ANALYSES

Vers une normalisation du régime syrien en Europe ?

Tribune
20 novembre 2024
Par Laurent Lahoud, diplômé d'IRIS Sup' en Géopolitique et prospective


Alors que le conflit syrien stagne depuis quelques années sans qu’aucune force de l’opposition au gouvernement n’émerge, le régime de Bachar Al-Assad est parvenu à s’imposer à nouveau comme le seul interlocuteur crédible pour la diplomatie internationale. Cette situation a permis au régime de se focaliser non plus sur sa survie, mais sur sa normalisation auprès d’États lui ayant été hostiles dans le passé, en atteste sa réintégration dans la Ligue des États arabes le 7 mai 2023. Reconnaissant la pérennité du régime, plusieurs États arabes ont souhaité renouer le dialogue avec le dirigeant syrien en espérant influer sur certains dossiers stratégiques, tels que l’emprise de l’Iran et le trafic de captagon. Les résultats restent pour le moment maigres : seules quelques actions concrètes ont pu voir le jour malgré de nombreuses rencontres officielles.

Cette absence de collaborations avec le régime reflète l’impuissance des diplomaties arabes qui peinent à proposer des contreparties attractives au régime syrien, tout en révélant un obstacle fondamental : l’internationalisation du conflit et les sanctions envers le régime qui en découlent.

Ainsi, les promesses d’investissements avancées par les États arabes, nécessaires à la reconstruction du pays se heurtent aux sanctions internationales, particulièrement celles des États-Unis. À travers son son projet de Assad Regime Anti-Normalization Act of 2023, complétant le Caesar Act de 2019, l’administration états-unienne a souhaité ajouter des dispositions pour bloquer les efforts de normalisation avec le régime syrien, en sanctionnant tout individu ou entité collaborants avec ce dernier. Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche ne laisse présager aucun changement de politique pour le moment et le maintien de ces sanctions, qui touchent principalement la population civile, ne fait qu’entretenir le statu quo actuel.

Dans ce contexte, quels sont les partisans de la normalisation avec le régime syrien en au sein de l’Europe ? Quelles sont leurs motivations et les limites de leurs approches ?

Quels pays européens se montrent favorables à une normalisation avec le régime de Bachar Al-Assad ? Comment le gouvernement italien compte-t-il influencer l’approche européenne ?

L’Union européenne a globalement soutenu la politique états-unienne et n’a cessé de rappeler la nécessité d’un processus politique conformément à la résolution 2254 du Conseil de sécurité de l’ONU, notamment à l’occasion de l’aide apportée à la Syrie lors des séismes des 5 et 6 février 2023.

Toutefois, certains États membres ont exprimé leur soutien à un rapprochement avec le régime syrien, essentiellement dans le but de lutter contre l’afflux de réfugiés. Parmi eux, le gouvernement italien se démarque et pourrait jouer un rôle moteur dans ce processus de normalisation. Le 20 septembre 2024, l’Italie a quitté le groupe de l’ONU chargé de surveiller les abus en matière de droits de l’homme en Syrie. Ce geste discret témoigne de la volonté du gouvernement italien de ne plus participer à la critique du régime, afin de pouvoir entamer un rapprochement avec celui-ci. En juillet 2024, l’Italie avait déjà pris des mesures en ce sens en nommant un chef de mission permanent à Damas, avec pour objectif de repenser la stratégie de l’Italie envers la Syrie.Ces initiatives s’inscrivent dans la stratégie de Giorgia Meloni, présidente du Conseil des ministres italienne, cherchant à inciter les pays de l’Union européenne à conclure des accords avec les pays d’origine ou de transit des migrants. Le gouvernement italien agit en établissant des coalitions avec d’autres pays pour créer un mouvement susceptible de faire évoluer les positions des institutions européennes. Dans cette logique, le ministre italien des Affaires étrangères, Antonio Tanjini, accompagné de ses homologues de sept autres pays (Autriche, Croatie, Chypre, République tchèque, Grèce, Slovaquie et Slovénie), a exprimé en juillet 2024 sa volonté de réengager le dialogue avec Bachar Al-Assad. En s’adressant à Josep Borrell, haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, les ministres ont proposé de s’engager envers la Syrie pour créer des « conditions de vie décentes » favorisant un « retour volontaire » des réfugiés.

Plus largement, la stratégie du gouvernement Meloni reçoit un certain soutien au sein de l’Union européenne. Alberto Núñez Feijóo, leader du Partido Popular en Espagne, a par exemple exprimé son soutien à « l’approche italienne envers l’immigration ». La montée des partis souhaitant lutter contre l’immigration pourrait ainsi renforcer cette tendance, marquant une rupture avec la politique de sanction. En dehors de l’Union, le Premier ministre britannique Keir Starmer, semble également favorable à l’approche italienne vis-à-vis de l’immigration, son gouvernement étant enclin à parvenir à un accord avec la Syrie ce qui pourrait contribuer à une dynamique plus globale en faveur du régime de Bachar Al-Assad.

Quelles sont les limites politiques au projet du retour des réfugiés en Syrie ? Pourquoi est-ce que la politique européenne ne répond pas de manière adéquate à la crise syrienne ?

Ces approches centrées sur la question des réfugiés soulèvent des interrogations morales et stratégiques.

Selon la commissaire Hanny Megally, le retour des réfugiés en Syrie n’est toujours pas envisageable dans les conditions actuelles en septembre 2024. En liant les « conditions de vie décentes » au retour des réfugiés, les partisans de la normalisation négligent les raisons politiques et sécuritaires qui poussent à l’exil. Par ailleurs, l’expansion de la guerre à Gaza au Liban a engendré un scénario inattendu : le retour de réfugiés syriens du Liban vers la Syrie, un argument qui permet au régime syrien de présenter un narratif rassurant quant à la sécurité de son pays, un atout dans ses efforts de normalisation.

Sur le plan stratégique, cette crise illustre les défis posés par la gestion des flux migratoires en situation de conflit. Ces flux sont difficiles à contenir et donnent lieu à des abus dans les pays d’accueil. Selon l’ONG Human Rights Watch, les Syriens en Turquie sont victimes de traitements illégaux, tels que la détention et la conduite de forces vers la frontière. Ces mesures vont donc à l’encontre du principe de « non-refoulement » de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, qui interdit aux États de renvoyer un individu vers des territoires où il serait en danger. L’utilisation de pays tiers par l’Union européenne, principalement la Turquie, n’a alors pas porté ses fruits, et les tensions autour des réfugiés dans les pays proches, comme le Liban, limitent les options pour restreindre leur arrivée en Europe.

En n’imposant pas de conditions claires pour renouer le dialogue avec Bachar Al-Assad, les États européens ne parviennent pas à offrir des perspectives de sortie de crise au peuple syrien. Dans la mesure où les risques de persécutions persistent, les réfugiés syriens resteront nécessairement hostiles à tout retour. Ces approches sont surtout motivées par des enjeux de politiques internes à ces pays et négligent la complexité de la crise syrienne.

La question de la normalisation avec la Syrie témoigne des ambivalences de la politique étrangère européenne qui ne parvient pas à mettre en œuvre une  position commune et peine à proposer des alternatives constructives.

Que ce soit en maintenant les sanctions ou en renouant le dialogue avec le régime, ces stratégies ne laissent pas présager un changement de nature du pouvoir, qui reste dangereux pour une majorité de la population. Ici, il est essentiel de comprendre la perspective du dirigeant syrien, pour qui le contrôle de la majorité du territoire et la survie de son régime sont prioritaires et ne nécessitent pas de concessions ou de retour des réfugiés.
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