ANALYSES

Les COP Biodiversité et Climat : comment penser la transversalité de nos équilibres ?

Tribune
10 décembre 2024




La fin d’année est traditionnellement marquée par les grandes conférences internationales sur les enjeux environnementaux. En 2024, la COP29 sur le climat, tenue à Bakou, et la COP16 sur la biodiversité organisée à Cali, illustrent un paradoxe fondamental dans la gouvernance environnementale mondiale : la séparation persistante entre des processus qui visent pourtant à résoudre des crises intrinsèquement liées.

Une gouvernance fragmentée face à des enjeux systémiques

L’origine de cette dichotomie remonte au Sommet de la Terre de Rio en 1992, où la communauté internationale a établi des cadres légaux distincts pour le climat (la CCNUCC[1]) et la biodiversité (la CDB[2]). Depuis, ces deux processus évoluent parallèlement, avec des objectifs, des financements et des négociateurs différents. La COP Climat se concentre sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, tandis que la COP Biodiversité vise la conservation des écosystèmes. Pourtant, ces thématiques qui ont la même origine, c’est-à-dire les activités humaines sur notre environnement, se croisent et sont interdépendantes : la crise climatique exacerbe l’érosion de la biodiversité, tandis que la perte de biodiversité limite notre résilience face aux bouleversements climatiques (entre autres).

Pourtant, dès 2004, les discussions sur l’adaptation des écosystèmes au changement climatique ont posé les bases des « solutions fondées sur la nature », aujourd’hui essentielles pour répondre aux multicrises environnementales du XXIe siècle. Ces échanges ont également mis en lumière le rôle crucial des écosystèmes, tels que les forêts, les océans et les zones humides, dans la séquestration du carbone atmosphérique.

Ce n’est toutefois qu’en 2015, avec l’Accord de Paris, que la conservation et la restauration de la biodiversité ont été reconnues comme des éléments clés pour atténuer les émissions de gaz à effet de serre et adapter les sociétés aux impacts du changement climatique.

Sur le terrain, cette interdépendance est évidente. L’Amazonie en est le plus emblématique exemple, étant à la fois un puits de carbone essentiel et un hotspot de biodiversité. Sa destruction affecte non seulement le climat mondial, mais aussi la sécurité alimentaire, la santé humaine et l’équilibre écologique global. Les impacts cumulatifs de ces crises montrent que leur gestion séparée est non seulement inefficace, mais peut aussi conduire à des maladaptations.

Les solutions pathogènes ou maladaptations des politiques sectorielles 

Le manque de vision globale conduit à des politiques fragmentées qui ignorent les synergies possibles entre les deux crises, pour arriver sur le terrain à des solutions qui peuvent s’avérer littéralement écocide et/ou pathogène, tels que :

  • Les subventions pour les biocarburants, censées réduire les émissions de carbone, ont favorisé la déforestation et l’usage intensif de pesticides. Comme ce fut le cas en Indonésie, où la culture de l’huile de palme (entre autres à destination de biodiesel) a poussé la faune sauvage à entrer en contact avec les élevages de poulet domestique… entraînant la pandémie de grippe aviaire.

  • Les projets de compensation carbone via la plantation d’arbres en monoculture remplacent souvent des écosystèmes naturels plus complexes, comme des prairies ou des zones humides. Ces plantations appauvrissent la biodiversité, épuisent les sols, et augmentent les risques incendies. Cela perturbe également la faune locale qui ne peut s’adapter aux plantations, tout en effaçant le rôle de puits de carbone de l’écosystème préexistant.


Ces exemples soulignent la nécessité d’une gouvernance intégrée, fondée sur la reconnaissance des synergies entre climat et biodiversité. Pourtant, les structures actuelles favorisent la fragmentation des efforts, y compris dans les financements, où climat et biodiversité se disputent des ressources déjà limitées.

L’urgence d’une approche transversale et globale.

La séparation des mandats et des cadres législatifs limite la capacité des COP à répondre aux crises environnementales de manière cohérente. Alors que les thématiques abordées (santé, alimentation, droits humains, éducation, peuple autochtone, etc.) se recoupent souvent, les COP continuent d’opérer en silos, épuisant négociateurs et observateurs. Une verticalité qui entrave autant l’efficacité des possibles solutions, que la crédibilité des institutions internationales.

Cette approche sectorielle cloisonnée implique des délégations distinctes ; les négociateurs du climat proviennent principalement des secteurs de l’énergie et de l’économie, tandis que ceux engagés dans les discussions sur la biodiversité représentent majoritairement les domaines de l’environnement et de l’agriculture ; ce qui complexifie l’élaboration de politiques intégrées et cohérentes.

Une fracture que l’on retrouve au niveau des financements, où se développe une concurrence pour des ressources financières déjà difficiles à mobiliser. Récemment, la COP29 sur le climat s’est conclue par un accord financier jugé décevant (seulement 30 % du montant escompté) tandis que la COP16 dédiée à la biodiversité n’a même pas eu le temps de traiter la question pourtant cruciale du financement dédié à la préservation des écosystèmes.

Une verticalité qui invisibilise les liens qui unissent les limites planétaires 

La crise climatique occupe (relativement) les médias depuis 15 ans et nous en sommes toujours à tenter de dérouler le premier chapitre. Certains journalistes s’étonnent encore du réchauffement climatique devant un épisode neigeux… Dans un tel contexte, comment aborder les neuf limites planétaires, dont six d’entre elles sont déjà franchies ?

Parce que, malheureusement, il n’y a pas seulement deux crises environnementales majeures à gérer, mais une bonne dizaine. Et elles sont toutes liées et interdépendantes.

La COP Climat à peine terminée, le monde a été prié de se réunir à nouveau en Corée du Sud pour finaliser un traitant mondial visant à mettre fin à la pollution plastique, pollution qui fait partie d’une des six limites planétaires déjà dépassées : « Introduction d’entités nouvelles dans la biosphère ».

Le plastique est un sujet hautement climatique et environnemental. Sa légèreté et sa robustesse en ont fait une solution prisée de la transition écologique. Cependant sa résistance est également sa faiblesse : sur les 9 000 millions de tonnes de plastique produites depuis 1950, 7 000 millions sont dorénavant des déchets, polluant les sols, les océans et même nos corps, avec des traces retrouvées jusque dans le liquide amniotique des femmes enceintes. Fabriqué à partir de combustibles fossiles, sa production annuelle de 430 millions de tonnes nécessite 215 millions de barils de pétrole, avec une empreinte carbone largement ignorée. Et c’est cette particularité qui a dernièrement empêché l’obtention d’un traitant contraignant autour de la production plastique à Pusan (Corée du Sud).  Notamment du fait de l’opposition des pays producteurs de pétrole qui voient dans le plastique un « nouveau » débouché pour survivre à la transition énergétique.

La convention de Bâle traitant des mouvements internationaux des déchets avait déjà été amendée en 2019 pour considérer la pollution plastique. Des mesures jugées insuffisantes en 2022 avaient repoussé l’agenda fin 2024. L’échec des négociations de Pusan nous permet de nous diriger vers les 700 millions de tonnes de plastique produite annuellement d’ici la fin de la décennie…

Des négociations qui auraient été pertinentes de coordonner aux deux précédentes, mais également aux 6 autres thématiques que sont les négociations autour du cycle de l’azote et le phosphore, le changement d’usage des sols, l’utilisation de l’eau douce, l’acidification des océans, l’appauvrissement de la couche d’ozone et l’augmentation de la présence d’aérosols dans l’atmosphère.

Vers une gouvernance adaptée aux enjeux du XXIe siècle

La convergence de toutes ces limites planétaires nous confronte à la frontière ultime : celle de notre humanité, incarnée dans nos limites sanitaires.

Bien que nous disposions d’une certaine capacité d’adaptation, notre physiologie reste régie par des barrières infranchissables. Elle a été mise à l’épreuve par un virus face auquel notre système immunitaire était incompétent. Elle est tout aussi démunie face à la pollution plastique que nous ingérons quotidiennement, aux additifs introduits par l’agro-industrie pour pallier la menace de l’insécurité alimentaire, ou encore aux particules fines que nous respirons à chaque instant. Et que dire de cette chaleur humide qui, dans certaines conditions extrêmes, nous laisse seulement six heures avant que notre organisme ne succombe ?

L’enjeu est énorme et terriblement multisectoriel, transversal et global. Pour tenter de limiter l’impact des activités humaines sur notre environnement, nous avons besoin d’utiliser les mêmes outils : la transversalité, la coopération et la coordination, et non plus nous cacher derrière un cadre législatif obsolète hérité du XXe siècle, véritable handicap pour faire face aux limites planétaires.

Devant le bouclier de résistances, il nous faut pourtant nous réinventer si nous ne voulons pas réitérer l’erreur de réfléchir une « limite » à la fois, en négligeant les autres. Une imprudence qui nous a déjà frappés de plein fouet avec la pandémie de COVID-19, véritable point de bascule marquant le début du XXIe siècle. Cette pandémie illustre cruellement l’interconnexion des enjeux : la mondialisation des flux de personnes et des marchandises a permis à un virus aéroporté de se propager à une vitesse inédite, révélant les fragilités d’un monde hyperconnecté et incapable d’anticiper les conséquences de ses propres dynamiques globales.

Aujourd’hui, il est impératif de secouer le système en profondeur pour amorcer une transformation radicale, capable de réinventer nos modèles tout en gardant à l’esprit un objectif fondamental : réduire l’impact des activités humaines sur l’environnement et, par extension, sur notre santé. Les défis que posent le changement climatique, la perte de biodiversité et la pollution ne peuvent plus être abordés de manière fragmentée. Une approche systémique et transversale est indispensable pour réconcilier nos aspirations de développement avec les limites planétaires.

Un cadre juridique global pour une vision intégrée

La création d’un cadre juridique global, intégrant à la fois les enjeux climatiques et environnementaux, apparaît comme une priorité. Un cadre dépassant les cloisonnements actuels entre les conventions internationales (climat, biodiversité, pollution) en adoptant une approche holistique. Un système juridique qui rassemble les responsabilités, fixe des objectifs communs et mesure les progrès à l’aide d’indicateurs combinés et pertinents. Comme peuvent l’être : l’empreinte écologique afin d’évaluer la pression exercée par les activités humaines sur les écosystèmes ; l’indice d’intégrité écologique pour mesurer la santé des écosystèmes et leur capacité à fournir des services essentiels ou encore les flux de nutriments pour surveiller les déséquilibres dans les cycles de l’azote et du phosphore, facteurs clés de l’eutrophisation et de la dégradation des écosystèmes aquatiques.

Une boussole commune, garantissant que les efforts entrepris au niveau local, national et international convergent vers un développement durable, équitable et respectueux des limites planétaires.

Un financement unique pour des projets transversaux

En parallèle, la création d’un fonds unique capable de financer des projets transversaux adressant simultanément plusieurs problématiques devient impérative, à même de soutenir des initiatives combinant restauration des écosystèmes, réduction des émissions de gaz à effet de serre, et amélioration des conditions de vie des populations vulnérables : des projets tels que la restauration des zones humides, qui agissent comme puits de carbone, régulateurs hydriques et habitats pour la biodiversité, tels que la promotion de l’agroécologie, réduisant les impacts climatiques et renforçant la sécurité alimentaire, ou encore la mise en place des infrastructures vertes pour atténuer les vagues de chaleur urbaines tout en capturant les polluants atmosphériques.

En centralisant les financements et en soutenant des projets aux bénéfices multiples, ce fonds unique pourrait également réduire les conflits d’intérêts entre les différents secteurs et encourager une coopération internationale renforcée.

Il est clair que cette transformation nécessite un changement de paradigme. Rassembler les efforts autour de cadres unifiés et d’outils communs, tout en garantissant des financements efficaces, est la clé pour relever les défis environnementaux et sanitaires de notre époque. Cette approche systémique est non seulement une nécessité urgente, mais aussi une opportunité de construire un avenir plus équitable et durable, où santé humaine et environnement étroitement liés se retrouvent autour du concept One Health : une santé environnementale protégée pour une santé humaine préservée.

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[1] Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques

[2] Convention sur la diversité biologique
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