18.12.2024
Chute de Bachar al-Assad en Syrie : « Ce n’est pas en forçant des exilés à rentrer chez eux que la démocratie et la sécurité reviendront rapidement »
Presse
10 décembre 2024
Jean-François Corty Je trouve absolument indécente cette précipitation à vouloir solder la question migratoire syrienne, alors même que le pays est dans une instabilité politique et sécuritaire majeure, sans gouvernement officiel, la tension restant forte entre groupes d’obédiences kurdes, turques, l’organisation Etat Islamique et la myriade d’acteurs dans le conflit. Le pays sort de plus de treize années de guerre, avec près de 500 000 morts, au moins 7 millions de déplacés internes. Les structures essentielles qui fournissent de l’eau et de l’électricité ont été massivement détruites, la tension nutritionnelle est majeure dans de nombreuses régions. On estime que 17 millions de personnes sont en besoin d’aide humanitaire d’urgence. Celle-ci va mettre un certain temps à se déployer, au gré des territoires qui vont s’ouvrir et des financements des bailleurs internationaux qui sont pour l’instant insuffisants.
Outre le gel des demandes d’asile, Vienne a annoncé préparer un « programme de rapatriement et d’expulsion », alors que quelque 100 000 Syriens vivent en Autriche, un des pays qui en a accueilli le plus en Europe avec l’Allemagne.
C’est une décision extrêmement cynique qui relève d’une forme d’instrumentalisation de la chute d’un dictateur sanguinaire, ce dont on doit se satisfaire, pour appliquer une politique d’expulsion violente qui met en tension la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés compte tenu des incertitudes sécuritaires et l’état de délabrement du pays. L’Etat de droit ne se décrète pas en un coup de baguette magique et il faut créer les conditions où les réfugiés pourront faire le choix de rentrer en confiance. Le temps politique n’est pas le temps humanitaire et le respect des droits fondamentaux doit être une priorité. Ce n’est pas en forçant des exilés à rentrer chez eux que la démocratie et la sécurité reviendront rapidement.
Comment Médecins du Monde prévoit de travailler dans ce nouveau contexte ?
Médecins du Monde intervient depuis le début du conflit en Syrie, sur trois zones, dans l’est, le nord et l’ouest du pays. L’insécurité, le déplacement régulier de millions de civils, les soignants qui ont été des cibles délibérées du régime, une arme de guerre pour terroriser les populations et diminuer les capacités de résistance des rebelles : tous ces facteurs ont limité la capacité des humanitaires à répondre de manière proportionnée aux besoins. Nous allons continuer à soutenir des partenaires de santé locaux, essayer d’envoyer des équipes en renfort et du matériel médical pour parer au plus urgent. Mais il va falloir un soutien financier pérenne et une stabilité politique et militaire qui aujourd’hui ne sont pas garantis à court et moyen terme. Et renvoyer de manière précipitée des millions de réfugiés alors que rien n’est prêt pour les accueillir dans de bonnes conditions ne va pas faciliter la tâche.
Propos recueillis par Marie Vaton pour Le Nouvel Obs.