En 1992, James Carville, conseiller de Bill Clinton à l’élection présidentielle américaine de 1992, est resté célèbre pour sa formule cinglante : « It’s the economy, stupid ! » (en français, « L’économie, il n’y a que cela qui compte ! »), devenue mot d’ordre de la campagne de Clinton. En cette nouvelle période électorale américaine, place à « It’s the energy dominance, stupid ! » : « il n’y a que la domination énergétique qui compte ».
Le 5 novembre prochain, les Américains vont choisir entre l’actuelle vice-présidente Kamala Harris et l’ancien président républicain Donald Trump. Alors que les États-Unis ont marqué leur retour comme puissance pétrolière et gazière depuis plus de deux décennies, les questions énergétiques et climatiques restent peu présentes dans la campagne.
Ce scrutinpourrait pourtant s’avérer crucial pour l’avenir du climat. En mars 2024, Carbone Brief estimait qu’une nouvelle présidence Trump ajouterait quatre milliards de tonnes de CO₂ dans l’atmosphère d’ici 2030 – soit l’équivalent des émissions cumulées de l’Union européenne (UE) et du Japon.
Kamala Harris porte une politique plus ambitieuse en matière environnementale que Trump, s’inscrivant dans la lignée des grands plans d’investissements de Biden, notamment l’Inflation Reduction Act (IRA). Pourtant, il existe des convergences inattendues entre leurs programmes autour de la question des énergies fossiles. Dans tous les cas, les résultats de l’élection vont impacter l’Europe, notamment pour ce qui est des échanges commerciaux d’énergie avec les États-Unis.
Donald Trump, le champion des énergies fossiles
En cas de réélection, Donald Trump propose de poursuivre la politique proénergies fossiles qu’il a menée lors de son premier mandat. Résumé par le slogan « drill, baby, drill », son objectif est d’assurer l’indépendance énergétique du pays et de fournir de l’énergie peu chère aux Américains.
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Son programme énergétique se concentre sur l’augmentation de la production nationale d’hydrocarbures, notamment via l’exploitation des pétroles et gaz non conventionnels et l’ouverture de nouveaux champs destinés au forage. Rappelons qu’en 2017, il souhaitait également favoriser la réouverture des mines de charbon.
Trump revendique une nouvelle forme de domination énergétique (energy dominance) : plus que l’indépendance énergétique des États-Unis, il s’agit d’asseoir leur puissance sur les marchés internationaux de l’énergie. Pour cela, il propose de lever toutes les barrières réglementaires et environnementales afin d’augmenter les capacités de production de pétrole et de gaz. Il entend par exemple supprimer la taxe sur les émissions de méthane mise en place par Biden, qui vise les industries pétrolières et qui est comprise entre 900 à 1 500 dollars par tonne.
Un autre élément clé de la politique qu’il entend mener s’il est réélu est la mise sous tutelle des administrations chargées de la régulation de l’énergie (le Department of Energy, ou DoE) et de la protection de l’environnement (l’Environment Protection Agency, ou EPA). Lors de son premier mandat, Trump avait placé des proches à la tête de ces institutions, retardant par exemple l’adoption de standards plus ambitieux sur l’efficacité énergétique.
Longtemps opposé aux énergies renouvelables, Trump semble adopter une ligne un peu plus équilibrée en cette fin de campagne pour obtenir davantage de votes dans des territoires qui déploient de l’éolien et du solaire. En effet, la relation du camp républicain aux énergies renouvelables est ambiguë. Publiquement, les républicains affichent un soutien décroissant envers les énergies renouvelables. En 2024, ils ne sont plus que 38 % à considérer le développement des énergies bas-carbone comme prioritaire par rapport aux énergies fossiles, contre 65 % en 2020.
L’expression Green scam, utilisée par Trump pour qualifier les subventions aux technologies bas-carbone, illustre bien ce phénomène. Cependant, plusieurs États républicains sont en tête du classement en termes de capacité de production éolienne (Texas, Iowa, Oklahoma, Kansas) et solaire (Texas, Floride) et bénéficient des retombées économiques de ces énergies. Ils ont aussi été de gros bénéficiaires des subventions données dans le cadre de l’IRA de Biden.
Cela pourrait expliquer pourquoi Trump a assoupli sa position, en cette fin de campagne, se déclarant désormais « big fan » de l’énergie solaire. Toutefois, il est assez probable que Trump réduise, voire supprime tout simplement certaines aides aux secteurs des technologies bas-carbone, comme celui des voitures électriques.
Ce programme se fera bien sûr aux dépens des politiques internationales de lutte contre le changement climatique, qu’il estime être des freins à l’économie américaine. Comme en 2017, il est probable que Trump, s’il est réélu, sorte à nouveau de l’accord de Paris, et qu’il fasse des instances multilatérales sur le climat ou sur des questions commerciales (en favorisant les politiques protectionnistes), un cheval de bataille de son nouveau mandat.
Kamala Harris, entre renouvelables et fossiles
De son côté, le programme de Kamala Harris s’inscrit dans la continuité des politiques énergétiques et climatiques initiées par Joe Biden, avec un accent sur la transition énergétique et le développement des technologies bas-carbone.
Le programme phare de l’administration Biden, l’Inflation Reduction Act (IRA), est au cœur des propositions de Harris. Ce programme ambitionne de réduire les émissions de GES américaines de 43 % à 49 % d’ici 2035. Il inclut des investissements massifs dans les infrastructures bas-carbone, l’efficacité énergétique, les énergies renouvelables, mais aussi dans le captage et le stockage du carbone, qui devraient se poursuivre avec Harris.
Contrairement à Trump, Harris prévoit de renforcer les réglementations environnementales, notamment sur les émissions de méthane, et de maintenir les subventions à l’achat pour les véhicules électriques (VE) – bien qu’elle ne se soit pas prononcée pour une interdiction des véhicules thermiques.
Si Harris affiche un soutien à la transition énergétique, elle doit aussi rassurer les électeurs des bassins d’hydrocarbures qui dépendent de ces industries pour leur emploi et leur économie. En effet, le secteur de l’extraction pétrolière et gazière représente 1,2 % du PIB américain et l’ensemble des énergies carbonées plus de 4,8 millions d’emplois (58 % des emplois totaux du secteur de l’énergie). La Pennsylvanie, considérée comme un Swing State capable de faire basculer l’élection, est le deuxième État producteur de gaz américain, et espère bien exporter son gaz vers l’Europe.
Ainsi, Harris a beaucoup nuancé ses positions sur l’industrie pétrolière et gazière pendant cette campagne. Si en 2019 elle proposait de bannir la fracturation hydraulique, elle considère désormais que c’est une technologie clé dans l’indépendance énergétique américaine. Elle n’a pas non plus repris à son compte la proposition de campagne des démocrates de 2020 qui souhaitaient interdire l’ouverture de nouvelles terres fédérales au forage d’hydrocarbures. Son programme repose ainsi sur une accélération du déploiement des énergies renouvelables, tout en poursuivant le soutien à l’industrie des hydrocarbures pour répondre aux besoins de sécurité énergétique du pays.
Cela se traduit par un équilibre délicat entre la nécessité de réduire les émissions de GES et le maintien d’une production nationale d’énergies fossiles.
Une convergence inattendue sur l’indépendance énergétique
Malgré les différences idéologiques et programmatiques, Harris et Trump reconnaissent la nécessité de maintenir une production nationale d’hydrocarbures. Les États-Unis restent la première économie mondiale en matière de produit intérieur brut (PIB) – 26 % du PIB en dollars courants selon la Banque mondiale en 2023 – mais également le premier producteur mondial de pétrole et de gaz, le premier détenteur de réserves de charbon et le deuxième émetteur mondial de GES, selon la dernière édition de l’Energy Institute Statistical Review of World Energy.
Pour Donald Trump, il s’agit de garantir la suprématie américaine sur le marché mondial de l’énergie, tandis que pour Kamala Harris, cette production est vue comme essentielle à la sécurité énergétique du pays dans un contexte géopolitique tendu.
En effet, la guerre en Ukraine et les tensions avec la Chine ont mis en lumière la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement internationales, notamment dans le domaine énergétique. Ensuite, malgré la rhétorique anti-climat de Trump, plusieurs États républicains sont, dans les faits, des leaders de la production d’énergies renouvelables. Ces projets se sont développés davantage pour des raisons économiques que climatiques, et ils devraient se poursuivre, peu importe la couleur politique du futur Président.
Trump et Harris ont donc deux méthodes distinctes, mais leur objectif stratégique reste le même : sécuriser les approvisionnements américains grâce aux hydrocarbures.
- Pour Trump, cela passe par une dérégulation massive du secteur pétrolier et gazier, une suppression des normes environnementales, l’augmentation de la production domestique et l’établissement d’une position dominante sur les marchés de l’énergie.
- Pour Harris, cela passe par un mix énergétique diversifié, composé d’énergies renouvelables et d’énergies fossiles, du financement de technologies bas-carbone, du maintien de la fracturation hydraulique, et de la subordination des objectifs climatiques à la sécurisation énergétique nationale.
Autrement dit, peu importe les résultats des élections américaines en novembre prochain, les énergies fossiles resteront au cœur du mix énergétique américain.
Quelles conséquences pour l’Europe ?
De ce fait, les résultats des élections présidentielles pourraient bien influencer la relation et les échanges énergétiques entre l’Europe et les États-Unis. Au dernier trimestre 2023, l’Europe a importé 17 % de son pétrole et 5 0 % de son LNG depuis les États-Unis, ce qui fait du géant américain un partenaire incontournable.
Quelle que soit l’issue des élections, des interrogations subsistent sur le soutien américain en matière d’exportations de LNG vers l’Europe. Le maintien de la pause de ces exportations, décidé sous Biden, pourrait à nouveau provoquer une situation délicate à court terme pour le continent européen. Considéré comme « top priority » du camp Trump, le développement de la dynamique d’exportations pourrait être plus lent avec Harris.
En cas de sortie de l’accord de Paris, Bruxelles devra arbitrer entre la coopération avec un allié stratégique et son propre agenda climatique mis en péril par les choix profossiles de Trump. L’Europe ne pourrait probablement plus compter sur la coopération américaine concernant l’approvisionnement en métaux critiques – coopération qui avait été institutionnalisée avec le Mineral Security Partnership de Biden.
En cas de victoire de Kamala Harris, l’Europe et les États-Unis seraient davantage alignés en matière de transition énergétique. Toutefois, le financement massif accordé aux énergies et aux technologies bas-carbone américaines pourrait aussi représenter une concurrence accrue pour les industries européennes, notamment dans le secteur automobile. Ainsi, si la victoire de Kamala Harris offrirait plus de perspectives de coopération, ces élections américaines soulignent les menaces qui pèsent sur la sécurité énergétique européenne, et le besoin de développer un nouveau système plus résilient.
Par Emmanuel Hache, Adjoint Scientifique au sein de la Direction Economie et Veille, Économiste et prospectiviste, IFP Énergies nouvelles ; Candice Roche, Ingénieure économiste, IFP Énergies nouvelles ; Louis-Marie Malbec, Économiste, IFP Énergies nouvelles et Vincent d’Herbemont, Ingénieur économiste, IFP Énergies nouvelles
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.