10.01.2025
Élection présidentielle au Liban : dynamiques et enjeux internes et externes
Correspondances new-yorkaises
10 janvier 2025
Le Liban entame l’année 2025 dans un Moyen-Orient qui voit ses rapports de force évoluer tout en étant maintenu dans une crise économique persistante. Néanmoins, le pays a affiché sa volonté de mettre fin à la vacance présidentielle, un obstacle majeur à la mise en œuvre de réformes indispensables pour sortir de la crise et appréhender les évolutions géopolitiques en cours, en élisant ce 9 janvier le commandant en chef des forces
armées, Joseph Aoun. En effet, depuis la fin du mandat de Michel Aoun, le 30 octobre 2022, aucun consensus n’avait permis d’élire un nouveau président, laissant le pays paralysé par un immobilisme politique. Cette configuration est cependant coutumière à la vie politique libanaise en raison de deux facteurs structurels : le fonctionnement de la République et les rivalités régionales dans lesquelles elle est imbriquée.
Institutionnellement, la Constitution régit l’élection présidentielle au suffrage indirect secret par les 128 membres de la Chambre des députés. Cependant, ce vote ne peut avoir lieu que si les deux tiers des membres sont présents dans la salle : une condition qui rend le système sensible à toute tentative de blocage.
Par ailleurs, la scène politique est profondément fragmentée autour du Hezbollah, empêchant l’émergence d’un consensus, tout en étant influencée par les acteurs internationaux qui imposent leur agenda politique dans les affaires internes. Dans ce contexte, la « quinquette » (France, États-Unis, Égypte, Arabie saoudite, Qatar) tente de s’accorder sur une candidature commune, mobilisant leurs influences respectives pour peser sur la scène politique interne.
Dans ce contexte, quelles évolutions ont retranscrit la session parlementaire du 9 janvier 2025 en vue de l’élection présidentielle ? Quels ont été les enjeux externes et internes liés à cette échéance ?
Quels évènements ont permis cet élan dans la course à la présidentielle, après de multiples échecs pour parvenir à une élection depuis octobre 2022 ?
Le premier facteur permettant d’envisager une élection présidentielle a été le cessez-le-feu conclu avec Israël le 27 novembre 2024. En effet, malgré des violations quotidiennes rapportées, cette relative accalmie a permis de prioriser le contexte politique interne.
Le choix du 9 janvier répondait également à l’urgence d’élire un nouveau président avant l’arrivée de Donald Trump le 20 janvier à la Maison-Blanche. Face à la possible instabilité de sa politique étrangère et l’importance des États-Unis au sein de la « quinquette », les différents acteurs impliqués ont priorisé une élection sous l’administration Biden.
Enfin, la chute du régime d’Al-Assad survenue le 8 décembre 2024 a fragilisé la capacité d’influence de l’Iran au pays du cèdre, et donc du Hezbollah. Walid Joumblatt, chef du Parti progressiste socialiste (PSP) de 1977 à 2023, a mesuré l’ampleur de cette rupture en décidant d’être la première personnalité politique libanaise à établir des contacts avec le nouveau pouvoir en place. La réunion du 22 octobre 2024 fut l’occasion de poser sur la table les fondements de nouvelles relations bilatérales, de mettre l’accent sur le respect des droits des minorités sous la gouvernance d’Hayat Tahrir al-Sham (HTS) mais également d’évoquer l’enjeu de l’élection présidentielle libanaise. Malgré sa volonté de ne plus interférer dans les affaires internes libanaises, Ahmed al-Cherah, le dirigeant désigné de la Syrie post-Assad, avait apporté son soutien à Joseph Aoun, qui fut élu.
Quels ont été les obstacles et les dynamiques qui ont entouré la candidature de Joseph Aoun ?
Ce soutien est indéniablement lié à celui apporté par Walid Joumblatt au chef de l’armée le 18 décembre 2024 à la suite d’une réunion avec Nabih Berri, président de la Chambre des députés. Pour le leader druze, Joseph Aoun représentait une garantie de stabilité, au vu de son poste à la tête de l’armée et de son bilan qu’il considère comme positif, ce qui rassure les Libanais et les acteurs étrangers.
La candidature de Joseph Aoun a ainsi été considérée comme une troisième voie, au-delà du clivage autour du Hezbollah, et offrant une option qui se voulait rassurante pour les Libanais grâce à son statut militaire. En effet, de nombreux chefs de l’institution militaire ont été élus à la tête de l’État en période de blocages politiques, bien que l’article 49 de la Constitution stipule que les titulaires de cette fonction ne peuvent être élus durant leur mandat ni avant deux années après la fin de celui-ci. Joseph Aoun ayant obtenu les voix nécessaires à son élection, le scénario d’un amendement à la Constitution pourrait se répéter pour permettre sa désignation en tant que chef de l’État.
Comme stipulé par le « Pacte national », ce poste est réservé à la communauté chrétienne maronite et les soutiens apportés à Joseph Aoun ont suscité de nombreuses réactions au sein de cette dernière. En effet, un large consensus s’est établi autour de ces manœuvres, perçues comme une tentative de les priver de leur capacité à choisir leur propre candidat. Cependant, l’attente autour des soutiens officiels des chefs des partis chrétiens témoigne d’un équilibre incertain en amont de la session parlementaire.
Du côté du Hezbollah et de ses alliés, la candidature de Joseph Aoun a été considérée comme une volonté de leurs opposants de retranscrire leur défaite militaire en une défaite politique. Affaibli par de nombreuses pertes, et par ses échecs face à Israël, le Hezbollah a vu sa crédibilité s’effriter. Par ailleurs, le parti ne peut plus compter sur un soutien aussi prononcé de l’Iran, qui était précédemment capable d’imposer son agenda politique.
Malgré cette fragilité, le Hezbollah, à travers son responsable d’unité de liaison, a indiqué son opposition ferme envers Samir Geagea et n’a pas fermé pas la porte au chef de l’armée. Ce veto s’explique par la ligne politique du chef des Forces Libanaises, fortement opposé au Hezbollah qui aurait, selon le Parti de Dieu, un « projet de destruction » pour le Liban.
L’échéance du 27 janvier, marquant la fin des 60 jours de cessez-le-feu avec Israël, place le groupe chiite dans une position délicate. Ses dirigeants se retrouvent face à un dilemme entre un maintien, sûrement partiel, du cessez-le-feu et le début de la reconstruction en échange d’un soutien au candidat privilégié par les acteurs internationaux, signifiant une perte d’influence sur la politique interne.
Au vu de ses différents éléments, l’élection de Joseph Aoun n’avait donc rien d’une garantie, du fait de l’absence d’aval du tandem chiite Amal-Hezbollah. De surcroît, la veille de la session parlementaire, les candidats officiels en lice n’étaient pas encore tous clairement désignés.
Quelles implications géopolitiques autour de l’élection du président de la République libanaise ?
L’incertitude autour de l’issue de l’échéance du 9 janvier 2025 s’était vue renforcée par l’absence de consensus clair au sein de la « quinquette ». Washington et Paris appuyant la candidature de Joseph Aoun auprès de leurs interlocuteurs libanais, tandis que les autres pays membres demeuraient plus réservés quant à leur position.
Cette élection présidentielle a toutefois offert à l’Arabie saoudite une opportunité de réintégrer le paysage politique libanais, après des années marquées par de nombreuses ruptures. La réunion de Yazib ben Farhan, conseiller aux affaires libanaises saoudien, avec Nabih Berri le 6 janvier 2025 a permis de clarifier la position de Riyad, considérant Joseph Aoun comme le candidat répondant aux attentes de la « quinquette ».
Cette situation a confèré au président de la Chambre des députés une position de force, faisant de lui l’arbitre central de la vie politique libanaise. Chef du mouvement Amal et allié du Hezbollah, Nabih Berri s’était engagé à obtenir l’élection d’un président auprès de la « quinquette », espérant ainsi en tirer des contreparties. Parmi celles-ci, il aspire notamment à obtenir des contributions pour la reconstruction des infrastructures détruites lors du conflit Israël-Hezbollah, conditionnées à des garanties sur l’armement de la milice.
La séance du 9 janvier 2025 a finalement débuté avec la présence des 128 députés, ne permettant pas pour autant à Joseph Aoun de l’emporter au premier tour avec seulement 71 voix sur 86. Ce premier tour a été révélateur de deux tendances : la monopolisation de l’espace politique autour du chef de l’armée et l’influence prépondérante des puissances étrangères sur ce dossier.
Au-delà des 37 votes blancs, certains députés ont fait part de leur défiance quant à cette élection en inscrivant la « souveraineté et la Constitution » ou les noms des émissaires saoudiens et états-uniens sur leurs bulletins. Opposés à la façon dont a été présenté Joseph Aoun comme un candidat consensuel, ces derniers ont fait le choix de dénoncer les jeux d’influences autour de la présidence soulevant des interrogations quant à la souveraineté libanaise, ainsi que l’amendement à la Constitution qui en découle. En effet, l’implication de la «quinquette» a pu être perçue comme une volonté d’imposer un candidat répondant prioritairement à des enjeux internationaux.
Le deuxième tour, convoqué le jour même, a finalement permis l’élection de Joseph Aoun avec 99 voix. L’optimisme autour de cette victoire ne doit pas occulter les nombreux défis à relever, notamment la préservation fragile de la paix relative avec Israël et les réformes intérieures nécessaires.