20.11.2024
Politique étrangère marocaine : nouvelle donne au Sahara occidental ?
Interview
8 novembre 2024
La visite d’État d’Emmanuel Macron au Maroc s’est tenue du 28 au 30 octobre 2024. Celle-ci a concrétisé une réconciliation entre les deux pays, brouillés depuis des années, et a marqué l’occasion pour le président français d’affirmer clairement, devant le parlement marocain, la « souveraineté marocaine » sur la région du Sahara occidental, ce que contestent les nationalistes sahraouis, soutenus par l’Algérie. Ce soutien de Paris à Rabat sur cette question particulièrement sensible, qui fait suite à celui de Washington et de Madrid, rebat-il les cartes dans la région ? Comment peuvent-être impactées les relations du Maroc avec l’Algérie, sa rivale dans la région ? Quelle place tient la question du Sahara occidental dans les relations du Maroc avec les pays arabes et africains ? Le point avec Brahim Oumansour, chercheur associé à l’IRIS où il dirige l’Observatoire du Maghreb.
Le ministre des Affaires étrangères français Jean-Noël Barrot a déclaré que la visite d’Emmanuel Macron avait pour objectif de « refonder » la relation franco-marocaine. Comment celle-ci a-t-elle évolué ces dernières années ? Qu’en est-il aujourd’hui ?
La prise de position d’Emmanuel Macron en faveur du plan d’autonomie du Sahara occidental sous la souveraineté marocaine, proposé par Rabat en 2007, constitue un tournant dans la diplomatie française, car il rompt avec le jeu d’équilibre entre le Maroc et l’Algérie. Cette dernière soutient en effet le Front Polisario, et le principe d’autodétermination comme seule solution au conflit.
Une telle décision arrive après quelques années de frictions entre Paris et Rabat, causées par de multiples facteurs. Tout d’abord, la France a pendant longtemps tourné le dos au Maghreb en faveur des pays du Golfe et d’autres partenaires. Ensuite, d’autres faits et scandales avaient sérieusement ébranlé les relations franco-marocaines : la convocation du chef du contre-espionnage marocain, Abdellatif Hammouchi, par un juge d’instruction français en 2015, dans le cadre d’une plainte l’accusant de torture, suivie des révélations en juillet 2021 accusant le Maroc d’avoir espionné des personnalités politiques et médiatiques françaises à l’aide du logiciel israélien Pegasus. Enfin, la France a réduit de 50 % la délivrance de visas aux Marocains et aux Algériens pour inciter les autorités consulaires à délivrer plus de laissez-passer à leurs ressortissants respectifs, provoquant ainsi un sentiment d’humiliation chez les dirigeants marocains. Tout cela avait refroidi les relations entre Paris et Rabat sur fond de pressions qu’exerçait la monarchie alaouite pour la reconnaissance de sa souveraineté sur le territoire sahraoui.
L’augmentation de la part de l’armement français par Rabat, passée de 9 % à 14 % en 2023 donnait déjà à voir les prémices d’un réchauffement qui a rendu possible la visite de Stéphane Séjourné, alors ministre des Affaires étrangères, en février dernier. Aujourd’hui, la relation est totalement détendue depuis le revirement de la position française concernant le Sahara occidental. Cela s’est traduit par la signature de plusieurs accords et contrats d’investissement – à hauteur de 10 milliards d’euros – notamment dans les domaines des transports, de l’énergie renouvelable et la transition énergétique, à l’instar de la deuxième ligne de TGV Tanger-Marrakech. Lors de sa visite à Rabat, le président français s’est engagé non seulement à reconnaître la marocanité du Sahara occidental, mais aussi à soutenir diplomatiquement le Maroc à l’Organisation des Nations unies (ONU). Un nouveau chapitre semble ainsi s’ouvrir dans les relations diplomatiques entre Paris et Rabat, même si la lune de miel ne se déroulera pas sans entraves. D’abord, Alger va continuer, à son tour, à exercer de la pression sur Paris. La coopération entre les deux pays est déjà à un niveau très restreint alors que l’ambassadeur d’Algérie à Paris a été remplacé par un chargé d’affaires. Sur le plan économique et géostratégique, la France va devoir faire face à des concurrents de tailles, comme Israël, les États-Unis et la Chine, qui entretiennent des liens solides avec le Maroc. Enfin, la reconnaissance unilatérale des États de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental reste en contradiction avec le droit international. Tout échange commercial avec le Maroc ou investissement qui intégrerait ce territoire disputé sera considéré comme illégal, comme vient de le rappeler la Cour de justice de l’Union européenne qui a invalidé des partenariats économiques Maroc-UE incluant le territoire sahraoui, considéré par l’ONU comme territoire non autonome.
Le Maroc s’est récemment rapproché d’Israël, de l’Espagne et désormais de la France. Quel impact peuvent avoir ces rapprochements dans sa rivalité régionale avec l’Algérie ?
L’Algérie et le Maroc entretiennent des relations tendues et difficiles, notamment, depuis 1975, à cause du Sahara occidental. Contrairement à la revendication marocaine, Alger défend le droit à l’autodétermination et soutien le Front Polisario sur fond de lutte pour le leadership régional. Les tensions entre Alger et Rabat sont allées crescendo depuis la reconnaissance, par Donald Trump, de la souveraineté marocaine sur ce territoire, en décembre 2020, en contrepartie de la normalisation des relations entre Israël et la monarchie alaouite dans le cadre des accords d’Abraham. Une série d’événements a depuis accéléré l’escalade des tensions entre les deux voisins, notamment la déclaration du représentant marocain à l’ONU sur le soutien à ce qu’il considère comme « le droit à l’autodétermination du peuple kabyle » et l’affaire Pegasus. En août 2021, Alger a décidé de rompre les relations diplomatiques avec Rabat et de fermer son espace aérien, alors que les frontières terrestres sont restées fermées depuis 1994. La démarche du Premier ministre espagnol en 2022 et celle du président français cet été rajoutent de la frustration aux relations traditionnellement compliquées entre Alger et Rabat. Le rapprochement entre le Maroc et Israël est considéré comme un tournant dans les rapports de voisinage par l’Algérie, compte tenu de l’animosité qu’elle entretient avec l’État hébreu. Rappelons que l’Algérie ne reconnaît toujours pas l’État d’Israël, avançant un soutien à la cause palestinienne. Les dirigeants algériens considèrent donc la présence israélienne à ses frontières, résultat de l’alliance stratégique et sécuritaire entre Rabat et Tel-Aviv, comme une menace directe à sa sécurité intérieure, alors que la région est marquée par une instabilité inquiétante.
La réaction d’Alger vis-à-vis du revirement espagnol et français sur le Sahara occidental s’explique aussi par le fait que les dirigeants algériens voient dans cette prise de position une forme d’adhésion à une alliance plus large par laquelle le Maroc tente d’isoler l’Algérie au niveau régional et sur le continent africain.
La reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental gagne du terrain à l’international, mais quel contrôle réel exerce le Maroc sur la région ? Comment cette situation influence-t-elle la diplomatie africaine et arabe du Maroc ?
Le Maroc a réalisé ces dix dernières années un succès diplomatique en ayant convaincu plusieurs États arabes, africains et occidentaux à reconnaître officiellement sa souveraineté sur le Sahara occidental. Rabat a développé un soft power très actif et a su profiter du repli diplomatique algérien causé par les crises politiques internes pour renforcer son poids au niveau régional.
La libéralisation de secteurs clés de l’économie marocaine a attiré des investisseurs étrangers et permis le développement d’une industrie productive qui séduit les partenaires européens, arabes, américains et même la Chine et la Russie qui entretiennent pourtant de bonnes relations avec l’Algérie. La politique africaine de Mohamed VI accompagnée par le développement d’une coopération économique poussée, principalement dans les services, a renforcé ses liens avec le continent africain et au sein de l’Union africaine depuis sa réintégration en 2017. Tout cela se conjugue avec la stabilité de la monarchie par laquelle Rabat tente de se positionner comme partenaire fiable tant au niveau local que régional.
Notons également que la normalisation avec Israël fait gagner au Maroc des soutiens de taille qui renforcent son positionnement au niveau régional sur le plan diplomatique et économique.
Concernant le Sahara occidental, bien qu’il ait toujours été central dans la politique étrangère du Maroc, la reconnaissance des États-Unis de la souveraineté marocaine sur ce territoire, précédé par celle des Émirats arabes unis, du Bahreïn et certains pays africains, avait radicalisé la diplomatie marocaine sur ce dossier. Le revirement de la position espagnole, puis française, va durcir encore plus la position marocaine vis-à-vis d’autres partenaires européens, africains et arabes.
Les États membres de la Ligue arabe restent profondément partagés entre ceux favorables à la souveraineté marocaine, ceux qui soutiennent la position algérienne sur le droit des Sahraouis à l’autodétermination, et des pays qui préfèrent la neutralité. L’Union africaine, où l’Algérie et l’Afrique du Sud exercent une influence considérable, reste majoritairement favorable à la cause sahraouie et reconnaît la République arabe sahraouie. Beaucoup de pays africains soutiennent la solution onusienne du conflit par la voie du référendum sur l’autodétermination. Rabat pourrait gagner plus de terrain sur le continent africain, notamment si Donald Trump, qui revient à la Maison-Blanche, décide d’exercer plus de pression sur des pays pour aller dans le sens de la position marocaine.
Toutefois, la situation risque de rester toujours bloquée au sein des Nations unies qui maintiennent le statut de « non-autonomie » du territoire. Malgré leur neutralité sur le dossier, la Chine et la Russie pourraient bloquer des tentatives américaines visant à faire adopter des résolutions au Conseil de sécurité de l’ONU en faveur de la reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental.