ANALYSES

Face à Trump, l’Europe doit promouvoir un nouveau modèle fondé sur la sobriété

Interview
12 novembre 2024
Le point de vue de Emmanuel Hache


L’élection de Donald Trump à la tête des États-Unis aura probablement un impact déterminant sur l’évolution de la lutte mondiale contre le changement climatique. Celui-ci ne cache pas en effet son ambition de libéraliser et développer le secteur des énergies fossiles, à rebours des recommandations des experts sur le climat. Ce retrait de Washington, qui aura de nombreuses conséquences négatives, laisse néanmoins un espace vacant dans le leadership de la cause climatique et représenter une opportunité à saisir pour d’autres puissances, notamment lors de la COP29, qui se tient à Bakou, en Azerbaïdjan, du 11 au 22 novembre 2024. Quelles pourraient être les principales conséquences énergétiques et climatiques de l’accès de Donald Trump à la présidence ? La COP29 peut-elle voir émerger de nouvelles initiatives face au changement climatique ? À cet égard, quel modèle l’Europe peut-elle proposer ? Le point avec Emmanuel Hache, directeur de recherche à l’IRIS, spécialiste des questions relatives à la prospective énergétique et à l’économie des ressources naturelles. Son dernier ouvrage « Métaux, le nouvel or noir » (éd. Du Rocher, sept. 2023) a reçu le Prix Marcel Boiteux 2023 de l’association des économistes de l’énergie et le Prix de l’ouvrage géopolitique 2024 de l’ILERI.

Quelles sont les principales conséquences énergétiques et climatiques de l’élection de Donald Trump aux États-Unis ?

L’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis n’est forcément pas une bonne nouvelle pour le climat. Elle pourrait même constituer un retour en arrière sur ces questions. Une note de Carbon Brief parue en mars 2024 montrait par exemple que l’élection de Donald Trump provoquerait une hausse de 4 milliards de tonnes d’émissions de gaz à effet de serre (GES) à l’horizon 2030 par rapport à un scénario d’élection d’un candidat démocrate. Ce chiffre correspond environ aux émissions cumulées de l’Union européenne et du Japon. Surtout il éloigne d’autant plus les États-Unis d’un objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050. Dès lors, on peut parler de tournant significatif d’un point de vue géopolitique, mais également climatique et environnemental. Parmi les premières mesures qui seront annoncées, on peut prévoir un retrait des États-Unis de l’Accord de Paris, le démantèlement de l’Agence de protection de l’environnement (EPA), et une suppression des taxes sur les émissions de méthane. Donald Trump envisage également de relancer les exportations de gaz naturel liquéfié (GNL) en suspendant les restrictions instaurées sous l’administration Biden. Sur le plan énergétique comme économique, son objectif est clair : éliminer les obstacles réglementaires et fiscaux pour maximiser la production et le commerce des énergies fossiles (gaz et pétrole). À l’international, cette politique pourrait se traduire par un protectionnisme affirmé, symbolisé par des taxes à l’importation et une approche fondée sur des décisions discrétionnaires et communicationnelles de court terme, illustrant le slogan « America is Back ». Une note récente du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) mettait ainsi en avant qu’en imposant par exemple des droits de douane de l’ordre de 10 points de pourcentage (pp) sur tous les produits en provenance de tous les pays, excepté le Canada et le Mexique et de 60 pp sur les importations en provenance de Chine, l’impact sur le PIB mondial serait d’environ 0,5 % et de 3,3 % sur le commerce mondial par rapport à leur scénario central. L’élection de Donald Trump pourrait signifier une fragmentation de plus en plus marquée du monde et, pour les États-Unis, la volonté de réaffirmer son leadership énergétique. Déjà leader mondial dans la production de pétrole, de gaz et dans l’exportation de GNL, les États-Unis disposent d’un pouvoir de marché considérable, renforcé depuis le milieu des années 2010, et sont en position d’accroître leur influence sur les marchés énergétiques mondiaux. L’administration Trump pourrait donc inaugurer une nouvelle ère, visant une domination accrue sur ces marchés, une stratégie qui impacterait directement les pays importateurs, notamment l’Union européenne, dépendante des exportations américaines. Donald Trump parle ainsi de domination énergétique (Energy Dominance).

Que peut-on dès lors attendre de la prochaine COP qui a débuté hier à Bakou en Azerbaïdjan ?

La COP29 s’ouvre en effet dans un contexte très incertain puisque le deuxième principal émetteur de gaz à effet de serre (GES) au niveau mondial, les États-Unis, devrait de facto limiter ses engagements ou au mieux ne pas faire preuve d’un très grand enthousiasme pour aller plus loin dans l’action climatique. Cela est d’autant plus dommageable que la COP29 devait initialement permettre d’approfondir les sujets liés au financement climatique et les États-Unis en constituent le premier bailleur de fonds. En outre, la prochaine, prévue au Brésil, devait être le lieu d’une renégociation des objectifs de réduction des émissions de GES pour 2030 et 2050. Dans le contexte où les États-Unis ne devraient pas y annoncer de nouvelles politiques volontaristes, on peut estimer qu’il ne devrait y avoir de profondes avancées. Toutefois, de manière générale, une COP réussie est une COP qui mènera à l’action, et nous verrons l’élan sur lequel s’appuieront les futurs développements sur les questions climatiques.

En outre, face à l’urgence climatique, il faut garder espoir et une bonne surprise n’est pas à exclure. Il y a déjà des points positifs : une volonté mondiale d’accélérer sur les investissements dans les énergies renouvelables (2 000 milliards de dollars d’investissements dans les technologies bas-carbone), l’efficacité énergétique et la mise en place d’un fond Pertes et préjudices. Nous pouvons également imaginer une volonté d’affirmation d’autres pays dans ces COP, pour compenser la place laissée par les États-Unis. La Chine, notamment, adore se positionner en porte-à-faux des États-Unis. Le futur espace créé par l’administration Trump pourrait ainsi constituer une réelle opportunité pour l’affirmation d’une gouvernance chinoise au niveau mondial. Par le passé, Pékin a toujours su faire preuve d’un certain pragmatisme en mêlant des objectifs domestiques et une conquête progressive sur le plan international. Dans le domaine énergétique, la Chine se pose aujourd’hui en leader de l’investissement dans les énergies renouvelables et des questions relatives au changement climatique (finance verte notamment) ; elle risque là aussi de prendre l’espace laissé par les États-Unis. Trump lui ouvre donc les portes à un leadership climatique et potentiellement industriel, ce qu’il ne souhaite pas. Ce sont un peu les effets contingents de sa politique : arriver à des impacts mésestimés et ce dans les domaines économiques, commerciaux ou climatiques.

Que peut-faire l’Europe dans ce contexte ?

En décembre 2022, dans le cadre de La Revue internationale et stratégique (RIS) nous avions réalisé un dossier dont le titre Géopolitique de la sobriété interrogeait le rôle que pourrait jouer la sobriété dans les relations internationales. J’y évoquais notamment dans l’un des articles (« La sobriété, vecteur de puissance») comment la sobriété pouvait être un vecteur d’affirmation pour les économies peu pourvues en ressources naturelles (pétrole, gaz, métaux, etc.). L’élection de Donald Trump est l’occasion pour l’Union européenne de le mettre en application. Face à Donald Trump, l’Europe doit ainsi promouvoir un nouveau modèle fondé sur la sobriété. L’incertitude géopolitique actuelle impose aux sociétés européennes et aux gouvernements de repenser leurs politiques de sobriété pour réduire les vulnérabilités liées à l’énergie et aux matériaux critiques, souvent négligées ou impensées dans les stratégies nationales. Plutôt que de se concentrer uniquement sur leurs capacités à augmenter une production nationale ou à diversifier des fournisseurs, une réflexion systématique et systémique sur les besoins et les usages offrirait une stratégie plus durable et moins exposée aux fluctuations électorales et géopolitiques. La sobriété pourrait devenir une ressource stratégique essentielle, permettant aux États européens de réduire leur dépendance, d’améliorer leur balance commerciale, et d’accroître leur sécurité énergétique et matérielle. En investissant les surplus dégagés dans des infrastructures résilientes, ces politiques de sobriété faciliteraient à la fois la modération des consommations futures et la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Elles constitueraient ainsi un levier de leadership international pour les États s’engageant dans cette dynamique. Nous rentrons dans une nouvelle ère, un âge des puissances sobres, qui permettra une réelle adaptation à l’environnement géopolitique actuelle basé sur l’incertitude. Par la réduction des consommations et une simplification matérielle et technologique, les politiques de sobriété renforceraient la résilience et l’attractivité européennes, tout en approfondissant les enjeux de souveraineté et de chaînes de valeur. Cette sobriété systémique implique un changement de paradigme vers une vision à long terme, intégrant sobriété collective et responsabilité individuelle pour le bien-être de tous.
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