ANALYSES

FOCAC 2024 : prudence économique et partenariat asymétrique entre la Chine et l’Afrique

Interview
24 septembre 2024
Le point de vue de Émilie Laffiteau


Le Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) s’est tenu à Pékin du 4 au 6 septembre. Il a réuni près de 50 dirigeants africains autour de Xi Jinping qui a présenté sa vision de la coopération entre la Chine et le continent et fait des promesses d’engagements financiers à la hausse comparativement au dernier Sommet de 2021. Dans un contexte de ralentissement de la croissance chinoise et d’une diminution significative des financements chinois en Afrique, quels sont les enjeux économiques du FOCAC 2024 ? Comment se caractérisent les échanges commerciaux et financiers entre la Chine et l’Afrique ? Quelles annonces ont été faites lors de ce sommet ? Quelles sont les attentes et les perspectives pour les pays africains de leur collaboration économique avec la Chine ? Le point avec Émilie Laffiteau, macroéconomiste, chercheuse associée à l’IRIS.

Quelles sont les principales caractéristiques des échanges économiques entre la Chine et l’Afrique ?

La conjoncture économique de l’Afrique subsaharienne est significativement dépendante de celle de la Chine et ce constat s’est renforcé ces vingt dernières années. Selon une étude du Fond monétaire international (FMI) de 2023, une baisse d’un point du taux de croissance de la Chine entraîne une réduction de la croissance africaine d’environ 0,25. Pour les pays exportateurs de pétrole tels que l’Angola ou le Nigeria, la perte est deux fois plus élevée.

Au niveau commercial, la relation se caractérise par des échanges asymétriques et ce constat perdure. Les biens exportés par la Chine demeurent des produits manufacturés et des biens d’équipement tandis que les biens exportés par l’Afrique restent essentiellement des minéraux bruts et des produits agricoles. En outre, la Chine est actuellement le principal partenaire commercial de l’Afrique, représentant un cinquième de ses échanges totaux (chiffres de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced)) alors que le continent africain ne représente qu’environ 4 % des échanges commerciaux de la Chine. Par ailleurs, les balances commerciales bilatérales du côté africain sont toutes déficitaires (hormis celle de l’Afrique du Sud) et ces déficits se creusent année après année (au niveau régional il est passé de 47 milliards de dollars en 2022 à 63 milliards en 2023). Enfin, près de la moitié des échanges sino-africains sont concentrés sur cinq pays à savoir l’Afrique du Sud, l’Angola, la République démocratique du Congo, l’Égypte et le Ghana.

Au niveau financier, la part de la Chine parmi les créanciers n’a cessé de croitre passant de 2 % en 2005 à 17 % en 2021 (chiffres du FMI). Au niveau bilatéral, la Chine détient environ 60 % de la dette des pays africains et représente donc le premier investisseur du continent. Ce constat est cependant à nuancer car Pékin est peu, voire pas engagé dans les financements multilatéraux qui représentent une part conséquente des flux financiers vers l’Afrique, notamment souverains : la Chine ne détient que 6 % des créances de dette souveraine. Durant la décennie 2010 les financements chinois vers l’Afrique n’ont cessé de croitre accompagnant notamment le déploiement de l’ambitieux projet de Xi Jinping des « nouvelles routes de la soie ». Ils ont atteint un pic en 2016 avec 30 milliards de dollars mais ont été en net recul ensuite, chutant à moins de 5 milliards en 2023. Ces dernières années les créanciers chinois se sont montrés plus prudents, à la suite du Covid-19, du ralentissement de la croissance chinoise et de la difficulté des pays africains à honorer leur service de la dette (le Kenya doit rembourser plus de 8 milliards de dollars à la Chine). De nombreux projets ont été jugés mal pensés ou pas optimisés par Pékin. À titre d’exemples, certains projets portuaires ont été suspendus comme celui de Bagamoyo en Tanzanie en 2019 ou celui de Conakry en Guinée finalement transféré à un groupe turc en 2018. La Chine a ainsi réduit ses activités de financement en Afrique révisant ses ambitions à la baisse, recentrant ses activités vers l’énergie ou le numérique et privilégiant le financement de projets de moindre envergure.

Enfin la part des investissements directs étrangers en Afrique dans le total des flux financiers reste très faible, ne permettant pas une évolution industrielle notable par des transferts de technologies. Les prêts chinois pour construire des infrastructures sont indéniablement bénéfiques aux économies africaines mais il y a très peu d’investissements chinois de nature à réellement développer des territoires et des compétences au niveau local.

Quelles annonces ont été faites lors du dernier FOCAC ?

Le FOCAC a réuni près de 50 dirigeants africains autour de Xi Jinping à Pékin du 4 au 6 septembre 2024. Ce sommet triennal est l’occasion, notamment pour la Chine, de réaffirmer son engagement en Afrique et par-delà celui au Sud global, autour de promesses d’investissements et de partenariats ainsi que de lignes de crédits. À première vue, l’engagement de 50 pays africains lors du sommet face à la seule Chine pourrait placer le continent en position favorable pour négocier. Mais les États africains ont souvent des intérêts divergents, voire concurrents. Ils ne maîtrisent pas l’agenda du Sommet établi par Pékin et n’opèrent pas – à la différence de la Chine – avec un ensemble d’objectifs stratégiques cohérents sur une longue période. La souveraineté individuelle est préférée à l’approche commune ce qui ne permet pas d’assoir les modalités d’une collaboration bilatérale plus équilibrée.

50 milliards de dollars ont été promis par Pékin pour les trois ans à venir dont 29 milliards de prêts, 11 milliards d’aide et 10 milliards d’investissements. Soit 10 milliards supplémentaires comparativement au sommet de 2021 marquant ainsi un effort notable de la Chine vis-à-vis du continent. Montant qui peut également être comparé à celui des États-Unis qui avaient promis 55 milliards de dollars en 2022. On peut ici émettre l’hypothèse d’un alignement de la partie chinoise vis-à-vis de Washington. Toutefois si on compare ces chiffres à ceux de la décennie 2010 les ambitions ont été clairement revues à la baisse vers des projets « petits mais beaux » selon les termes du dirigeant chinois. Il convient par ailleurs d’analyser ces chiffres avec une grande précaution, le suivi des engagements n’étant pas communiqué il est impossible de vérifier si les sommes promises ont été effectivement engagées ou décaissées.

Les principales annonces se concentrent toujours autour des infrastructures et du commerce. De nouveaux projets d’investissements concernent, par ailleurs, l’énergie solaire (panneaux solaires, batteries) privilégiant ainsi la transition énergétique et une plus grande autonomie du continent. Mais là encore ces projets peuvent être jugés déséquilibrés en termes d’impact car les panneaux ou les batteries seront construits en Chine ne permettant pas à court terme de réduire le déficit commercial du continent ni d’engager des transferts de technologies ou de compétences.

Ainsi bien que les appels à une coopération renforcée dans un esprit « gagnant-gagnant » aient été nombreux lors du FOCAC 2024, certains dirigeants africains à l’instar du président sud-africain Cyril Ramaphosa ont appelé à une évolution de la structure des échanges réclamant des investissements plus stables et générateurs d’emplois sur le continent.

Quelles sont les attentes et les perspectives pour les pays africains de ses échanges avec la Chine ?

Du côté des pays africains, les attentes sont diverses, parfois peu audibles et leurs objectifs stratégiques peuvent diverger. À ce niveau, le rôle de l’Union africaine (UA) est régulièrement questionné. L’UA représente un outil stratégique pour le continent, notamment sur les sujets économiques, et de ce fait devrait permettre de mieux faire converger les stratégies de coopération entre les États africains et consolider leurs positions au sein des équilibres mondiaux. Or les résultats de l’institution dans ce domaine sont jusque-là décevants.

Certains besoins des économies africaines sont tout de même convergents. Un enjeu majeur réside dans le positionnement de l’Afrique au sein des chaines de valeur. Au sein des échanges sino-africains, la transformation, les emplois et les technologies restent en Chine et même si Xi Jinping a promis un million d’emplois à venir pour le continent, Pékin a tout intérêt à maintenir le statu quo afin de ne pas participer à l’émergence de nouveaux concurrents. Un autre enjeu porte sur la suppression des droits de douane côté chinois. Ici des annonces ont été réalisées mais les impacts semblent quasi nuls. Enfin la question de l’endettement est cruciale. Le service de la dette africaine envers la Chine explose dans un contexte mondial de taux d’intérêt élevés. Les arriérés s’accumulent et le risque de défaut est élevé.

Du point de vue chinois les enjeux restent à peu près les mêmes : l’Afrique est considérée comme une source majeure d’approvisionnement en minerais, combustibles et produits agricoles ainsi qu’un débouché pour ses produits transformés à bas coûts. L’acquisition des terres est également un objectif pour Pékin, bien qu’il s’agisse d’un accaparement selon certains. Cependant, si la sécurisation des matières premières reste une priorité pour la Chine, le contexte sécuritaire dégradé au sein du continent laisse présager d’interventions plus significatives de Pékin dans ce domaine. Sur ce point, la récente implantation de la première base militaire chinoise hors de son territoire à Djibouti peut apparaitre comme l’amorce d’un déploiement sur le continent.

Dans ce contexte le seul levier économique conséquent qui semble pouvoir jouer en faveur des Africains pour nouer des relations commerciales plus équilibrées réside dans la forte demande de minerais pour soutenir le développement des énergies renouvelables. Et ceci vaut pour la coopération de l’Afrique avec la Chine mais également avec le reste du monde.

 
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