20.12.2024
Présidence polonaise du Conseil de l’Union européenne : quelles implications pour la défense de l’Europe ?
Interview
9 janvier 2025
La Pologne a succédé à la Hongrie à la tête de la présidence du Conseil de l’Union européenne ce 1er janvier, pour une durée de six mois. Ce mandat intervient alors que la guerre en Ukraine et la menace russe perdurent, et que le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche plonge l’Europe dans l’incertitude. Varsovie, qui renoue avec Bruxelles depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Tusk, entend donc faire de cette présidence une opportunité pour faire valoir ses positions sur ces sujets à l’échelle du continent, notamment en matière de défense et de sécurité. Quels seront les grands axes de la présidence polonaise du Conseil de l’UE ? Comment ses relations avec Bruxelles ont-elles évolué depuis la crise de 2021 ? La Pologne est-elle en mesure d’impulser un véritable leadership sur le continent ? Les réponses de Louise Souverbie, chercheuse à l’IRIS, spécialisée sur les questions de défense européenne et sur l’industrie de l’armement.
La Pologne vient d’accéder à la présidence du Conseil de l’Union européenne, succédant à la Hongrie. Quelles sont les grandes orientations stratégiques envisagées sous la présidence et les priorités en matière de défense ?
La présidence polonaise est placée sous le signe de la sécurité, une thématique qui sera déclinée en sept dimensions au cours des prochains mois : extérieure, intérieure, économique, énergétique, sanitaire, alimentaire et informationnelle. Dans un environnement sécuritaire dégradé et face à la multiplication des menaces hybrides, Varsovie entend contribuer au renforcement de la résilience et de la préparation de l’Union européenne (UE) par une approche holistique de la sécurité.
En ce qui concerne la défense, les efforts porteront notamment sur la poursuite du renforcement de l’industrie de défense et de la montée en puissance des capacités militaires européennes. La question du financement des initiatives pour atteindre ces objectifs constituera par conséquent le cœur du débat européen au cours de la présidence polonaise. Varsovie soutient en effet une prise de responsabilité européenne en matière de défense passant par un accroissement significatif des fonds investis dans ce domaine, tant au niveau des États membres qu’à celui de l’UE. Les autorités polonaises sont ainsi favorables à un endettement européen commun pour soutenir la relance du secteur européen de la défense et le financement de projets conjoints dans le domaine de l’armement, ainsi que la construction d’infrastructures militaires ou duales. La Pologne est notamment préoccupée par la protection de la frontière orientale de l’UE et porte ainsi le projet East Shield, un bouclier d’infrastructures composé de fortifications militaires et de systèmes technologiques (radars, systèmes anti-drones, etc.). Varsovie souligne l’intérêt que présente ce projet pour l’ensemble de l’Union et souhaite donc pouvoir utiliser les instruments de l’UE pour le soutenir.
Justement, l’identification d’une série de « projets d’intérêt commun en matière de défense européenne » devrait être abordée dans le cadre des négociations sur le futur programme pour l’industrie de défense européenne (EDIP). À la tête du Conseil, la Pologne jouera un rôle clé dans les discussions sur ce texte proposé par la Commission européenne en mars 2024. La présidence hongroise n’étant pas parvenue à boucler les discussions au Conseil avant la fin de l’année pour ensuite transférer le texte au Parlement, c’est donc la Pologne qui prend le relais et aura pour tâche de faire émerger la position des États membres sur ce dossier crucial pour la défense européenne.
Alors que la Pologne avait frôlé le « Polexit » en 2021, l’arrivée au pouvoir de Donald Tusk semble avoir permis de meilleures relations entre Bruxelles et Varsovie. Comment la relation entre la Pologne et l’Union européenne a-t-elle évolué, notamment depuis la guerre en Ukraine ?
Les politiques du précédent gouvernement polonais, dirigé par Mateusz Morawiecki, et de la Diète dominée par le parti Droit et Justice (PiS) ont en effet été marquée par un fort euroscepticisme et une remise en cause de l’État de droit en Pologne. Ce positionnement a logiquement tendu les relations entre Bruxelles et Varsovie et a notamment conduit à une suspension du versement des fonds du plan de reprise et de résilience post-Covid à la Pologne, conditionné à la mise en œuvre de réformes sur l’indépendance du pouvoir judiciaire. Néanmoins, l’attachement à l’UE – majoritaire au sein de la population polonaise – et surtout la situation de premier bénéficiaire net du budget européen de la Pologne ont toujours permis de limiter la crédibilité d’un éventuel « Polexit ».
Depuis le 24 février 2022, alors que le PiS était toujours au pouvoir, le rôle clé de la Pologne dans le soutien à l’Ukraine a contribué à faire passer au second plan les problématiques d’État de droit dans les relations entre Varsovie et Bruxelles, même si Mateusz Morawiecki ne manquait pas de dénoncer « une guerre sur deux fronts » et une stigmatisation de la Pologne. À l’automne 2023, la victoire électorale de la coalition menée par Donald Tusk – ancien président du Conseil européen – a donc marqué un basculement majeur du positionnement de Varsovie vis-à-vis de l’UE.
En outre, la Commission européenne est en passe de devenir un acteur incontournable dans le domaine de l’industrie de défense. Cette montée en puissance s’est notamment traduite par le déblocage de financements (limités pour l’instant) pour soutenir l’accroissement des capacités de production et les acquisitions communes d’armement. Les autorités polonaises ont ainsi témoigné leur intérêt pour ces initiatives qui représentent aussi une opportunité pour leur industrie de défense de monter en puissance, dans un contexte où celle-ci représente désormais un pilier de la sécurité nationale.
Ce recalibrage de la position polonaise vis-à-vis de la Commission européenne et des initiatives européennes en matière de défense s’est également manifesté à travers une initiative polono-grecque sur un « bouclier anti-aérien européen ». Les chefs de gouvernement des deux pays ont en effet envoyé conjointement une lettre à la présidente de la Commission européenne – prenant donc acte du rôle nouveau de l’exécutif européen – pour appeler au développement de cette nouvelle capacité en se basant sur les compétences de l’industrie européenne, ainsi qu’à l’émergence d’une « Union de la défense ».
Alors que les meneurs traditionnels, la France et l’Allemagne, sont très fragilisés sur le plan intérieur, dans quelle mesure la Pologne est-elle en mesure d’imposer son leadership sur l’Union européenne, notamment en matière de défense ?
Varsovie est effectivement devenue un centre de gravité géographique et politique dans le contexte de la guerre d’agression de la Russie, dont les pays du flanc oriental ont toujours craint qu’elle ne redevienne une menace. Plaque tournante du soutien à l’Ukraine et puissance militaire émergente, la Pologne a rapidement construit une crédibilité sur laquelle fonder son leadership, déjà reconnu dans la région de la Baltique et sur le flanc oriental.
En 2024, la Pologne a consacré 4,1 % de son PIB aux dépenses de défense et ce chiffre pourrait atteindre 4,7 % en 2025 – en comptabilisant un fonds extra-budgétaire mis en place en 2022 et doté de 8 à 12 milliards d’euros par an. En 2025, les dépenses de défense polonaises pourraient ainsi s’élever en tout à 41 milliards d’euros, dont 29 milliards d’euros de budget – contre un peu moins de 13 milliards en 2021 – rattrapant ainsi peu à peu les principales puissances militaires européennes. Ces investissements visent à renforcer rapidement les capacités militaires polonaises à travers d’importants contrats d’armement avec les États-Unis, la Corée du Sud ou encore le Royaume-Uni.
Forte de cette légitimité nouvelle et du retour d’un gouvernement pro-européen au pouvoir, Varsovie entend désormais s’affirmer sur la scène européenne et renforcer son influence au sein de l’UE (et de l’OTAN). La Présidence du Conseil représente donc une opportunité pour l’affirmation de ce leadership, alors que l’UE se prépare au retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. Dans ce contexte, l’atlantisme historique de la Pologne serait susceptible de représenter un atout pour les relations avec Washington, à condition que Varsovie et les autres capitales européennes ne cèdent pas à l’approche transactionnelle renforcée souhaitée par le nouveau président américain, et à la division interne de l’UE qui en découlerait.