ANALYSES

« Sous les présidents républicains, il y avait un adversaire : l’Etat. Avec Trump II, il y a un ennemi : l’Etat de droit »

Presse
17 décembre 2024
Est-ce parce qu’on ne juge pas crédibles plusieurs de ses annonces ou tout simplement parce que, depuis son élection, la Bourse et le bitcoin continuent de grimper et qu’il rassure les investisseurs ? Peut-être est-ce les deux. Toujours est-il que la perspective du retour au pouvoir, le 20 janvier 2025, de Donald Trump suscite, pour l’heure, une approbation générale, parfois un adoubement opportuniste. Ou bien, encore, il s’agit simplement de prendre acte : le désigner « personnalité de l’année 2024 », pour le magazine « Time », ne signifie pas le soutenir mais prendre le parti qu’il est aujourd’hui l’un des hommes les plus influents du monde. Surtout, le trumpisme fait recette parce qu’il s’est banalisé. « Aujourd’hui, nous assistons à une érosion de la croyance selon laquelle les valeurs progressistes mèneront à une vie meilleure pour la plupart des gens. Trump est à la fois l’agent et le bénéficiaire de cela », écrit le rédacteur en chef de « Time », Sam Jacobs.

La population américaine veut tourner la page de cette présidentielle. Les démocrates sont sonnés et prennent acte des raisons de leur défaite, essentiellement due à l’abstention. Les républicains, de leur côté, du moins celles et ceux qui n’ont pas (encore) basculé chez les MAGA (« Make America Great Again »), hésitent encore : faut-il se joindre au mouvement ou garder ses distances en attendant la suite ? Courber l’échine pour ne pas être banni ou, par cynisme à défaut de convictions, profiter des fruits de l’orgie promise ? Le mot n’est pas trop fort : un clan familial, au sein d’un petit club de milliardaires et de jet-setters sûrs d’eux-mêmes et de leur dû, a l’intention de rafler toute la mise.

Historiographie révisionniste

Ce qui se prépare à Mar-a-Lago est limpide : un écosystème politico-économique inféodé à Trump, qui s’entoure de gens plus loyalistes que techniquement compétents pour les portefeuilles qu’ils vont se voir confier. Cette loyauté sans limite signifie, par exemple, construire un mensonge officiel, une historiographie révisionniste, sur l’élection de 2020 et les événements du 6 janvier 2021 (deux sujets intégrés aux entretiens d’embauche des candidats souhaitant rejoindre un cabinet ministériel, rapporte le « New York Times »). Trump a récemment répété qu’il gracierait les insurgés du 6-Janvier dès qu’il serait à la Maison-Blanche.

A force d’être martelé depuis quatre ans, le discours trumpien a imprimé : il est digéré, assimilé par le corps social. C’est ce qu’on appelle la propagande. Trump fera-t-il ce qu’il a dit ? Expulsera-t-il des millions d’enfants en situation régulière pour ne pas les séparer de leurs parents clandestins renvoyés dans leur pays d’origine ? Supprimera-t-il l’autorisation administrative des vaccins ? Mettra-t-il un terme aux politiques de lutte contre les discriminations ? Taxera-t-il massivement les produits importés, au risque de faire repartir en flèche l’inflation ? « Tant mieux », disent certains ; « on n’y croit pas, c’est impossible », affirment d’autres, y compris dans son électorat. Après tout, Trump est au cœur de la machine politique depuis bientôt dix ans et le pays ne s’est pas effondré, alors ? Tel est le raisonnement de beaucoup.

L’autoritarisme se banalise

Ce qui a changé, c’est que sous une présidence républicaine traditionnelle, il y avait un adversaire : l’Etat. Avec Trump II, il y a un ennemi : l’Etat de droit. Ce qui a changé, c’est que Trump bénéficie du soutien d’une Cour suprême qui lui a accordé l’absolution a posteriori et a priori, quels que soient ses actes en tant que président. Ce qui a changé, c’est qu’il jouira pendant deux ans du levier législatif… du moins en théorie : car si l’on connaît la propension des élus républicains à s’indigner de l’attitude de Trump tout en le soutenant, il n’est pas dit que la majorité au Congrès fera, intégralement et systématiquement, preuve d’allégeance. L’ambiance risque d’être tendue dès janvier, le président élu menaçant les sénateurs s’ils ne vont pas dans son sens et envisageant de nommer ses ministres en se passant de la confirmation du Sénat. Le vote du budget fédéral, s’il est amputé de financements publics de santé et de retraite, et s’il anéantit l’effort de guerre en Ukraine, ne sera pas aisé. La séparation des pouvoirs fera-t-elle l’objet d’un braquage de la présidence Trump II ? Les parlementaires sont-ils prêts à perdre leurs prérogatives d’élus pour plaire au président ? Les paris sont ouverts.

Ne nous y trompons pas : le contexte est aussi géopolitique. Partout les « hommes forts » sont à la mode. Ils rassurent face aux crises et aux incertitudes du monde. Dans les faits, ils sont faiseurs de chaos plutôt que de paix : les conflits ont doublé depuis cinq ans et 2024 s’achève avec un record de morts et de blessés de guerre, selon un rapport de l’association indépendante Armed Conflict Location & Event Data. Une personne sur huit, dans le monde, a été exposée à un conflit ces douze derniers mois. Selon une étude publiée par le Varieties of Democracy Institute de l’université de Göteborg, près des trois quarts de la population, en 2023, vivaient sous des règles autoritaires. Contre la norme de la violence et de la prédation (et de leur meilleure alliée : la désinformation), c’est toute une offre politique qu’il faut rebâtir.
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