L'édito de Pascal Boniface

« Gaza : analyse d’une tragédie » – 5 questions à Yves Aubin de La Messuzière

Édito
25 octobre 2024
Le point de vue de Pascal Boniface
Diplomate français, ancien Ambassadeur en Italie, en Tunisie, en Irak et au Tchad et spécialiste du Proche-Orient, Yves Aubin de La Messuzière répond aux questions de Pascal Boniface à l’occasion de la parution de son ouvrage Gaza : analyse d’une tragédie aux éditions Maisonneuve Larose et Hemisphères.

Vous estimez que la France a perdu le crédit qu’elle avait sur la question israélo-palestinienne…

La perte de crédit de la France sur la question israélo-palestinienne est patente sous le mandat d’Emmanuel Macron. J’estimais, avec d’autres, que la voix de la France s’était progressivement éteinte sur un aspect structurant de notre politique étrangère.  Depuis la signature des accords d’Abraham, en 2020, entre Israël et plusieurs pays du Golfe, les diplomaties européennes considéraient à tort que la question palestinienne aurait perdu sa centralité et pourrait être gérée comme un conflit de basse intensité. Les initiatives improvisées du Président de la République, depuis le 7 octobre 2023, ont révélé une absence de vision stratégique globale sur les conflits qui agitent la région du Proche et du Moyen Orient. Notre diplomatie, devenue illisible, en raison des déclarations présidentielles contradictoires, s’agissant de la guerre de Gaza et de la situation au Liban, a heurté nos partenaires israéliens et arabes. Le « en même temps » ne fonctionne pas en politique étrangère. Le Quai d’Orsay est marginalisé, si bien qu’on évoque le développement d’une « diplomatie sans diplomates ».

Vous estimez que le Hamas, même affaibli, survivra à cette guerre.

La branche militaire du Hamas est largement déstructurée, en raison de ses pertes et de l’élimination de Yahya Sinouar, qui avait remplacé Ismaël Haniyeh à la tête du mouvement. L’aile politique, dont les responsables sont au Qatar, va prendre la relève et pourrait être disposée à reprendre les négociations pour la conclusion d’un cessez-le-feu et la libération des otages. Le Hamas qui imprègne depuis des décennies la société gazaouie, est sans doute davantage populaire en Cisjordanie. Il survivra à cette guerre et on peut espérer que ses nouveaux responsables, dont Khaled Mechaal, s’attacheront à une forme de normalisation, qui pourrait passer par une intégration dans l’OLP, qui reste pour la communauté internationale le seul représentant légitime du peuple palestinien.

L’Autorité palestinienne est-elle réformable ?

Dès le début de la guerre, Joe Biden a appelé au retour à Gaza d’une Autorité palestinienne « revitalisée ». Avec le soutien des pays arabes et des Européens, l’Autorité palestinienne est réformable, pour peu que Mahmoud Abbas soit écarté et que la corruption en son sein soit éradiquée. Avec l’appui des Européens, plus particulièrement de la France, des institutions ont été mises en place dès les années 1990, par l’Autorité palestinienne, en vue de la création d’un État de droit. 139 pays membres de l’ONU reconnaissent l’État palestinien. La France reste en retrait, alors même qu’elle avait été à l’avant-garde pour sa création.

La réponse de Benyamin Netanyahou ne souffre d’aucune ambigüité : « ni Hamastan, ni Fatahstan » pour diriger l’enclave. Tsahal a ouvert un nouveau front en Cisjordanie, en éliminant des cadres du Fatah, en encourageant l’extension de la colonisation et en couvrant les exactions des colons.

L’émergence du « Sud global » change-t-elle la donne ?

La guerre de Gaza a ouvert une nouvelle fracture entre l’Occident et le « Sud global » qui devient une réalité géopolitique, malgré son absence de structuration. La Chine qui aspire à en prendre le leadership, a réuni à Pékin toutes les factions palestiniennes, après avoir favorisé la reprise des relations entre Riyad et Téhéran.

La justice internationale peut-elle devenir efficiente ?

La justice internationale s’est mise en mouvement. Fin 2023, L’Afrique du Sud a déposé auprès de la Cour internationale de Justice (CIJ) une requête accusant Israël de violation de la Convention de 1948 sur la prévention du crime de génocide. Sans se prononcer sur le fond, l’instance juridique suprême de l’ONU a adressé à Israël des mises en garde lui enjoignant de prendre des mesures pour prévenir de possibles crimes de génocide. Une douzaine de pays se sont associés à la démarche de Pretoria. Hasard de calendrier, la CIJ s’est prononcée, dans des termes particulièrement sévères, en juillet 2024 sur l’illégalité de l’occupation des Territoires palestiniens et de la colonisation.

Pour sa part, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a émis des mandats d’arrêts à l’encontre de trois responsables du Hamas (éliminés depuis), ainsi que de Benyamin Netanyahou et du ministre de la Défense, pour crimes de guerre ou contre l’humanité. Pour être efficients, les mandats doivent être confirmés par trois juges de la CPI, soumis à de fortes pressions. Qualifiée d’antisémite par Netanyahou, la CPI joue sa crédibilité.

Dans son récent discours à l’Assemblée générale de l’ONU, le Premier ministre israélien a violemment vilipendé l’Organisation des Nations Unies, accusée de « verser sa bile antisémite ». Son secrétaire général, Antonio Guterres est déclaré persona non grata en Israël. Les agressions de Tsahal contre l’UNRWA à Gaza et la Finul au Liban entrent dans cette stratégie visant à écarter les Nations Unies de toute perspective de solution politique.

Cet article est également disponible sur le blog de Pascal Boniface et sur sa page Médiapart.
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