ANALYSES

L’élection de Donald Trump et ses conséquences au Moyen-Orient

Tribune
13 novembre 2024


Le moins que l’on puisse dire est que le bilan des quatre années de la présidence Biden a confirmé l’affaiblissement, relatif, de l’influence états-unienne au Moyen-Orient et la poursuite de l’alignement de Washington sur la politique du gouvernement israélien. Pour autant, l’élection du 47e président des États-Unis n’est pas une bonne nouvelle pour les peuples du Moyen-Orient, au sein duquel la situation est déjà infiniment volatile. Les prises de position politiques souvent erratiques de Donald Trump rendent évidemment aléatoires les pronostics sur les décisions susceptibles d’être mises en œuvre après sa prise de fonctions, au mois de janvier 2025. Pour autant, il est d’ores et déjà possible de formuler plusieurs remarques à partir de l’expérience de son premier mandat présidentiel et de ses dernières déclarations.

Concernant le conflit israélo-palestinien tout d’abord. On se souvient que Donald Trump avait initié une politique de soutien inconditionnel à l’État d’Israël et à Benyamin Netanyahou, déjà Premier ministre à l’époque. Systématiquement, les mesures prises par la Maison-Blanche s’inscrivaient alors dans la même logique : suppression de la contribution états-unienne au financement de l’UNRWA, l’agence de l’ONU chargée des réfugiés palestiniens ; suspension de l’aide financière à l’Autorité palestinienne ; transfert de l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem ; et surtout le fameux « deal du siècle »[1] concocté par son gendre Jared Kushner qui ne fait pas mystère de sa proximité avec l’aile la plus radicale des allées du pouvoir israélien. Ce deal possédait la singulière particularité que la principale partie concernée, en l’occurrence palestinienne, n’avait pas véritablement été consultée. La déconvenue pour les dirigeants de l’Autorité palestinienne fut encore amplifiée avec la signature des accords d’Abraham normalisant les relations entre Israël, le Bahreïn et les Émirats arabes unis, bientôt rejoints par le Maroc et le Soudan. La totalité de ces décisions avait clairement pour objectif de rendre impossible toute solution politique, donc négociée, faisant justice aux Palestiniens en application du droit international. Pour l’administration Trump de l’époque, il s’agissait de reléguer la question palestinienne aux oubliettes de l’Histoire, position au demeurant partagée par de nombreux régimes.

Depuis lors, les déclarations de Donald Trump vont exactement dans le même sens. N’hésitant pas à se proclamer « protecteur » de l’État d’Israël durant la campagne présidentielle, il a maintes fois reproché à Joe Biden et à Kamala Harris d’être inconsistants dans leur soutien à Tel-Aviv et a vivement critiqué leurs demandes de cessez-le-feu à Gaza et au Liban. La ligne de Donald Trump apparait donc comme un soutien sans aucune nuance au Premier ministre israélien.

Si la politique de Joe Biden n’a, à aucun moment, entravé la fuite en avant génocidaire de Benyamin Netanyahou, on peut considérer que ce dernier aura les mains encore plus libres avec Donald Trump. Les attaques récurrentes du gouvernement israélien contre l’ONU, les votes du parlement israélien, le 28 octobre 2024, visant à interdire le fonctionnement de l’UNRWA dans les territoires palestiniens occupés auront sans nul doute le total soutien de la future administration états-unienne alors que celle de Joe Biden avait exprimé quelques timides irritations sur ces points. On peut surtout craindre que le soutien au processus de colonisation, voire d’une possible annexion, en Cisjordanie ainsi que la perspective d’une recolonisation pure et simple de Gaza soient favorisés par Washington.

Benyamin Netanyahou ne s’y est pas trompé en félicitant chaleureusement la victoire de Donald Trump parmi les premiers. Des panneaux publicitaires ont aussi fleuri à Tel-Aviv dès la victoire connue de Donald Trump avec comme slogan « Congratulations ! Trump, Make Israël Great ! ».

Le deuxième dossier sensible dans la région est celui de la République islamique d’Iran. Nous savons l’exécration de Donald Trump à l’encontre de cette dernière puisqu’il la considère comme la matrice de « l’Axe du Mal » qu’il faut mettre à terre. Sur ce dossier plusieurs options sont possibles, mais il faut rappeler que c’est Donald Trump, lors de son premier mandat, qui a unilatéralement dénoncé le Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA), accord international signé en 2015 visant à contrôler et à réguler les activités nucléaires de l’Iran – en 2018 réduisant à néant le seul accord régional positivement négocié sous égide internationale depuis longtemps. Décision d’autant plus négative que tous les rapports des missions de contrôle de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) indiquaient à l’époque que la partie iranienne respectait scrupuleusement ses engagements. Cette mesure s’accompagna d’un renforcement des sanctions contre Téhéran dans le but d’exercer la « pression maximale » à son encontre. La logique de Donald Trump était de contribuer à la détérioration des conditions de vie du peuple iranien de manière à ce qu’il se révolte contre ses dirigeants. Logique binaire qui exprime une parfaite méconnaissance de l’histoire et du fonctionnement de la société iranienne et notamment du profond patriotisme qui irrigue toutes ses strates.

Aujourd’hui, il semble que la logique qui prévale dans la future administration Trump soit la même, alors que nous sommes dans une situation régionale beaucoup plus délétère. À ce stade, Donald Trump ne souhaite probablement pas la confrontation directe avec la République islamique, mais la principale interrogation est de savoir s’il autorisera Benyamin Netanyahou à organiser des bombardements significatifs contre les sites nucléaires iraniens, ce que Joe Biden était parvenu à éviter au cours des derniers mois de sa présidence. Ainsi, lors de la campagne électorale qui vient de s’achever, à la suite des bombardements iraniens contre l’État hébreu, Donald Trump a conseillé à Israël de « frapper d’abord le nucléaire et de s’inquiéter du reste plus tard ». À la lumière de la fuite en avant de la politique régionale israélienne, c’est bien désormais le risque principal encouru. Si les dirigeants iraniens n’ont rien laissé paraître après l’annonce de la victoire du candidat républicain ils n’en sont probablement pas moins très inquiets.

A contrario, la plupart des capitales arabes du Golfe ont manifesté leur satisfaction de l’élection de Donald Trump, percevant qu’il pourrait constituer un point d’appui pour affaiblir l’Iran. Que l’on ne s’y trompe toutefois pas, le maintien de relations de proximité avec les États-Unis ne stoppera pas la politique de multialignement qui est désormais constitutive de la politique extérieure de la plupart des pays de la région. La participation des Émirats arabes unis et de l’Égypte aux BRICS+ en constitue un indice significatif.

Ainsi, au moment où les instances de régulation politique internationale font montre de leur impuissance – l’ONU au premier rang d’entre elles – le retour au pouvoir de Donald Trump dont on connait le tropisme unilatéraliste constituera certainement un facteur supplémentaire d’incertitude et de déstabilisation qui n’est pas de bon augure pour la région.

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[1] Pour mémoire : annexion par Israël des colonies de la vallée du Jourdain, déplacement administratif de 300 000 Palestiniens d’Israël, confirmation de la reconnaissance de la souveraineté israélienne sur la vieille ville de Jérusalem. Corrélativement, possibilité, dans un délai de 4 ans à dater de janvier 2020, pour les Palestiniens de disposer d’un État démilitarisé et sans continuité territoriale, sans contrôle ni de ses frontières ni de ses espaces aérien et maritime sur une superficie équivalant à moins de la moitié de celle de la Cisjordanie et de Gaza. Cet accord n’a jamais été appliqué.
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