ANALYSES

« Il y a peut-être eu une erreur de calcul du côté iranien »

Presse
2 octobre 2024
Interview de David Rigoulet-Roze - Watson

Comment décririez-vous l’attaque de missiles iraniens mardi soir sur Israël par rapport à la précédente attaque iranienne du 13 avril, contre Israël déjà?
Elle est similaire en apparence, notamment par le nombre de projectiles, environ 200, autour de 350 en avril dernier, mais elle est nettement différente en réalité. Parce que, cette fois-ci, on a visiblement affaire à des missiles balistiques hypersoniques. On se situe dans une logique qui est plus susceptible d’entrer dans une dynamique « escalatoire ».


Quels types de projectiles avaient été utilisés en avril par les Iraniens ?
C’étaient essentiellement des drones et quelques missiles de croisière, dont le temps de trajet est de près de neuf heures pour les drones et deux heures pour les missiles de croisière. Ce qui laisse une marge de manœuvre pour les intercepter, comme cela avait été le cas en avril pour près de 99% d’entre eux.


Alors que la donne était tout autre mardi soir…


La durée de vol d’un missile balistique n’est en effet pas la même. Elle est d’une douzaine de minutes pour effectuer le trajet des quelque 1700 kilomètres qui séparent l’Iran d’Israël. L’interception est rendue beaucoup plus difficile

Quelle était la volonté de l’Iran en avril ?
En avril, l’Iran savait que son attaque serait en grande partie interceptée en vol. A l’époque, il s’agissait pour l’Iran de répliquer à une frappe meurtrière le 1ᵉʳ avril sur son consulat à Damas, en Syrie. Israël n’avait pas revendiqué cette frappe. Mais Téhéran se sentait obligé de répondre militairement à un affront imputé à l’Etat hébreu, son ennemi. Il l’avait fait d’une manière à ce que sa riposte ne soit pas motif à une escalade incontrôlable. Cette fois-ci, c’est différent. Le ciblage aussi est différent, puisqu’il y a des bases militaires parmi les sites visés ou frappés. Il s’agirait des bases aériennes de Nevatim (F-35) et Hatzerim (F-15), utilisées pour éliminer le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah à Beyrouth


Mardi soir, des pays tiers ont-ils participé à la défense d’Israël ?
Certainement. Les Américains auraient abattu une douzaine de missiles à partir de leurs destroyers présents en Méditerranée et en mer Rouge, grâce à leur système anti-missiles Aegis. Les États-Unis ont par ailleurs déployé dans la région un porte-avions nucléaire, l’USS Abraham Lincoln avec toute son escadre et un sous-marin d’attaque lanceur de missiles de croisière. Par ailleurs, les Jordaniens auraient également intercepté certains missiles, comme ils l’avaient fait lors de l’attaque iranienne d’avril, en faisant valoir une violation de leur souveraineté aérienne.










Une riposte israélienne à l’attaque de mardi soir aura lieu, ont annoncé les Israéliens. Les Américains la prépareront avec eux. Qu’est-ce que cela signifie ?
La réplique étant certaine, en cela conforme à la doctrine israélienne, et risquant d’être nettement supérieure en intensité à celle qui avait visé une base aérienne d’Ispahan le 19 avril en réponse à l’attaque iranienne du 13, cela signifie sans doute que les Américains veulent avoir leur mot à dire sur les cibles qu’Israël choisira de frapper. Et ce, d’autant plus, si Israël a des velléités de cibler des sites nucléaires iraniens. C’est pour cela que les Américains parlent de « coordination », pour ne pas laisser une marge de manœuvre totale à Israël et pour éviter une logique « escalatoire » potentiellement incontrôlable








Le Guide suprême iranien, l’ayatollah Khamenei, ne craint-il pas le sort infligé par Israël au chef politique du Hamas Ismaël Haniyeh, tué le 31 juillet à Téhéran, où il pensait être en sécurité, ainsi qu’au chef du Hezbollah Hassan Nasrallah, mort le 27 septembre dans la destruction du QG du parti chiite situé dans la banlieue sud de Beyrouth ?


C’est lui qui a tranché dans le choix de la nature de la riposte iranienne contre Israël mardi soir. Il faut bien comprendre que l’on se trouve actuellement dans une logique de restauration de la dissuasion de part et d’autre, avec une montée des curseurs à chaque fois plus élevés. Du côté iranien, il y a eu un débat stratégique approfondi autour du Guide suprême et des hésitations avant de procéder à l’attaque de mardi. Fallait-il ou non répondre de la sorte à l’élimination de l’état-major du Hezbollah et de son chef Hassan Nasrallah ? L’ayatollah Khamenei s’est mis à l’abri avec des mesures drastiques de sécurité, car il est convaincu qu’il est désormais potentiellement ciblé


En dehors du Guide suprême, qui a arbitré en faveur de la riposte que l’on sait ?
Le président iranien, Masoud Pezeshkian, considéré comme un «modéré» au sein du régime, était contre, estimant qu’il y avait possiblement un «piège» tendu à l’Iran par Israël. Il s’agissait pour eux de laver l’humiliation de la destruction du QG du Hezbollah et de chercher à restaurer une dissuasion qui a été ébranlée avec l’affaiblissement stratégique des mandataires de l’axe de la muqawama, ladite «résistance» contre Israël. Ceux qui ont pesé en faveur de la réplique sont les Gardiens de la révolution.


Qui trouve-t-on dans cet axe?
Cet axe comprend sous la direction de l’Iran, une myriade de mandataires, appelés aussi des proxys, tels que le Hezbollah, le Hamas, les groupes pro-iraniens en Syrie et en Irak, ainsi que les Houthis du Yémen. Le Hamas à Gaza et le Hezbollah au Liban qu’Israël a entrepris de détruire au moins en termes de menace militaire, constituaient des outils de projection d’une forme de dissuasion iranienne. Ces outils sont à présent stratégiquement dévalués. Par son attaque directe d’Israël, l’Iran, cette fois-ci en première ligne, tente de restaurer ses capacités de dissuasion.


On craint beaucoup l’escalade dans la région. Mais n’y est-on pas déjà? N’est-on pas déjà dans l’embrasement?





On est effectivement entré dans une logique d’engrenage.




Qu’est-ce qu’il pourrait y avoir de pire?
Que la dynamique devienne potentiellement incontrôlable avec des frappes israéliennes d’envergure en Iran, ciblant notamment les sites nucléaires, qui conduiraient l’Iran à vouloir répliquer encore davantage avec des attendus problématiques.


De son côté, Israël serait-il en mesure de résister à des frappes plus massives que celles de mardi soir?
Pour Israël, c’est le problème, puisque tous les missiles lancés hier soir par l’Iran n’ont pas été arrêtés par les trois strates du système anti-missile (dôme de fer, fronde de David et système Arrow) destiné à protéger le territoire israélien Mahsa Amini, un an après: «Le régime iranien est condamné à tomber». C’est une prise de risques maximale des deux côtés. C’est ce qui fait le caractère particulièrement dangereux de la situation.


Le régime iranien joue-t-il son va-tout dans l’affaire?
Encore une fois, il prend énormément de risques. Il y a peut-être eu côté iranien une «erreur de calcul» des risques en ne poussant pas le Hezbollah à reculer ses positions à l’intérieur du Liban, loin de ladite «ligne bleue» servant de frontière, ce qui était instamment demandé par Israël en s’appuyant sur la résolution 1701 de l’ONU votée en 2006 après la «guerre de 33 jours» déjà entre le Hezbollah et Israël. Au moins a minima sur une dizaine de kilomètres, comme l’envisageait un «plan français» coordonné avec les Etats-Unis.Cela aurait pu laisser ouverte une fenêtre d’opportunité pour finaliser une logique transactionnelle diplomatique. Aujourd’hui la question ne se pose plus et c’est ce qui induit la logique « escalatoire » désormais à l’œuvre.

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