13.11.2024
Victoire de Donald Trump : des changements à venir entre l’Italie et les États-Unis ?
Tribune
18 novembre 2024
Le retour du « Tycoon » pourrait avoir des impacts importants pour les pays européens. Giorgia Meloni a en partie anticipé le problème par une stratégie de rapprochement avec Donald Trump, mais cette tactique peut aussi avoir des répercussions tant au niveau national qu’international.
L’ambiguïté de Giorgia Meloni, un pari gagnant
Le premier mars 2024, Giorgia Meloni rencontrait Joe Biden à la Maison-Blanche et confirmait la politique atlantiste du gouvernement italien. Les relations étaient stables et consolidées, avec comme symbole de ce bon rapport la photo du président Biden embrassant affectueusement sur la tête la présidente du Conseil. Ce geste était une manière de rassurer les partenaires occidentaux qui voyaient de plus en plus madame Meloni se rapprocher des souverainistes européens, mais aussi des républicains et d’Elon Musk, l’invité d’honneur de la fête du parti des Fratelli d’Italia quelques mois auparavant, en décembre 2023.
Giorgia Meloni a donc joué sur les deux tableaux : constamment en relation avec Joe Biden en ce qui concernait les affaires diplomatiques, tout en tissant des liens avec des républicains grâce à Elon Musk, sans jamais faire le faux pas de se montrer directement avec Donald Trump pour ne pas froisser le gouvernement Biden. Un format qui a satisfait les Italiens : les partisans de Giorgia Meloni appréciaient ce rapport privilégié avec le fondateur de SpaceX, alors que les opposants au gouvernement italien notaient une cohérence de la politique internationale et des alliances occidentales préétablies, dans la lignée directe de Mario Draghi.
La victoire de Donald Trump a changé la perception de la politique américaine pour le gouvernement italien, qui se réoriente naturellement vers les républicains. Si Giorgia Meloni évite les déclarations trop directes, certains membres de son gouvernement présentent un enthousiasme certain en ce qui concerne l’élection de Donald Trump. Matteo Salvini, vice-président du Conseil, a déclaré qu’il porterait une cravate rouge pour les quatre prochaines années, en hommage à Donald Trump. Le gouvernement a pris une position bien plus claire à présent, ce qui pourrait jouer en faveur de l’Italie lors des prochaines négociations commerciales avec les États-Unis.
Une manière d’anticiper les potentielles difficultés commerciales ?
Donald Trump l’a annoncé, il compte augmenter drastiquement les taxes sur les importations. Une très mauvaise nouvelle pour l’Italie qui est le premier exportateur européen vers l’Amérique pour les petites et moyennes entreprises. La Lombardie, le moteur économique de l’Italie, est l’un des grands acteurs de ces exportations aux États-Unis dans le secteur manufacturier. La stratégie du rapprochement des républicains et du futur 47e président pourrait donc s’expliquer par la nécessité de limiter les potentiels conflits qui pourraient avoir un impact économique significatif sur l’économie italienne.
Reste à voir si Donald Trump souhaite vraiment augmenter tous les frais de douane sur les produits italiens. L’export transalpin vers l’Amérique est basé sur la vente de matériel industriel de pointe permettant une augmentation des productions : taxer des produits qui permettent aux Américains de faire croître leur rendement ne semble pas très logique, mais rien n’est impossible. Un autre secteur pourrait être touché, car moins stratégique pour les États-Unis, l’agroalimentaire. Lors de son premier mandat, Donald Trump avait décidé de taxer le premier pays importateur de vin dans son pays, la France. Une opportunité pour l’Italie qui est devenue le leader des ventes de vin outre-Atlantique. Si le nouveau président décidait d’appliquer la même politique lors de son prochain mandat, ce serait au tour de l’Italie d’être pénalisée dans ce secteur. Pour les régions du centre et du sud de l’Italie, moins développées industriellement, une augmentation des frais douaniers serait une très mauvaise nouvelle.
Le rapprochement du futur gouvernement américain n’a pas d’utilité que dans l’optique des exportations, mais aussi d’accords de développement en Italie. Elon Musk, admirateur déclaré de Giorgia Meloni, a parlé d’un potentiel investissement sur la péninsule : il envisagerait la construction d’un nouveau centre technologique en Émilie-Romagne, une région où la recherche est déjà à la pointe. L’installation d’une branche de SpaceX serait une opportunité importante pour l’Italie et les relations privilégiées de Giorgia Meloni et d’Elon Musk pourraient jouer en faveur du Bel Paese.
Le grand écart entre le vieux et le nouveau continent
Le double rôle de l’Italie, capable de collaborer avec Washington et Bruxelles, semble pour l’instant un atout de premier ordre, tant que Giorgia Meloni réussit à éviter des choix difficiles l’obligeant à froisser l’une des deux capitales. L’actuel ministre italien aux Affaires européennes, Raffaele Fitto, est candidat au poste de commissaire européen. Sa nomination serait un symbole important de soutien mutuel entre l’Italie et l’Union européenne, mais il faudra que monsieur Fitto fasse aussi ses preuves : lors de sa première audition pour le poste de commissaire, il a dû présenter un visage pro-européen pour convaincre les partenaires de voter pour lui, mais un accord semble encore loin. Ce qui est certain, c’est que le discours souverainiste des Fratelli d’Italia et les connexions avec les républicains ne jouent pas en sa faveur. Giorgia Meloni devra peut-être prendre des décisions plus européistes afin de rester dans la lignée de ces deux dernières années et de rassurer les partenaires voisins, au risque de décevoir l’électorat de droite italien.
Les relations restent positives avec l’Union européenne et des rapports avec les républicains sont au beau fixe, grâce à Elon Musk, mais celui-ci pourrait aussi devenir un allié encombrant pour le gouvernement Meloni.
Le propriétaire de Tesla a clairement pris position sur son réseau social X contre les juges italiens s’occupant des statuts des migrants arrivant au sud de l’Italie. Une ingérence dans la politique italienne que le président de la République Sergio Mattarella n’a pas appréciée. Giorgia Meloni n’a pas réagi, coincée entre deux feux. Ce silence pourrait faire les affaires de Matteo Salvini, à la recherche d’un nouvel élan pour revenir au centre de la politique italienne et qui prend de plus en plus une posture d’opposition dans la majorité.
Des accords difficiles à modifier devraient rester comme tels
D’un point de vue militaire, l’Italie et les États-Unis devront continuer de collaborer : deux bases américaines sont présentes sur la péninsule, notamment celle de Sigonella (en Sicile) d’où partent différentes opérations militaires en mer Méditerranée. L’alignement de la politique italienne sur celle états-unienne en ce qui concerne le conflit israélo-palestinien, facilite cette collaboration, mais les bases américaines, tout comme le soutien au gouvernement de Benjamin Netanyahou, ne plaisent pas à tous les Italiens. Giorgia Meloni devra trouver le moyen de satisfaire son électorat et ses partenaires, avec le risque de tous les décevoir.
Le gouvernement italien doit gérer ses rapports avec les États-Unis et l’Union européenne, mais aussi avec la Chine, l’un des plus importants acteurs mondiaux. Rome est toujours signataire d’un accord avec Pékin pour la réalisation de la nouvelle route de la soie, un accord peu apprécié par Washington. Si Giorgia Meloni se montre beaucoup plus prudente en ce qui concerne cet accord, qu’elle remet en cause, il ne sera pas aussi facile de s’en sortir. Les investissements chinois en Italie sont conséquents et le port de Trieste est, pour l’instant, l’un des points centraux pour la construction de la Belt and Road Initiative en raison de sa position stratégique : ce port est le plus au nord de la Méditerranée et donne un accès presque direct au marché de l’Europe centrale. Dans ces conditions, il ne sera pas si facile de faire marche arrière pour le gouvernement italien, car les enjeux économiques sont importants, mais il est difficile d’imaginer que le gouvernement Trump voie d’un bon œil cette alliance sino-italienne.
Giorgia Meloni devra forcément jouer ses cartes avec une très grande habileté si elle veut rester le partenaire de tous les acteurs mondiaux, tout en faisant attention à son électorat et en gardant un œil sur ses alliés de la majorité gouvernementale.