ANALYSES

Escalade de la violence au Moyen-Orient : quel impact sur les marchés pétroliers ?

Interview
11 octobre 2024
Le point de vue de Francis Perrin

Le 2 octobre, l’Iran a lancé une centaine de missiles sur Israël, frappant notamment Tel-Aviv, en réponse à la mort de son allié, le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah. Cette régionalisation progressive du conflit, crainte depuis les attentats du 7 octobre, risque de s’intensifier encore davantage si, comme c’est probable, l’État hébreu entreprend de répondre plus avant à l’attaque de l’Iran. Parmi les possibilités évoquées, citons notamment celle d’un ciblage des sites pétroliers iraniens. À quel point les marchés pétroliers, déjà impactés depuis le début du conflit, sont-ils influencés par cette escalade de violence au Proche-Orient ? Comment les États-Unis réagissent-ils face à cette situation ? Quelle peut être la conséquence sur les équilibres mondiaux du marché pétrolier ? Le point de vue de Francis Perrin, directeur de recherche à l’IRIS, spécialiste des problématiques énergétiques.

L’escalade des tensions au Proche-Orient, notamment entre Téhéran et Tel-Aviv, a conduit à une hausse du cours du pétrole de près de 9 %. Comment le cours du pétrole a-t-il évolué depuis le début de la guerre à Gaza ? Quel a été l’impact de ce conflit et de sa régionalisation récente sur le marché de l’or noir ?

Depuis le début de la guerre à Gaza il y a un an, le prix du pétrole Brent a évolué dans une fourchette large entre un peu moins de 70$ par baril (il y a un mois environ) et plus de 90$/b (en octobre 2023 et au printemps 2024). Cette amplitude de l’ordre de 25$ est importante, mais elle est très inférieure à celle qui avait été constatée au moment du début de la guerre en Ukraine.

Les prix ont augmenté immédiatement après le 7 octobre 2023 avant de baisser fortement jusqu’à la fin novembre-début décembre 2023. Ils sont ensuite repartis nettement à la hausse jusqu’au printemps 2024 et ont chuté ensuite jusqu’à un creux inférieur à 70$/b vers le 10 septembre. La situation récente au Liban, l’affrontement entre Israël et le Hezbollah, les frappes iraniennes contre Israël le 1er octobre 2024 et l’attente d’une riposte israélienne ont fait repasser les cours de l’or noir au-dessus de 80$/b. Avant cela, les phases haussières étaient liées à la crainte que le conflit à Gaza ne s’étende à d’autres zones du Moyen-Orient, ce qui s’est malheureusement produit, et aux attaques des Houthis du Yémen contre des navires marchands en mer Rouge. Les phases baissières s’expliquent par l’espoir, au début du conflit, que l’implication militaire des États-Unis à des fins de dissuasion et son action diplomatique pour tenter de trouver une solution politique génèrent des résultats positifs et, plus récemment, par les inquiétudes des marchés pétroliers sur l’économie mondiale, en particulier l’économie chinoise. Rappelons que la Chine est le deuxième consommateur mondial et le premier importateur de pétrole.

Le 9 octobre 2024, en fin de journée, le Brent était retombé à 76,60$/b environ. À présent, tout le monde attend de voir quand et comment Israël frappera l’Iran. L’une des questions clés pour les traders est la suivante : y aura-t-il des cibles pétrolières et énergétiques dans la riposte israélienne et, si oui, quelles seront-elles ? Un autre point crucial est de savoir quelle serait l’ampleur de cette riposte. Enfin, le troisième sujet clé est l’éventuelle riposte de l’Iran à la riposte israélienne aux frappes iraniennes du 1er octobre.

À l’aune de l’élection présidentielle états-unienne, quelle est la réaction de Washington face à cette hausse et à la crainte d’une potentielle riposte israélienne ? Quelle analyse peut-on dresser de la capacité d’influence de Washington sur le secteur pétrolier par rapport à celle des membres de l’OPEP+ ?

L’administration Biden a « conseillé » aux dirigeants israéliens de ne pas riposter de façon trop forte pour ne pas générer une escalade supplémentaire et a fait savoir qu’elle n’était pas favorable à ce que des cibles nucléaires et pétrolières soient frappées. Pour le pétrole, les motivations américaines sont les suivantes : de telles frappes feraient monter les prix du pétrole, donc les prix des carburants, ce qui ne serait pas un cadeau pour Kamala Harris dans son duel avec Donald Trump ; la hausse des prix du brut serait une bonne nouvelle pour la Russie qui a besoin de beaucoup d’argent compte tenu de la guerre en Ukraine ; l’Iran pourrait riposter, car certains responsables iraniens ont indiqué que des frappes d’Israël contre le pétrole et/ou le nucléaire en Iran seraient des lignes rouges ; et on peut craindre que des actifs pétroliers dans d’autres pays du Moyen-Orient ne soient négativement affectés par cette montée des tensions. Bien entendu, cette vision de l’administration Biden ne serait pas du tout celle d’une éventuelle administration Trump.

Les États-Unis sont actuellement le premier producteur mondial de pétrole devant la Russie et l’Arabie saoudite dans cet ordre. Ce pays n’a jamais produit autant de pétrole dans toute son histoire et, encore plus important, aucun autre pays n’a produit à un tel niveau dans toute l’histoire pétrolière mondiale. Leur production de pétrole brut dépasse 13 millions de barils par jour (Mb/j) sur une production mondiale qui sera de 103 Mb/j environ en 2024. Le poids de ce pays est donc très important en termes pétroliers. Cela dit, l’OPEP, qui regroupe 12 pays, produit au moins 27 Mb/j et l’OPEP+ (22 pays) 41-42 Mb/j. Sans oublier que la capacité de production de l’OPEP+ est supérieure d’un peu plus de 6 Mb/j à sa production actuelle. On ne peut donc pas faire abstraction de cette coalition même lorsque l’on est les États-Unis.

Pays membres de l’OPEP+ (notamment Arabie saoudite et Venezuela), États-Unis, Russie, Chine… Quels sont les perspectives et les principaux défis pour ces acteurs du secteur pétrolier et gazier ? Une recomposition progressive de l’offre et des flux internationaux est-elle ou non à l’œuvre ?

Il y a déjà eu récemment une recomposition des flux pétroliers internationaux, mais elle était liée à la guerre en Ukraine et pas à celle à Gaza. Les impacts pétroliers effectifs de ce second conflit sont, à ce jour, beaucoup moins forts que ceux qui ont suivi le 24 février 2022. L’Union européenne a décidé en 2022 de se passer quasiment complètement du pétrole brut et des produits raffinés provenant de Russie et s’est donc tournée davantage vers l’Amérique du Nord, le Moyen-Orient et l’Afrique pour satisfaire ses besoins pétroliers. De son côté, la Russie s’est plus tournée vers l’Asie pour ses exportations pétrolières, avec la Chine et l’Inde en tête. La guerre à Gaza a eu, jusqu’à présent, des impacts pétroliers beaucoup plus limités, mais il faut voir ce qui se passera entre Israël et l’Iran, ce second pays contrôlant d’énormes réserves pétrolières et étant le septième ou le huitième producteur mondial de pétrole.

Le Venezuela contrôle les plus grosses réserves pétrolières prouvées au monde devant l’Arabie saoudite et l’Iran. Mais sa production est très faible au regard de cet énorme potentiel : environ 900 000 b/j seulement, soit dix fois moins que l’Arabie saoudite… Cela s’explique par l’effondrement économique de ce pays depuis plusieurs années. Il n’est donc pas particulièrement bien placé pour tirer les marrons du feu. Les États-Unis, l’OPEP+ et, au sein de cette alliance, des pays comme l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis sont dans une situation beaucoup plus favorable. Mais l’OPEP+ fait face à de sérieux défis. Sans la guerre à Gaza et son extension au sein du Moyen-Orient, les prix du brut seraient nettement plus bas qu’ils ne le sont aujourd’hui, car la croissance de la demande pétrolière mondiale se ralentit et l’offre est abondante. Il y a une prime géopolitique dans les prix actuels du brut et celle-ci disparaîtrait si l’on trouvait demain des solutions politiques aux tensions et aux conflits au Moyen-Orient. Mais ce n’est malheureusement pas un scénario très crédible à court terme.
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