13.12.2024
7 octobre, un an après : quelles leçons géopolitiques ?
Édito
8 octobre 2024
Le Hamas s’était déjà distingué dans le passé en faisant dérailler les accords d’Oslo. Il y avait alors deux types d’opposants à ces accords : la droite et l’extrême droite israéliennes et le Hamas qui, par la multiplication d’attentats, a affaibli le camp de la paix et avait amoindri la confiance que les Israéliens pouvaient avoir dans un processus négocié. Le Hamas s’évertue donc depuis longtemps à rendre inaudible et inacceptable la cause palestinienne pour les Israéliens. Il a renouvelé cela le 7 octobre 2023 avec des attentats dans lesquels on ne peut pas voir un acte de résistance face à Israël, dans la mesure où la majorité des victimes sont des civils.
En revanche, mettre en cause l’immense responsabilité du Hamas ne revient pas à nier celle de de Benyamin Netanyahou, laquelle est multiple. Tout d’abord c’est lui qui a avantagé le Hamas – faits largement documentés. Il a considéré que pour s’opposer à la création d’un État palestinien, il fallait aider le Hamas en tant que concurrent à l’Autorité palestinienne et du Fatah. Peu de temps avant le 7 octobre, c’est lui qui a retiré des bataillons de l’armée israélienne de Gaza pour les placer en Cisjordanie et venir en renfort des colons qui se livraient à de nombreuses exactions contre les civils palestiniens. C’est lui qui a amené deux partis extrémistes à intégrer la coalition gouvernementale, dont les représentants avaient appelé à l’assassinat de Rabin en leur temps. C’est donc Benyamin Netanyahou qui a rendu impossible toute perspective politique pour les Palestiniens, ce qui a indirectement favorisé le Hamas.
Un an après le 7 octobre, la société israélienne apparait durablement traumatisée et ne voit pas la souffrance du peuple palestinien. Or, cette date signe aussi l’anniversaire de la réponse militaire israélienne à Gaza, alors que les pertes civiles palestiniennes atteignent au moins 41000 morts, auxquels il faut ajouter près de 100 000 blessés et mutilés. Un bilan qu’on peut supposer certainement bien plus important lorsque l’on ajoute les victimes qui sont encore sous les décombres des bombardements ou qui sont mortes des suites de leurs blessures.
Dans ce contexte, la haine s’aggrave des deux côtés. Elle a augmenté du fait des attentats du Hamas et du fait de la réponse disproportionnée d’Israël. Au lendemain du 7 octobre, Joe Biden avait pourtant mis en garde Israël de ne pas faire la même erreur que les États-Unis à la suite du 11 septembre. Le gouvernement de Benyamin Netanyahou n’a pas écouté ces avertissements et l’armée israélienne, qui sait pourtant très bien mener des éliminations ciblées, a réagi de manière massive. Aussi, alors que le soutien à Israël après le 7 octobre était quasi unanime sur la scène internationale, il commence à s’effriter, à la manière dont le soutien à la cause américaine, quasi unanime après le 11 septembre, s’était lui-même effondré après le déclenchement de la guerre d’Irak, pour ne pas parler de Guantanamo et des différentes exactions de l’armée américaine.
Israël riposte à Gaza, en Cisjordanie et désormais au Liban, et peut-être bientôt en Iran. Le déploiement de force est colossal, et on comprend que pour les responsables politiques israéliens, au premier rang desquels Benyamin Netanyahou, seule la force compte pour rétablir la sécurité. Or l’histoire aussi bien que l’actualité a montré que cette politique de la force est une impasse et pire même, cela revient à faire peser un risque plus grand sur la sécurité d’Israël puisque l’usage de la force n’a jamais amené la sécurité, au contraire. L’histoire, en particulier au Liban et à Gaza, témoigne qu’intervention après intervention, les victoires militaires d’Israël ne sont pas accompagnées de victoires politiques et que l’opposition, y compris armée, à Israël s’est reformée après une défaite du Hezbollah et du Hamas. Tant qu’il n’y aura pas de perspective politique, cette réalité demeurera.
Dans cette stratégie de force, Israël a deux options. Soit il expulse tous les Palestiniens de Gaza, ce qui constituerait nécessairement un crime contre l’humanité, et serait difficilement soutenu et accepté par les plus proches alliés d’Israël. Soit Israël est contraint à continuer des opérations régulières à l’encontre de la population palestinienne, ce qui constitue tout autant un crime contre l’humanité, et ne fera qu’alimenter le cycle de haine et de violence, puisque le Hamas continuera de se reconstituer au milieu de la population palestinienne.
Que se passe-t-il désormais à Gaza ? La vie y est insupportable. Il n’y a plus d’infrastructures, de systèmes de santé ou d’éducation. Les Palestiniens sont toujours contraints de se déplacer dans cette bande de quelques kilomètres carrés pour fuir les bombardements, le tout sans aucune perspective et avec la menace permanente de mourir d’une frappe israélienne.
L’absence de perspective politique résulte du fait qu’aucun des principaux acteurs, à savoir le gouvernement de Benyamin Netanyahou d’un côté et le Hamas de l’autre, n’est favorable à la paix, mais aussi que plus aucun des acteurs extérieurs ne parvient à peser sur ces protagonistes.
Les pays arabes sont les muets du sérail. En dehors de quelques déclarations factices et inutiles en soutien à la cause palestinienne, ils ne pèsent plus et ne veulent plus peser sur la situation. Certains ont signé des accords de normalisation avec Israël qu’ils ne remettent pas en cause. D’autres ont des accords plus ou moins officiels. Ceux qui sont les plus vocaux n’enclenchent aucune action pouvant avoir des effets sur la situation.
Les États-Unis depuis un an ont montré leur impuissance. Joe Biden est tétanisé et ne veut pas gâcher, dans un premier temps sa réélection, désormais l’élection de Kamala Harris, en s’engageant davantage dans la résolution de ce conflit. Donald Trump met de l’huile sur le feu en appelant Israël à réagir d’autant plus fortement, mais il n’est pas au pouvoir. On constate en réalité que presque aucune des demandes américaines n’a été retenue ou acceptée par Israël, tandis que les États-Unis continuent de livrer des armes à Israël, tout en appelant à un cessez-le-feu. La superpuissance américaine ne pèse finalement que très peu sur le conflit. Parallèlement, la France est de la même manière très présente vocalement et totalement absente sur le plan des effets. Il est loin le temps où la France était écoutée dans la région. Désormais, en courant plusieurs objectifs contradictoires, en cherchant à ménager un peu la chèvre et le chou, la France s’est rendue inaudible dans la région. L’Union européenne montre ses contradictions, les votes aux Nations unies en témoignant – les États membres se répartissant systématiquement entre abstention, vote favorable et vote contre. Certains pays s’alignent uniquement dans le sens des États-Unis. L’Allemagne reste particulièrement traumatisée par le souvenir de la Shoah et de ses responsabilités. La France est désormais moins allante sur le sujet. Aussi n’y a-t-il plus vraiment de pays moteur au niveau de l’Union européenne. Si l’Espagne, l’Irlande et la Slovénie ont reconnu au cours de l’année la Palestine, ils n’ont pas assez de poids pour créer un mouvement.
Dans ce contexte, les pays du Sud global sont indignés puisque, si la mémoire de la Shoah est centrale dans le monde occidental, c’est pour eux la mémoire de la colonisation et du colonialisme qui est la plus importante. Aussi ces pays voient-ils dans la situation palestinienne la réplique d’une situation coloniale. Ils s’indignent des bombardements massifs sur la population palestinienne et ce d’autant plus au regard des doubles standards des pays occidentaux qui condamnent très fermement les bombardements de populations civiles par la Russie en Ukraine, exigeant des sanctions contre la Russie (par ailleurs exclue des Jeux olympiques), mais qui ne font rien concernant les actions d’Israël à l’encontre des civils palestiniens. Il existe donc une colère, une indignation dans de nombreux pays du Sud global concernant ce qui apparaît comme une hypocrisie du monde occidental, qui perd ainsi son crédit moral.
De leur côté, Pékin et Moscou tirent les marrons du feu de façon parfaitement opportuniste puisque la cause palestinienne n’est pas réellement un élément moteur de leur diplomatie. La Russie nourrit le discours de doubles standards, en soulignant qu’elle est condamnée lorsqu’elle bombarde l’Ukraine, là où les Occidentaux ne disent rien concernant Israël. La Chine cherche également à tirer son épingle du jeu en appelant à un cessez-le-feu aussi bien en Ukraine qu’au Proche Orient, et en soulignant la responsabilité des États-Unis dans ces deux conflits, puisque livrant des armes aussi bien à l’Ukraine qu’à Israël. Là aussi, la Chine y trouve un moyen de prendre l’avantage dans son duel avec les États-Unis pour la suprématie mondiale.
Un an après les attentats du 7 octobre, la force l’emporte partout. Cette politique de la force avait déjà été celle des États-Unis en Irak, elle a mené à l’intervention en Libye, aux guerres au Soudan, en RDC, à l’agression de l’Ukraine par la Russie… Dans ce contexte, chacun observant l’autre se dit qu’il devient acceptable d’avoir recours à la force. Dans un monde régulé par la force militaire, c’est le droit qui international qui est en recul.
Le seul motif d’espoir est l’éventuelle progression de la justice pénale internationale. Pour la première fois, le Procureur général de la CPI a demandé l’inculpation de dirigeants rivaux des Occidentaux, de deux dirigeants israéliens ainsi que des dirigeants du Hamas, en les mettant sur un pied d’égalité. Cela en a indigné beaucoup, dénonçant le fait de mettre sur un pied d’égalité les représentants d’un pays démocratique et les représentants d’un groupe terroriste. S’agissant de la justice internationale, la gouvernance de ces responsables n’importe pas, ce sont leurs actions qui sont jugées. Dans un cas comme dans l’autre, ils sont accusés de crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. S’il y a débat sur la qualification de génocide concernant les attaques israéliennes envers la population gazaouie, il convient d’ailleurs de rappeler que la convention de 1948 prévoit la « prévention du crime de génocide ». Par cette possible inculpation, la Cour pénale internationale se distingue et la seule perspective positive dans le contexte actuel pourrait être celle d’une pénalisation du comportement illégal de certains dirigeants et cette fois-ci, pas uniquement de dirigeants de pays africain ou de rivaux des Occidentaux. Le fait que soit par ailleurs l’Afrique du Sud qui a porté le combat juridique concernant les crimes commis par l’armée israélienne devant la Cour internationale de justice est un élément central et qui constitue à nouveau une perte de crédit pour les pays occidentaux qui ont, pendant des années, affirmé que le droit devait régie les relations internationales et qui acceptent qu’il soit foulé au pied en ne protestant que de façon purement platonique.
Un an après le 7 octobre, les perspectives positives sont maigres. La situation risque de s’empirer au Proche-Orient, alors que le conflit s’étend au Liban et menace de le faire avec l’Iran. Les déstabilisations, les bombardements et in fine les morts risquent de continuer à s’accumuler, chaque acteur étant entré dans la stratégie du bombardement comme moyen de préserver sa propre crédibilité et pensant que seule la force pourra permettre de remplir ses objectifs politiques. À nouveau, l’histoire nous prouve qu’une telle stratégie est contreproductive. Aussi risque-t-on de se demander pourquoi n’a-t-on pas été suffisamment vigilant pour réellement agir pour mettre fin à une telle escalade en utilisant de réels moyens de pression dont personne ne semble vouloir se saisir pour le moment.