18.12.2024
« Ce cessez-le-feu au Liban est peut-être susceptible d’ouvrir une fenêtre d’opportunité pour Gaza »
Presse
29 novembre 2024
Ce qui sert de support à la trêve, c’est la résolution 1701 de l’ONU, datant du 11 août 2006. Celle-ci prévoyait, simultanément au retrait israélien, celui du Hezbollah au niveau du fleuve Litani, à environ 30 kilomètres au nord de la frontière. Mais cette résolution n’avait jamais été pleinement mise en application. La différence, c’est qu’aujourd’hui, en plus de la Finul, d’Israël et du Liban, il est prévu un mécanisme de vérification intégrant un tiers, en l’occurrence les Etats-Unis et la France, pour garantir l’application effective de l’accord.
La trêve est prévue pour soixante jours durant lesquels les forces de Tsahal [armée israélienne] doivent se retirer en deçà de la frontière du Liban et, parallèlement, la force armée du Hezbollah est censée se retirer jusqu’au fleuve Litani afin d’être simultanément remplacées par les forces armées libanaises. Ces dernières auront alors à se coordonner avec la Finul, déjà présente, pour vérifier l’effectivité du retrait de la force armée du Hezbollah du Sud-Liban, son désarmement et l’absence par la suite de son réarmement.
Le cessez-le-feu est en vigueur depuis moins de 48 heures et, déjà, il y a des incidents : deux blessés dans des tirs israéliens, un couvre-feu nocturne imposé par l’armée israélienne au Sud-Liban… La trêve va-t-elle malgré tout tenir ?
Dans une configuration aussi complexe, il y a toujours le risque d’accrocs ponctuels, mais la véritable question est de savoir si cela est susceptible de remettre en cause le fond de la trêve. A priori, elle a vocation à être maintenue, pour une raison simple : chacune des deux parties y a intérêt. Le Hezbollah a certes été peu ou prou contraint de signer la trêve, mais cet accord lui permet de sauver ce qui peut l’être en limitant des dégâts supplémentaires. En outre, le « désarmement » du Hezbollah ne concerne que le Sud-Liban et non l’ensemble du pays.
Côté israélien, il y avait sans doute le souhait de s’épargner une amplification de la stigmatisation internationale du pays. Il y avait aussi le risque de l’examen d’une résolution au Conseil de Sécurité de l’ONU où, comme évoqué par Joe Biden, le veto américain n’aurait pas nécessairement été automatique. Et puis, il y a aussi une fatigue de Tsahal – une armée de réservistes, rappelons-le –, qui livre depuis octobre 2023 les combats les plus longs qu’elle ait eus à mener depuis la fondation de l’Etat d’Israël. Enfin, avec le retrait attendu de la force armée du Hezbollah, cela permet d’envisager la réalisation du but de guerre déclaré de l’opération lancée au Liban, qui était de donner la possibilité aux 80 000 civils de réintégrer leurs foyers dans le nord d’Israël.
Dans la droite ligne de cette trêve, une paix entre le Liban et Israël est-elle envisageable ?
Israël n’est pas officiellement en guerre contre le Liban et ne l’a jamais été. C’est le drame du Liban qui, historiquement, s’est retrouvé depuis longtemps otage des conflits géopolitiques régionaux qui le dépassaient. C’était déjà le cas pendant la guerre civile libanaise [1975-1990] où la présence des activistes palestiniens de l’OLP [Organisation de Libération de la Palestine] a conduit à l’invasion du pays par Israël en juin 1982. Puis, à partir du milieu des années 1980, il y a eu le Hezbollah qui, au contraire de l’OLP, ne peut pas être « expulsé » car le Hezbollah n’est pas un « corps étranger » au Liban. Donc, on n’en est pas encore à envisager une paix. Si la situation évolue dans le sens attendu, on peut esquisser des perspectives qui passeraient notamment par l’établissement d’une vraie frontière entre les deux pays. Mais on n’en est pas là.
Le président des Etats-Unis, Joe Biden, s’est félicité de la trêve au Liban et a déclaré vouloir « mener à nouveau un effort […] pour parvenir à un cessez-le-feu à Gaza ». Les perspectives pour l’enclave palestinienne ont-elles changé ?
Depuis le début, toute la stratégie des Etats-Unis résidait dans la recherche d’un cessez-le-feu à Gaza, avec l’objectif de libérer les otages dont certains sont Américains. Dans le logiciel américain, cela aurait alors conduit de manière consécutive à une trêve au Liban, car le Hezbollah avait signifié qu’il cesserait les tirs de roquettes dès lors qu’il y aurait un cessez-le-feu à Gaza. Il y a finalement eu une inversion des paramètres de l’équation quand l’Etat hébreu a lancé en septembre son opération militaire contre le Hezbollah qui s’est retrouvé contraint à accepter une trêve.
Mais, paradoxalement, cette trêve au Liban est peut-être susceptible d’ouvrir une fenêtre d’opportunité pour un cessez-le-feu à Gaza. Dès l’annonce de la trêve sur le Liban, un haut responsable du Hamas a déclaré être prêt à reprendre des négociations. Le mouvement islamiste palestinien a peut-être pris conscience qu’il se retrouve désormais seul, sans le soutien du Hezbollah et en surplomb de l’Iran. Certes, [le Premier ministre israélien] Benyamin Netanyahou pourrait en profiter pour bombarder davantage, mais avec le risque de tuer d’autres otages. Le Qatar, qui avait jeté l’éponge au regard de l’impasse des négociations précédentes, se dit de nouveau disposé à les relancer. C’est aussi le calcul de Joe Biden pour lequel la double trêve constituerait une réussite diplomatique inespérée avant de la fin de son mandat.
Propos recueillis par Richard Godin pour Le Nouvel Obs.