ANALYSES

Les centres de santé en temps de guerre : ceci n’est pas une cible

Tribune
2 octobre 2024

Les centres de santé en temps de guerre ne devraient pas être une cible. Et pourtant, difficile de passer à côté des attaques envers les systèmes et centres de santé en 2024. Du fait de leur protection par les Conventions de Genève, les attaques contre les centres de santé constituent une violation du droit international humanitaire depuis 1949 (article 18 de la quatrième Convention de Genève, ainsi que les Protocoles additionnels I et II). De plus, le Statut de Rome de la Cour pénale internationale les qualifie de crimes de guerre (article 8), et le Conseil de sécurité des Nations unies les condamne avec fermeté.
On pourrait s’attendre à ce que, sous la protection de ces lois, les attaques contre les centres de santé deviennent de plus en plus rares. Cependant, la réalité est bien différente. Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), 1 520 offensives contre des structures de santé ont été recensées l’an dernier. Jusqu’au 3 septembre 2024, 1 701 attaques – comprenant des agressions, des assauts et des bombardements – ont déjà été répertoriées à travers le monde.

Ces violences se concentrent principalement autour de quatre foyers de conflit majeurs. Deux d’entre eux sont régulièrement sous les projecteurs médiatiques : le Moyen-Orient et le conflit russo-ukrainien. Les deux autres, bien que plus silencieux, sont tout aussi destructeurs : le Soudan et le Myanmar.

Au Myanmar, un conflit historique opposant la minorité musulmane rohingya, non reconnue par les autorités birmanes, aux populations bouddhistes, refait périodiquement surface depuis le début du XIXe siècle. Ce conflit a bouleversé la vie de milliers de personnes, avec une résurgence majeure en 2017, qui a conduit au déplacement de plus de 700 000 Rohingyas vers le Bangladesh, considéré par les autorités birmanes comme leur pays d’origine.
Dans ce climat de conflit permanent, les attaques contre les centres de santé sont fréquentes. Bombardements par l’armée, ruptures d’approvisionnement en médicaments dues à des blocus, missiles visant les hôpitaux, assassinats de personnel médical, occupations d’hôpitaux, et entraves à l’accès aux soins deviennent monnaie courante. En août dernier, une attaque conjointe menée par les Forces de défense populaire (PDF) et le groupe armé Myanmar National Democratic Alliance Army contre un hôpital a fait neuf morts parmi le personnel médical et 21 parmi les patients. En 2024, 234 attaques ont été recensées contre des centres de santé, faisant du conflit dans l’État de Rakhine l’un des plus négligés par les médias occidentaux et francophones.

Au Soudan, le conflit oppose les Forces armées soudanaises (SAF) à la milice paramilitaire des Forces de soutien rapide (FSR), dans une lutte ouverte pour le contrôle du pouvoir. Ce bras de fer a éclaté après la chute du régime d’Omar El-Béchir en 2019, laissant un vide politique exploité par ces deux factions rivales. Le conflit, qui ravage actuellement le pays, a causé plus de 12 000 morts et déplacé près de 8 millions de personnes, aggravant une crise humanitaire déjà alarmante.
Ce conflit tend à prendre une dimension ethnique, en particulier contre la communauté masalit dans la région du Darfour, où des violences ciblées s’intensifient. Les affrontements se déplacent dans l’espace public, impactant sévèrement les infrastructures civiles, notamment le système de santé. Ce dernier, déjà fragile, a subi de lourds revers, exacerbés par des pénuries de médicaments à travers la capitale, Khartoum. En 2023, une attaque contre le Centre médical national de Khartoum a précipité cette crise sanitaire, illustrant l’ampleur du chaos qui s’étend à l’échelle nationale. Ce conflit menace la stabilité régionale et alimente une dynamique de violence de plus en plus incontrôlable.

En Ukraine, au 19 août 2024, l’OMS a recensé 1 940 attaques contre des centres de santé depuis le début du conflit, marquant une nette escalade, notamment en raison de l’utilisation accrue d’armes lourdes. Depuis 2023, ces attaques sont devenues presque quotidiennes, particulièrement près de la ligne de front. Cette situation contraint souvent les centres de santé à se relocaliser dans des endroits tenus secrets, ce qui complique l’accès aux soins d’urgence, tant pour les soldats que pour les civils en besoin critique. En juillet, une attaque par missile contre une maternité dans le district de Dniprovskyi a causé la mort de cinq membres du personnel médical, illustrant la brutalité et l’intensité croissante des violences visant le secteur médical.

Au Moyen-Orient, la situation à Gaza reste critique, et les conflits n’épargnent pas les établissements de soins. Depuis le début des hostilités en octobre dernier, plus de 1 000 attaques ont été menées contre des centres de santé. Dans la guerre opposant le Hamas à Israël, les hôpitaux sont particulièrement visés et instrumentalisés par les belligérants, que ce soit pour s’y dissimuler ou pour retenir des otages, ce qui aggrave lourdement le bilan humain et matériel.

Au 23 septembre 2024, 19 des 36 hôpitaux de Gaza sont hors service, et les 17 restants fonctionnent partiellement. Ces hôpitaux souffrent d’un manque criant de médicaments, d’équipements et de carburant, ce qui menace gravement les services vitaux comme les soins intensifs, la néonatologie et les maternités. La situation est similaire dans les centres de santé primaires : 57 des 132 sont aujourd’hui inopérants. Le personnel médical paie un lourd tribut, avec plus de 500 professionnels de santé tués depuis le début du conflit.
Ce conflit dépasse les frontières de Gaza, avec un potentiel d’embrasement régional. Au Liban, les infrastructures sanitaires sont également prises pour cible, avec 45 attaques recensées en 2024, ayant causé la mort de 41 membres du personnel médical.

Les centres de santé, bien qu’ils soient protégés par le droit international et les conventions humanitaires, sont donc souvent pris pour cibles lors des conflits. En effet, l’attaque d’un centre de soins revêt une importance stratégique pour plusieurs raisons :

– Affaiblissement de l’ennemi : priver l’adversaire de soins médicaux essentiels affaiblit sa capacité à se maintenir sur le terrain. Les attaques sur ces établissements affectent également la population civile en la privant de l’accès à des soins vitaux, indispensables en période d’insécurité. Ces actions ont des conséquences non seulement physiques, mais aussi psychologiques, exacerbant la détresse au sein des communautés. Les centres de santé, souvent non protégés militairement et se reposant sur le cadre juridique international, deviennent ainsi des cibles vulnérables. De plus, ces lieux peuvent receler des ressources précieuses, telles que des médicaments, du matériel médical, du carburant, des véhicules ou des générateurs, qui peuvent être détournées à des fins militaires ou économiques.

– Symbolisme et politique : les forces paramilitaires attaquent parfois les centres de santé pour des raisons symboliques. Ces établissements peuvent représenter l’autorité du pouvoir en place ou être perçus comme des vecteurs d’ingérence étrangère, notamment lorsque des organisations non gouvernementales (ONG) occidentales gèrent les soins. Ces attaques visent alors à affaiblir l’influence de ces acteurs ou à contester leur légitimité sur le terrain.

La tendance concernant ce type d’attaques est malheureusement en hausse ces dernières années. Selon les données du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), 475 attaques ont été recensées contre les structures et systèmes de santé en 2016, 1 013 en 2019, puis 2 406 en 2022. En 2024, ce chiffre atteint déjà 1 701 attaques, sans qu’aucun signe d’apaisement n’émerge de ces quatre conflits majeurs, pouvant laisser espérer une fin d’année plus favorable.

———————————

Télécharger la carte « Attaques sur les centres de santé en 2024 » en PDF.
Sur la même thématique