07.01.2025
Le Groenland sous tension : l’allié qui se rêvait conquérant
Correspondances new-yorkaises
8 janvier 2025
Donald Trump, président élu des États-Unis, a de nouveau secoué l’échiquier diplomatique mondial en évoquant ce mardi la possibilité de recourir à la force pour annexer le Groenland, territoire autonome du Danemark. Lors d’une conférence de presse à Mar-a-Lago, il a été interrogé sur ses intentions concernant ce territoire arctique et le canal de Panama. Fidèle à son style provocateur, il a refusé d’exclure un éventuel recours à l’armée, affirmant que ces deux zones étaient « très importantes pour la sécurité économique » des États-Unis. « Je ne peux rien vous garantir sur aucun des deux », a-t-il lancé, éludant les implications diplomatiques d’une telle déclaration. Ces propos interviennent dans un contexte où il avait déjà qualifié le Groenland de « nécessité absolue pour la sécurité nationale » et envoyé son fils, Donald Trump Jr., visiter le territoire sous prétexte d’un voyage « privé ».
Cette déclaration spectaculaire, si elle n’était pas si glaçante, pourrait prêter à sourire tant elle souligne un paradoxe géopolitique évident : la plus grande puissance militaire de l’OTAN menace un autre membre de l’alliance. Et tout cela sous couvert de « sécurité économique ». L’ironie est ici aussi mordante que les vents arctiques. Rappelons que l’OTAN, depuis sa fondation en 1949, repose sur une promesse simple : protéger collectivement ses membres contre toute agression extérieure. Mais que se passe-t-il lorsque l’agresseur potentiel n’est autre qu’un membre de cette alliance ? Trump, avec son style habituel de déclarations tonitruantes, semble ignorer cette contradiction fondamentale, préférant qualifier la souveraineté danoise d’obstacle mineur sur le chemin de la grandeur américaine.
Le Groenland, déjà objet de convoitise pour sa position stratégique en Arctique et ses ressources naturelles, devient soudain un territoire qu’il faudrait annexer à tout prix. Cette position reflète un malaise plus profond : une redéfinition de l’OTAN, non plus comme un pacte collectif de défense, mais comme un instrument au service des ambitions américaines. En menaçant un territoire danois, Trump envoie un signal troublant : les règles du jeu ne valent que tant qu’elles ne contrarient pas les intérêts des États-Unis. Cette vision unilatérale, loin de renforcer l’alliance, en érode les fondements, semant le doute parmi les membres européens déjà inquiets des tensions transatlantiques.
Ce n’est pas la première fois que Donald Trump évoque des idées rappelant les pages les plus controversées de l’histoire américaine. Ses menaces concernant le canal de Panama, autrefois construit par les États-Unis et cédé au Panama en 1999, s’inscrivent dans une nostalgie impérialiste à peine voilée. Le Groenland devient le nouveau « territoire à prendre », non pas au nom d’un projet colonial explicite, mais au nom de la « sécurité nationale ». Cette posture, séduisante pour une frange nationaliste de son électorat, reste anachronique à l’ère de la mondialisation et des interdépendances. Pire encore, elle met en péril les équilibres fragiles qui sous-tendent la diplomatie mondiale.
L’ironie de la situation est trop flagrante pour être ignorée : le pays qui se pose en garant de la sécurité de l’OTAN devient une menace pour cette même sécurité. Comment justifier, à Copenhague ou à Nuuk, que les États-Unis, censés protéger leurs alliés, envisagent de les forcer à céder leur territoire ? Cette contradiction, qui ferait les délices d’un auteur de politique-fiction, reflète une vérité plus amère : l’unilatéralisme américain, incarné par Trump, rend le système multilatéral plus vulnérable que jamais. Quant au Groenland, il devient, au grand désarroi de ses habitants, qui ont l’impression d’être passés dans la quatrième dimension, le symbole des ambitions démesurées d’un homme prêt à redessiner les cartes du monde selon ses désirs.
Difficile de ne pas espérer qu’il ne s’agisse que d’une plaisanterie. Trump, habitué des provocations et des déclarations-chocs, joue peut-être une fois de plus avec les nerfs de la diplomatie internationale. Mais si c’est le cas, l’humour est d’un goût douteux. Menacer la souveraineté d’un allié, fragiliser les bases d’une alliance stratégique comme l’OTAN et alimenter l’instabilité dans un monde déjà en quête d’équilibres : tout cela dépasse de loin les limites d’une simple boutade. Pour l’instant, le Groenland demeure danois, immobile comme les terres glacées au-delà du Mur dans Game of Thrones, mais pour combien de temps encore ?
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Romuald Sciora dirige l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis de l’IRIS, où il est chercheur associé. Essayiste et politologue franco-américain, il est l’auteur de nombreux ouvrages, articles et documentaires et intervient régulièrement dans les médias internationaux afin de commenter l’actualité. Il vit à New York.