ANALYSES

« L’Azerbaïdjan reproche à la France d’avoir pris le parti de l’Arménie »

Presse
12 novembre 2024
Interview de Jean de Gliniasty - RFI
Comment expliquer la dégradation des relations entre la France et l’Azerbaïdjan au cours des dernières années ?

La France avait fait partie depuis les années 1990, avec la Russie et les États-Unis, d’une mission de médiation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan et donc elle avait une position d’arbitre. Après la guerre de 2020 durant laquelle les Arméniens ont subi une défaite importante, la France est passée de sa position d’arbitre à une position plus favorable à Erevan. Et cela s’est bien sûr accentué à partir de septembre 2023, quand les Azerbaïdjanais ont récupéré le Haut-Karabakh en trois jours… La France a donc progressivement évolué de sa position d’arbitre à une position nettement pro-arménienne avec, notamment, la signature d’un accord de coopération militaire avec Erevan. Petit à petit, dans l’esprit des Azerbaïdjanais, nous sommes devenus alliés de l’Arménie. Et donc à partir de là, Bakou s’est livré à un certain nombre de mesures de rétorsion à l’encontre de la France.

De quelle façon s’est manifestée la crispation actuelle entre les deux pays ?

Il y a une tradition à Bakou qui remonte au Congrès des peuples d’Orient organisé en 1920, et donc à l’époque bolchévique, pour essayer de monter les pays colonisés contre les colonisateurs. Cette tradition a été « réactivée », sans aucun doute à l’initiative de Moscou pour des raisons liées à la guerre en Ukraine. Et Bakou se veut de nouveau le centre des mouvements décolonisateurs, surtout à l’égard de l’Occident et en particulier à l’égard de la France.

Concrètement, l’Azerbaïdjan a invité des représentants du mouvement indépendantiste de Nouvelle-Calédonie et leur a apporté son soutien… Bref, Bakou fait tout ce qu’il est possible de faire pour « semer la pagaille » dans le camp adverse. D’autres mesures ont été prises mais sans aller jusqu’à aller à la rupture des relations diplomatiques ni à des mesures de rétorsion économiques puisque l’Azerbaïdjan est quand même l’un des grands pourvoyeurs de gaz de l’Union européenne.

L’arrestation de plusieurs ressortissants français en Azerbaïdjan ces derniers mois est-elle également liée à ce contexte de dégradation des relations diplomatiques entre les deux pays ?

Bien sûr, ce sont des éléments par lesquels l’Azerbaïdjan manifeste sa volonté de représailles. Évidemment, c’est une catastrophe pour les gens qui sont pris en otage de cette façon.

Quelles sont les perspectives pour la relation France-Azerbaïdjan ? S’agit-il d’un « coup de froid » passager ou cette relation va-t-elle encore se dégrader davantage ?

Je crains que cela ne s’améliore pas parce que la situation en Nouvelle-Calédonie ne s’améliore pas beaucoup, parce qu’il y a aussi des difficultés en Martinique et que l’Azerbaïdjan sera tenté, avec sans doute Moscou derrière, de poursuivre cette agitation. Je pense cependant que cela ne pourra pas aller au-delà parce que l’Union européenne a besoin des hydrocarbures d’Azerbaïdjan, qu’elle n’a, de ce fait, aucunement l’intention de rompre avec Bakou, quelles que puissent être ses sympathies pour l’Arménie. Et la France n’ira pas trop loin non plus, exactement pour les mêmes raisons.

Entretien réalisé par Daniel Vallot pour RFI.
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