La signature d’un traité d’assistance mutuelle entre la Colombie frontalière et les Etats-Unis a consolidé l’appréhension.

Quelles qu’aient été les raisons avancées, elles ont toutes eu pour conséquence directe la signature de contrats avec la France, la Russie, les Etats-Unis parfois, la Chine, l’Ukraine et Israël, – la liste n’est pas limitative -, afin d’acquérir avions, sous-marins, chars, et radars en quantités diverses. Les achats les plus spectaculaires ont été ceux du Brésil et du Venezuela, respectivement à la France et à la Russie. Mais à leur échelle, les pays à revenus modestes ont suivi le mouvement. Bolivie, Equateur, République dominicaine, ont eux aussi engagé un effort inédit pour se doter en armements.

Si le Brésil peut espérer négocier avec la France des contreparties en matière d’emploi et de transfert de technologie, les autres pays sont des acheteurs secs. Tout ce qui va sortir des caisses des Etats sera pris sur d’autres dépenses, éducation, santé, sécurité publique et transport. Or même si la crise financière n’a pas soufflé en Amérique latine aussi fort qu’aux Etats-Unis et en Europe, ses retombées ont commencé à faire sentir leurs effets chez les plus fragiles et les moins développés. Le président paraguayen, Fernando Lugo, s’en est inquiété. Il a appelé ses pairs à la raison, avant de céder aux sirènes de ses généraux, inquiets du réarmement bolivien. Le Paraguay, qui n’a jamais eu d’aviation, devrait bientôt acheter une demi-douzaine de Tucanos brésiliens.

Le Pérou a été ces derniers temps l’un des pays les plus secoués, socialement par les séquelles de la crise. Tandis que ses relations avec les voisins équatorien, bolivien et chilien passaient par des moments difficiles. La crise a éveillé de vieilles querelles frontalières, que l’on pensait oubliées, héritées de la guerre du Pacifique à la fin du XIXème siècle. Le vent violent de la contestation intérieure a donné des ailes de colombe à la diplomatie péruvienne. Le président de la république, Alan Garcia, ses ministres des Affaires étrangères et de la Défense, ont donc multiplié les déplacements, pour rencontrer leurs homologues bolivien, chilien, colombien, équatorien. Les nécessités économiques et sociales pressantes et pour la plupart des interlocuteurs rencontrés, partagées, devraient selon Lima les convaincre de mettre collectivement les horloges politiques à l’heure de la sagesse coopérative.

De fait Chili et Pérou, sous la houlette de la CEPAL, la Commission économique des Nations unies pour l’Amérique latine, ont décidé la mise en place d’un instrument commun permettant de mesurer de façon transparente leurs dépenses militaires. Avec l’Equateur un programme de développement transfrontalier a été accordé. Mais le Pérou ne veut pas s’arrêter là. Il a l’intention de plaider la nécessité de négocier un pacte régional de non-agression. En novembre, ministres et parlementaires péruviens devraient partir en délégations, défendre le bien fondé de cette idée, auprès de dix gouvernements d’Amérique du sud. Avec comme seul mot d’ordre la parole du président Alan Garcia : « Les dépenses prioritaires doivent être consacrées à lutter contre la malnutrition des enfants et non à jouer avec des fusils ».