ANALYSES

Romney vs. Obama : la politique étrangère au cœur de la campagne présidentielle après les émeutes anti-américaines ?

Tribune
19 septembre 2012
Par Anna Dimitrova, Enseignant-chercheur en Relations internationales à l’Ecole supérieure du commerce extérieur (ESCE), Paris
Dans une conférence de presse donnée aussitôt après l’attaque du consulat américain à Benghazi qui a entraîné la mort de quatre américains dont l’ambassadeur des Etats-Unis en Libye Christopher Stevens, Romney s’est empressé de tenir l’Administration Obama pour responsable de ne pas avoir pris une position assez claire réaffirmant le leadership américain à l’égard de la Libye et des pays ayant vécu le « printemps arabe ». En envoyant « des messages confus » à ces pays et au reste du monde, Washington, selon Romney, n’aurait pas suffisamment défendu les valeurs américaines et cherché à renforcer la position des Etats-Unis dans la région. Il a également souligné que cette politique de « retrait » et « d’excuses » aboutirait à créer un monde plus instable aujourd’hui car, pour lui, le risque que le « printemps arabe s’estompe en hiver arabe » devient réalité. En reprenant l’une des critiques qu’il adresse fréquemment au président Obama par rapport à sa politique étrangère, Romney a aussi insisté sur le fait qu’au lieu de « s’excuser des valeurs de l’Amérique », la première réponse du gouvernement américain devrait être celle de l’indignation face à l’évidence selon laquelle « notre souveraineté n’est pas respectée ».

Les critiques de Romney ont été aussitôt dénoncées par le camp démocrate comme « précipitées » et « déplacées », son seul objectif visant à exploiter ces évènements à son avantage. Dans une interview accordée à CBS News le 12 septembre, le président Obama lui-même a déclaré que « le gouverneur Romney semble avoir tendance à tirer d’abord et à viser ensuite » et qu’un tel comportement serait inapproprié à un futur président. Néanmoins, le fait que la vague d’émeutes anti-américaines déclenchée en Egypte et en Libye se soit rapidement répandue dans plus de 20 pays du monde arabo-musulman tels que le Yémen, le Soudan, la Tunisie, le Maroc, le Liban, le Pakistan, l’Afghanistan ou encore l’Indonésie, devrait certainement placer le débat sur la politique étrangère de l’Administration Obama sur le devant de la scène politique aux Etats-Unis dans les jours et les semaines à venir.

Inspirée par une nouvelle vision du leadership américain dans un monde conçu comme interdépendant et « multipartenaire » dans lequel le rôle de leader des Etats-Unis devrait être celui d’un « partenaire primus inter pares » et non pas celui d’un hégémon, la stratégie de politique étrangère qui a fait gagner Barack Obama en 2008 visait avant tout à restaurer l’image de l’Amérique dans le monde et à réaffirmer le leadership américain en tant que « leadership moral » en s’appuyant sur le « smart power », c’est-à-dire sur la combinaison du « hard power » et du « soft power ». Aujourd’hui, cette stratégie est apparemment mise à l’épreuve. Mais si la politique étrangère du président Obama s’avère défaillante, comme l’affirme le candidat républicain Mitt Romney, ce dernier serait-il capable de proposer une stratégie plus efficace étant donné que, depuis le début de la campagne présidentielle, il a plutôt des difficultés à se positionner sur ce sujet ?

Il semble, en effet, que Romney soit davantage dans une posture critique vis-à-vis de la politique étrangère de son rival que dans la définition de son propre programme. Même si ce dernier est censé avoir été précisé dans un Livre Blanc publié le 7 octobre 2011 sous le titre « An American Century : a Strategy to Secure America’s Enduring Interests and Ideals », on s’aperçoit que ses idées manquent d’originalité lorsque Romney parle de la « restauration du leadership américain » (cette idée est également au cœur de la politique étrangère d’Obama) ou de « l’utilisation de tous les instruments de la puissance américaine par le président pour défendre et promouvoir les intérêts de l’Amérique » (Obama a toujours insisté sur le fait que le président se réserve le droit d’agir par la force si les intérêts des Etats-Unis sont menacés) ou encore du renforcement des « trois fondements de la puissance américaine », à savoir l’aspiration aux valeurs américaines, l’économie et la force militaire (Obama considère également qu’une économie forte mettant en avant les valeurs américaines est indispensable à l’efficacité de la politique étrangère). Romney réussit néanmoins tant bien que mal à se démarquer d’Obama sur les rapports que les Etats-Unis doivent entretenir avec les Etats qu’il considère comme menaçants car il y inclut la Chine, en raison de sa stratégie visant à accroître sa capacité militaire, et la Russie, définie maladroitement par lui comme « le principal ennemi des Etats-Unis » depuis le retour de Poutine au pouvoir. Enfin, un autre exemple tend à montrer que chez Romney, la critique et la rhétorique semblent l’emporter sur la substance de son programme. C’est le discours sur la politique étrangère qu’il a prononcé en Caroline du Sud le 7 octobre 2011. Dans ce discours, il reproche au président Obama d’avoir tourné le dos, d’après lui, à l’idée d’exceptionnalisme américain et d’avoir ainsi affaibli la puissance américaine en la fondant sur une stratégie mal définie qui se laisse façonner par les évènements au lieu de les influencer. Romney souligne à ce propos que « l’Amérique n’est pas destinée à être l’une des grandes puissances », mais bien le pays le plus fort dans cet équilibre de puissances. Il affirme également que « l’Amérique doit être le leader du monde, sinon quelqu’un d’autre le sera » et que les Etats-Unis doivent regagner leur place de leader incontestable dans « un siècle qui peut et doit être le siècle de l’Amérique ».

Etant donné la façon dont le candidat républicain tente de définir sa politique étrangère, il n’est donc guère étonnant que les analystes politiques soient partagés quant à la définition de sa stratégie. Certains estiment que « Romney ne parvient pas à identifier les faiblesses de la politique étrangère d’Obama puisque au bout du compte, il n’y a pas de très grandes différences entre les deux candidats sur ce sujet(1) ». La seule différence, précisent-ils, résiderait dans le dosage entre le « hard power » et le « soft power », Romney renforçant le premier au détriment du second, notamment à l’égard des Etats qu’il considère comme une menace pour les intérêts américains tels que l’Iran, la Corée du Nord, le Venezuela, le Cuba, et même, on l’a vu, la Chine et la Russie. A contrario , d’autres experts, se concentrant apparemment plus sur la rhétorique que sur le sens de ses idées, soutiennent que la stratégie de politique étrangère de Romney constituerait un retour à l’idéologie néo-conservatrice en étant basée sur « les mêmes mythes néoconservateurs qui ont fait déraper la politique étrangère de George W. Bush(2) », notamment l’idée de la prédominance américaine et de la promotion de la démocratie dans le monde par la « détermination » ( resolve ) et par la « force pour assurer la paix » ( peace through strength ).

Aussi contradictoires que ces deux interprétations puissent paraître, elles reflètent bien la difficulté éprouvée par le candidat républicain pour se définir clairement par rapport à son adversaire en matière de politique étrangère. A cette difficulté s’ajoute aussi le manque de crédibilité internationale que Romney n’arrive toujours pas à combler. Il suffit de se rappeler le « festival de gaffes », pour reprendre l’expression du Washington Post , pour qualifier la tournée du candidat républicain en juillet dernier au Royaume-Uni, en Israël et en Pologne qui ne laissera que le souvenir de bourdes diplomatiques (3).

A moins de deux mois de l’élection présidentielle, alors que les enquêtes d’intentions de vote donnent un léger avantage au président sortant face à son adversaire et que les électeurs américains continuent à faire plus de confiance à Obama qu’à Romney sur les questions de politique étrangère, le contexte international actuel donnera-t-il raison aux critiques du candidat républicain à propos des failles supposées de la politique étrangère d’Obama, notamment au Moyen Orient ? Les débats entre les deux candidats, notamment ceux des 16 et 22 octobre, qui aborderont les questions internationales, devraient nous donner quelques indications à ce propos.

(1) Aaron David Miller, « Barack O’Romney », Foreign Policy, 23 mai 2012.
(2) Bruce Jentleson & Charles Kupchan, « A Dangerous Mind », Foreign Policy, 30 août 2012.
(3) Il s’agit des remarques faites par Romney deux jours avant la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Londres remettant en cause la préparation des Britanniques à cet évènement. Il a également déclaré que la culture israélienne pourrait expliquer « l’écart économique considérable » entre Israël et les territoires palestiniens, ce qui a suscité un vif mécontentement de la part des autorités palestiniennes. Par ailleurs, Romney prône une politique américaine plus engagée à l’égard d’Israël.


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