ANALYSES

Manœuvres militaires chinoises autour de Taiwan : avertissement ou amorce d’un conflit ?

Interview
15 octobre 2024
Le point de vue de Barthélémy Courmont


Les incidents entre la Chine et Taiwan se sont multipliés ces dernières années. La visite de la présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, Nancy Pelosi, à Taipei en août 2022 avait notamment conduit à une levée de boucliers chinoise, qui s’était concrétisée par des manœuvres militaires dans l’espace territorial taiwanais. Les mouvements de l’Armée chinoise à nouveau détectés dans la zone ce lundi sont cependant sans précédent, avec plus d’une centaine d’avions de chasse et d’une dizaine de navires en présence. Comment expliquer ce regain de tensions en mer de Chine ? Quelles peuvent en être les conséquences ? Comment réagissent les alliés de Taiwan ? L’éclairage de Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS en charge du Programme Asie-Pacifique.

La Chine a déployé, lundi 14 octobre, un grand nombre d’avions et de navires de guerre autour de Taiwan. Comment expliquer cette escalade dans la tension entre Taipei et Pékin, certains évoquant une volonté de mise sous blocus de l’île ?

À l’occasion de la fête nationale taiwanaise, le président Lai Ching-te, élu en janvier dernier, mais qui a pris ses fonctions en mai, a prononcé un discours dans lequel il a rappelé qu’aucune des deux rives du détroit de Taiwan ne doit être subordonnée à l’autre. Un tel propos n’est absolument pas provocateur, en ce que le président taiwanais ne fait ici que rappeler, comme ses prédécesseurs, les fondements de la souveraineté territoriale et politique de Taiwan. Mais Pékin a immédiatement dénoncé une posture indépendantiste, justifiant le déploiement de forces très importantes afin de « condamner » une telle posture. Côté taiwanais, le ministère de la Défense a répondu en annonçant le déploiement de forces destinées à défendre Taiwan en cas d’agression. Dans les faits, la Chine a engagé une opération qui ressemble à celle d’août 2022, la plus importante jusqu’alors, visant à faire la démonstration de la capacité d’encerclement de Taiwan, avant de déclarer officiellement l’opération terminée. Plus de 150 avions et 14 navires chinois ont été détectés en une journée, il s’agit d’un nouveau record. Un moyen pour Pékin d’envoyer un message fort, et de peaufiner les capacités d’encerclement.

Quelle a été la réaction des autres puissances de la région indo-pacifique, à commencer par les États-Unis, à la suite de cet évènement ?

En pleine campagne électorale, le Japon a rapidement réagi aux manœuvres chinoises, en exprimant de vives préoccupations et en envoyant plusieurs avions de chasse à proximité de la zone. Également en pleine campagne électorale, Washington s’inquiète d’une escalade et le secrétaire d’État Anthony Blinken a mis en garde Pékin contre toute provocation à l’encontre de Taiwan. Le problème pour ces deux pays repose sur le type de réponse à apporter à ces provocations. En dépit de ses ambitions de défense revues à la hausse, on imagine difficilement le Japon s’engager dans un conflit avec la Chine à propos de Taiwan. Et côté américain, quel que soit son profil, le futur locataire de la Maison-Blanche n’a pas l’intention de s’engager dans un nouveau conflit, même à distance. Les Taiwanais savent que face à la Chine, ils doivent avant tout compter sur eux-mêmes, ce qui les invite à considérer que le jour où l’offensive sera déclenchée, il sera trop tard pour y apporter une réponse. Aussi cherchent-ils une autre voie, basée sur une dissuasion invitant Pékin à reconsidérer ses ambitions en analysant les conséquences funestes d’une telle guerre. Principal fournisseur d’armes à Taiwan, les États-Unis observent cette nouvelle donne avec l’inquiétude d’une puissance qui n’a plus de rôle direct, comme ce fut par exemple le cas en 1996 lors de la première grande crise dans le détroit, et à l’occasion de laquelle Washington avait détaché plusieurs navires de guerre.

Sommes-nous à la veille d’un conflit ouvert, avec quelles forces en puissance ? Ou faisons-nous face à une énième agitation chinoise non suivie d’effets ?

Les risques de confrontation armée sont toujours élevés dans le détroit de Taiwan. Ils sont aujourd’hui renforcés par la détermination de Pékin, et par les moyens militaires considérables dont dispose la Chine, qui par cette nouvelle démonstration de force a apporté de nouvelles preuves, si cela était encore nécessaire, de sa capacité à encercler Taiwan. Cependant, cet épisode ressemble à s’y méprendre à celui d’août 2022, consécutivement à la visite à Taipei de la présidente de la chambre des représentants aux États-Unis, Nancy Pelosi. Il s’agit pour Pékin de profiter de toutes les occasions pour rappeler à son voisin que c’est désormais la Chine qui est en position de force. Mais cela ne signifie pas qu’un passage à l’acte est inéluctable, et les moyens de pression de Pékin sont beaucoup plus importants dans d’autres domaines, comme la diplomatie, l’économie ou la guerre cognitive. Une guerre ne serait qu’un ultime recours, et la Chine maitrise l’art de flirter avec la ligne rouge sans la dépasser. Cela ne doit pas pour autant rassurer les Taiwanais qui comprennent que leur voisin garde un œil sur eux, et que les moindres faits et gestes sont immédiatement prétextes à des pressions grandissantes.
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