12.11.2024
Guerre avec Israël, élection de Trump et contestations internes : l’Iran au pied du mur ?
Interview
7 novembre 2024
La rivalité régionale historique entre Téhéran et Tel-Aviv s’est intensifiée à la suite des attentats du 7 octobre 2023 avant de s’ouvrir sur un conflit direct en 2024. Le rôle des États-Unis dans cette confrontation semble lui aussi appeler à s’accroître, notamment en raison de l’élection de Donald Trump qui s’était illustré durant son premier mandat par un soutien indéfectible à Israël (accords d’Abraham et reconnaissance de Jérusalem comme capitale) et une grande hostilité envers l’Iran (retrait des accords sur le nucléaire, assassinat de Qassem Soleimani). Parallèlement à cette déstabilisation extérieure, l’Iran voit également se maintenir des formes de contestations internes, comme l’a illustré le dénudement d’une étudiante pour protester contre le port obligatoire du voile. Comment évolue le conflit entre Téhéran et Tel-Aviv ? Quel impact peut avoir la réélection de Trump dans la région ? Comment les contestations de la part de la population iranienne, notamment des femmes, continuent-elles de se manifester ? L’analyse de Julia Tomasso, chercheuse au sein du Programme Industrie de défense et de sécurité à l’IRIS.
Israël a bombardé ce 26 octobre 2024 plusieurs sites militaires en Iran. Où en est le conflit opposant Israël à l’Iran ?
Depuis plusieurs mois, Israël et l’Iran se livrent à un affrontement direct d’envergure, caractérisé par des escalades stratégiques et des ripostes militaires successives. Le bombardement israélien du 26 octobre 2024 a ciblé une vingtaine de sites militaires stratégiques à Téhéran, dans le Khouzistan (Sud-Ouest) et à Ilam (Ouest). Pour l’heure, la riposte iranienne se fait attendre. Fidèle à sa ligne, le Guide suprême, l’Ayatollah Ali Khamenei, a néanmoins déclaré que l’Iran ne « laisserait sans réponse aucune action de l’ennemi ». Il est peu probable que l’Iran étende ses frappes au nord d’Israël, près de la frontière libanaise, où Israël reste militairement mobilisé. En effet, Téhéran semble vouloir dissocier son rôle dissuasif global de la question libanaise, liée au Hezbollah. En évitant un conflit direct dans cette zone, le gouvernement iranien cherche plutôt à préserver la crédibilité de sa dissuasion sans compromettre la stabilité de son régime.
Mais observons davantage la montée en puissance des ripostes iraniennes. Depuis quatre ans, ces dernières ont augmenté en volume et en précision. En effet, la frappe iranienne du 1er octobre 2024 impliquait 180 missiles balistiques contre 120 missiles en avril 2024 et 80 en janvier 2020. Téhéran intensifie donc ses frappes de missiles balistiques, affirmant sa puissance et rappelant sa capacité de riposte dans la région.
Sur le plan diplomatique, cette attaque a suscité de vives réactions dans le monde arabe. La condamnation de l’assaut israélien par l’Égypte et le Qatar témoigne d’une évolution notable : désormais, les alliés historiques régionaux des États-Unis et d’Israël expriment des réserves face aux actions israéliennes. En effet, depuis deux ans, la géopolitique de la région se transforme profondément. Les alliances traditionnelles d’un bloc pro-iranien contre un bloc anti-iranien se dissolvent progressivement. La région du Proche et Moyen-Orient semble, de ce fait, s’orienter vers une stratégie de multialignement. Les États entretiennent des relations parallèles avec diverses puissances et cherchent à maximiser leurs intérêts en diversifiant leurs partenariats.
L’armée états-unienne a, quant à elle, déployé ce 4 novembre plusieurs bombardiers dans la région du Golfe. Quel impact peut avoir le renforcement des forces américaines dans la région dans cette confrontation ? Alors que Donald Trump vient d’être élu à nouveau à la tête des États-Unis, quelles conséquences pourrait avoir sa politique sur la relation entre Washington et Téhéran ?
Le renforcement de la présence militaire états-unienne dans la région ajoute une pression latente au conflit entre Téhéran et Tel-Aviv. Pour les États-Unis, les récents déploiements de bombardiers et de navires de guerre ont trois objectifs majeurs : dissuader toute attaque iranienne, soutenir Israël face aux menaces potentielles de l’Iran et réduire les risques d’agression contre les intérêts américains et alliés. Ainsi, en consolidant sa force de dissuasion, Washington entend non seulement protéger ses intérêts dans la région, mais aussi envoyer un message clair à l’Iran et à ses alliés. Aujourd’hui, près de 40 000 soldats sont présents dans les bases américaines au Moyen-Orient, répartis entre la base aérienne d’Al Udeid au Qatar — la plus grande base militaire américaine dans la région — au Bahreïn, au Koweït, en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis (EAU). Toutefois, l’implication croissante des États-Unis pourrait exacerber les tensions avec l’Iran et, par ricochet, renforcer les clivages géopolitiques entre les pays arabes alliés des États-Unis et ceux tentés par un rapprochement avec l’Iran.
Dans ce contexte, la réélection — désormais officielle — de Donald Trump pourrait durcir d’autant plus la politique états-unienne au Proche et Moyen-Orient, et entraîner une rupture prolongée des relations diplomatiques avec Téhéran. Si le nouveau président iranien Masoud Pezeshkian souhaite avant tout rouvrir les négociations sur le nucléaire, Donald Trump désire, au contraire, maintenir une pression militaire et économique élevée sur l’Iran.
En parallèle de ces agitations sur la scène régionale, sur le plan national, les images d’une étudiante iranienne arrêtée par la police après s’être déshabillée en signe de protestation contre l’obligation du port du voile et des vêtements couvrants ont fait le tour des médias à travers le monde. Qu’en est-il de l’évolution de ces protestations deux ans après les manifestations du mouvement « Femme, Vie, Liberté » ? Dans quelle mesure la contestation envers le régime de la République islamique se maintient-elle dans la société iranienne ?
Deux ans après le début des manifestations causé par la mort de Mahsa Jina Amini en septembre 2022, le mouvement « Femme, Vie, Liberté » a marqué un tournant dans l’histoire des contestations contre le régime de la République islamique. Cependant, la répression brutale des autorités iraniennes semble avoir mis un frein aux manifestations. Le régime iranien a su instaurer des instruments policiers et législatifs puissants afin d’étouffer toute forme de contestation des femmes et minorités ethniques.
Depuis avril 2024, une nouvelle campagne nationale, baptisée « Plan Noor », a été mise en place pour intensifier la répression du port du voile obligatoire. Ce dispositif de surveillance omniprésente se traduit par une multiplication des patrouilles de sécurité dans les espaces publics. Le 18 septembre 2024, un tournant juridique majeur a également été franchi pour compléter les législations existantes sur le port du hijab. Le Conseil des gardiens de la constitution a approuvé la « Loi sur la protection de la famille par la promotion de la culture du hijab et de la chasteté ». Ce texte prévoit des sanctions sévères à l’encontre des femmes et des institutions ne respectant pas cette norme. L’adoption de cette loi a accentué la pression sur les femmes iraniennes, tout en institutionnalisant la répression à travers des peines de prison plus longues, des amendes, et des restrictions d’accès à l’éducation et à l’emploi.
Malgré cette répression accrue, la contestation ne disparaît pas. Les Iraniens, en particulier les femmes, continuent de résister par des moyens variés : manifestations discrètes, réseaux sociaux, ou encore actions militantes, comme celle de Ahoo Daryaei. L’évolution de la société iranienne montre donc qu’une résistance silencieuse, mais tenace, continue de se manifester dans les sphères privées et publiques, malgré la répression systématique.