ANALYSES

Catastrophes naturelles à Mayotte : la politique ultramarine de la France à l’épreuve

Interview
16 janvier 2025
Le point de vue de Fatou Elise Ba


Les passages des cyclones Chido le 14 décembre 2024 et Dikeledi le 12 janvier ont durement frappé l’île de Mayotte, département d’outre-mer français situé dans l’océan Indien. Les dégâts infrastructurels et humains sont considérables, et leur ampleur réelle demeure encore méconnue. Face au désastre humanitaire, la réponse de l’État français a attiré les critiques, notamment quant à sa gestion de la très importante population d’origine comorienne présente de manière illégale sur le territoire mahorais et particulièrement frappée par les intempéries. Quelle est la situation humanitaire à Mayotte ? Quelle est la stratégie mise en place par Paris pour reconstruire l’île ? Quel impact cette politique aura-t-elle pour les immigrés comoriens ? Alors que la Nouvelle-Calédonie et la Martinique sont aussi sous tension, quel diagnostic établir quant à la politique ultramarine française ? Les réponses de Fatou-Élise Ba, chercheuse à l’IRIS, en charge du Programme Humanitaire et Développement.

Le cyclone Chido a provoqué une catastrophe majeure à Mayotte. À quel point le département français était-il préparé à ce type d’évènement ? Quel est le niveau de vulnérabilité de l’île face aux crises de l’eau et de la faim ?

La situation actuelle de Mayotte, après le passage du cyclone Chido, le 14 décembre 2024, est effectivement très alarmante pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il s’agit d’un territoire qui se situe sur une zone exposée aux phénomènes cyclothymiques. La situation de dévastation s’est accentuée avec le passage de la tempête tropicale Dikeledi, qui a causé des inondations importantes dans le sud du territoire, des zones qui avaient parfois été épargnées par Chido. Mayotte présente des vulnérabilités structurelles qui ont exacerbé les conséquences du cyclone et fait face aujourd’hui à des défis sanitaires et socio-économiques majeurs. 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté nationale. Étant l’un des départements français les plus pauvres, la population n’a pas les moyens de se prémunir face aux aléas environnementaux et de mettre en place des stratégies d’anticipation des crises et catastrophes naturelles.

En effet, avant le cyclone, Mayotte se trouvait déjà dans un contexte humanitaire préoccupant. Les infrastructures de santé étaient très précaires et engorgées. L’hôpital de Mamoudzou était déjà surchargé, et les besoins en soins accentués par la forte précarité et la prolifération des maladies infectieuses comme la tuberculose ou encore la dengue. Les solutions qui étaient apportées alors au territoire mahorais étaient largement insuffisantes pour lutter contre un taux de pauvreté très élevé. Ajoutée à cela, Mayotte a connu plusieurs épisodes de sècheresse de pénurie de l’eau, avec une crise hydrique aiguë en 2023. Au milieu de l’année de 2024, l’accès à l’eau potable était encore intermittent. En début 2024, l’archipel faisait également face à une épidémie de choléra liée à l’insuffisance d’accès à l’assainissement et subissait de plein fouet les conséquences des changements climatiques. La faiblesse des infrastructures, mise au regard de l’augmentation considérable de la population sur le territoire insulaire, et donc des besoins accentués, illustre une situation déjà sous tension au moment du passage de Chido. Par ailleurs, une forte proportion de la population vivait dans des habitats précaires sans accès à l’eau courante. En effet, seuls 71 % des habitants disposaient de l’eau courante dans leur habitation début 2024. Le cyclone a rasé sur son passage de nombreux quartiers et bidonvilles très denses.

Après le passage de Chido, les chiffres officiels recensent 39 morts et plusieurs milliers de blessés. Cependant, il y aurait certainement beaucoup plus de victimes. Mayotte étant un territoire où de nombreuses personnes sont en situation irrégulière, plusieurs victimes n’ont probablement pas été décomptées.

Chido et Dikekedi ont accentué considérablement des problématiques déjà présentes à Mayotte et touchent les personnes les plus vulnérables et ont exacerbé les inégalités déjà accrues dans la répartition des ressources sur l’île. À l’heure actuelle, les risques de pénurie alimentaire et d’eau restent élevés. Par ailleurs, d’autres intempéries se préparent et menacent la sécurité humaine de Mayotte, notamment le Kashkasi, un phénomène de mousson associé à de fortes précipitations. De nombreuses fragilités se superposent sur le territoire, déjà très dépendant de l’aide extérieure.

Quelle stratégie l’État français met-il en place pour reconstruire Mayotte ? Dans quelle mesure ce processus pourrait-il impacter la vie des centaines de milliers de Comoriens immigrés vivant de manière illégale sur le territoire ?

Face à un niveau de pauvreté important, plusieurs ONG ont pointé du doigt le sous-investissement de l’État français à Mayotte notamment dans le système de santé, dans l’accès au logement et à l’éducation. Par ailleurs, les acteurs de la solidarité attendent que le plan de reconstruction de Mayotte réponde aux problématiques structurelles de l’archipel.

L’État français doit opérer urgemment face à la crise à Mayotte et l’ampleur des dégâts causés un mois après le passage de Chido. En déplacement à Mayotte le 30 décembre, le Premier ministre français François Bayrou a présenté le plan « Mayotte debout ». À la suite de cela, un projet de loi d’urgence pour Mayotte a été adopté le mercredi 15 janvier en commission des affaires économiques à l’Assemblée nationale. Cette loi vise reconstruire les logements des personnes sinistrées, ainsi que les infrastructures, mais également à investir dans des mesures plus « structurelles » selon le ministre des Outre-mer, Manuel Valls. Cependant, l’opposition estime ce texte insuffisant par rapport aux nombreux défis auxquels Mayotte fait face, textequi sera normalement examiné dans l’hémicycle le 20 janvier 2025.

L’Union européenne a également prévu une initiative solidaire auprès des communautés exposées à Chido à Mayotte et au Mozambique à travers une aide humanitaire d’urgence. Spécifiquement concernant Mayotte, le mécanisme de protection civile de l’UE a été mobilisé. Un soutien supplémentaire à Mayotte pour faire face aux catastrophes naturelles pourrait être envisagé.

La catastrophe sur l’île a donné lieu à plusieurs prises de position de la part des politiques français. L’immigration clandestine et la construction d’habitat illégale sont mises en cause par la classe politique au pouvoir. Par ailleurs, la tragédie Chido a cristallisé les ressentiments des Mahorais sur la question migratoire. Il faut savoir que les immigrés clandestins représentent la population la plus vulnérable du territoire insulaire et la plus exposée aux aléas environnementaux. Nombre d’entre eux vivaient dans des bidonvilles détruits par les cyclones.

Il a notamment été évoqué par le gouvernement français un durcissement de la lutte contre l’immigration à Mayotte de manière corrélée au plan de reconstruction urgente avec une volonté de réforme du droit du sol à Mayotte par le gouvernement Bayrou. À Mayotte, la moitié de la population est issue de l’immigration clandestine et vit pour la plupart dans une grande précarité. Cette population n’est généralement pas éligible aux prestations sociales et a moins accès à l’emploi stable. Sur le territoire, la question migratoire à Mayotte est majoritairement gérée de manière sécuritaire par l’État régalien, à travers des initiatives telles que l’opération Wuambushu de 2023 qui visait à déloger les personnes en situation irrégulière et à organiser des déportations par bateau. Ce sont principalement les personnes immigrées venues des Comores qui sont visées par les politiques de lutte contre l’immigration clandestine. Ceci a notamment été réaffirmé par le ministre de l’Intérieur, Bruno Retaillleau, après le passage de Chido. Ses propos ont été très mal perçus par le gouvernement comorien. Il faut noter que malgré cette situation de crispations entre la France et les Comores, de nombreuses associations comoriennes se sont organisées pour venir en aide aux victimes de Chido. Les organisations de la société civile restent mobilisées et en première ligne pour maintenir un système d’entre aides entre les communautés.

On peut s’attendre à une situation tendue face à la gestion sécuritaire de l’immigration clandestine venue des Comores. Par ailleurs, le durcissement des politiques pour limiter l’immigration ne va potentiellement pas décourager les flux irréguliers. Mais, les prises de risques et les comportements dangereux des passeurs risquent de se multiplier de faire de nombreuses victimes. Il y a eu de nombreux naufrages entre Anjouan et Mayotte et notamment celui du 1er novembre 2024 qui a fait au moins 25 morts.

Quelle politique la France applique-t-elle pour le développement des territoires d’outre-mer, notamment dans le contexte des tensions observées en Martinique et en Nouvelle-Calédonie ?

Contrairement à ce que l’actualité nous laisse penser, la remise en question des outre-mer français n’est pas nouvelle. Elle est liée à de nombreuses problématiques structurelles et des contradictions dans le modèle assimilationniste français.

Les tensions en Martinique et en Nouvelle-Calédonie en 2023-2024 ont tout de même été marquantes. Ce que ces territoires ont en commun est lié à des problématiques avant tout socio-économiques, que ce soit la « lutte contre la vie chère » en Martinique, les tensions en Nouvelle-Calédonie liée à la production du nickel ou encore la situation de précarité des habitants de Mayotte. Selon l’INSEE, il existe un écart important entre le PIB par habitant des régions métropolitaines et des DROM. Les inégalités sociales sont aussi accentuées par des prix très élevés par rapport à la métropole. Les taux de chômage y sont aussi supérieurs avec 43 % à Mayotte et presque 12 % en Martinique.

La France consacre un budget conséquent pour le développement des territoires d’outre-mer pourtant pas assez suffisant pour assurer une prospérité économique et anticiper les potentielles crises. Les mesures prises pour lutter contre l’inflation sont dérisoires par rapport aux inégalités accrues qui persistent sur les territoires ultramarins malgré des investissements en hausse de la part de l’État.
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