ANALYSES

Les nouvelles technologies (IA, data centers) sont-elles compatibles avec les objectifs de durabilité environnementale ?

Tribune
18 septembre 2024
 


L’importance croissante des cryptomonnaies, de l’intelligence artificielle (IA) et des data centers dans l’économie mondiale, ainsi que leur impact sur la vie quotidienne, soulève des questions cruciales quant à leur empreinte écologique et leur durabilité. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime que ces technologies ont consommé environ 460 TWh d’électricité dans le monde en 2022, soit près de 2 % du total de la demande mondiale d’électricité. Si cette consommation peut apparaitre résiduelle aux côtés d’autres secteurs comme celui des transports, l’AIE alerte dans son rapport Electricity 2024. Analysis and forecast to 2026 sur le risque de doublement de la demande d’électricité sur les secteurs précités, d’ici 2026. Bien que les travaux de prospectives dans le secteur des nouvelles technologies (data centers, crypto-monnaies et IA) soient complexes à appréhender en raison et du rythme de leur déploiement et de leurs évolutions rapides, notamment en matière d’efficacité énergétique, le risque de voir la demande électrique augmenter, soulève un certain nombre de questions quant à la capacité des systèmes énergétiques à maintenir un équilibre offre-demande. Elle interroge également sur la manière dont cette énergie est produite et distribuée sur le territoire. En d’autres termes, ces nouvelles technologies sont-elles compatibles avec les objectifs de durabilité environnementale fixés par les Accords de Paris ?

Une demande électrique à destination des nouvelles technologies en constante augmentation d’ici 2026

L’AIE propose trois scénarii projetant la demande d’électricité pour les secteurs des data centers et de l’intelligence artificielle (IA) sur cinq ans. La consommation électrique mondiale de ces secteurs devrait se situer en 2026 entre 620 TWh pour le scénario le plus efficient et 1 050 TWh horizon pour le scénario le plus énergivore, soit l’équivalent de la consommation électrique actuelle du Japon. Le scénario intermédiaire propose quant à lui, une demande située autour de 800 TWh en 2026 – contre 460 TWh en 2019. Selon les projections, la demande augmenterait entre de 160 TWh et 590 TWh en 2026 par rapport à son niveau en 2022, ce qui équivaut à l’ajout, a minima de la consommation électrique de la Suède voire celle de l’Allemagne pour le scénario haut.

Les data centers, constituent un élément central de l’infrastructure numérique et représentent à ce titre, d’importants facteurs de croissance de la demande d’électricité. À eux seuls, ils constituent entre 1 % et 1,3 % de la consommation mondiale d’électricité, soit entre 260 et 360 TWh. Cette augmentation s’explique par la production croissante de données numériques, nécessitant de fait, une hausse de la taille des data centers permettant de stocker et traiter ces données dans des clouds. L’intégration rapide de l’IA dans la programmation logicielle dans une variété de secteurs (deep learning, cloud computing), fait croitre la demande globale en électricité des serveurs. L’entrainement des modèles d’IA, et particulièrement dans le deep learning nécessite une quantité de données importante et donc une puissance de calcul conséquente. Selon le rapport de l’AIE, les moteurs de recherche à l’instar de Google pourraient voir leur demande d’électricité décupler d’ici 2026, dans le cas de la mise en œuvre complète de l’IA. En comparant la demande moyenne en électricité moyenne d’une recherche Google typique (0,3 Wh d’électricité) aux de 9 milliards de recherches quotidiennes de requêtes ChatGPT, l’IA développée par OpenAI (2,9 Wh par requête), l’AIE évalue le supplément de consommation électrique par an à 10 TWh.

La stratégie de territorialisation des infrastructures énergétiques

Les stratégies d’expansion des multinationales de la tech passent par la territorialisation de leurs infrastructures[1]. Si les collectivités perçoivent l’arrivée de ces Géants comme une source financière importante avec de nombreux emplois à la clef, ces firmes engagent sur le long terme les ressources régionales en eau, en électricité et en composants. Dans cette perspective, certains États s’interrogent sur la robustesse de leur système électrique et émettent des restrictions à l’implantation de data centers supplémentaires sur leur territoire : c’est le cas de l’Irlande, de l’Allemagne, de Singapour, de la Chine et de certains États des États-Unis. À titre d’exemple, l’opérateur de réseau d’électricité de la ville de Londres, le National Grid Electricity Transmission a annoncé en 2022 ne plus autoriser les connexions au réseau de nouveaux data centers rendant ainsi difficile voire impossible la construction de nouveaux logements sans investir drastiquement dans le réseau électrique. Il en est de même pour la capitale irlandaise, Dublin, où l’opérateur public de transport d’électricité EirGrid a interrompu plusieurs projets de construction de data centers pour des raisons de sécurité d’approvisionnement, dont deux portés par Amazon Web Services et Microsoft. Attirés par d’importants allègements fiscaux, les projets de construction de serveurs sont nombreux : leur consommation électrique devrait représenter entre 23 et 30 % de la consommation nationale d’ici 2030 d’après les estimations d’EirGrid.

Bien qu’il soit difficile de prévoir avec précision l’évolution de la demande en stockage de données, il est désormais acté que les nouvelles technologies prendront, une place de plus en plus importante dans nos quotidiens. S’il existe des solutions pour limiter la consommation électrique de ces technologies, il faut d’abord s’interroger sur l’empreinte carbone de nos vies virtuelles et sur la manière dont nos sociétés gèrent et partagent les ressources renouvelables régionales. Des solutions reposant sur l’amélioration de l’efficience calorifique ou la décarbonisation du mix énergétique existent, mais occultent la question de la répartition équitable des ressources naturelles entre les territoires, d’une part et entre les populations et les industries, d’autre part.

 

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[1] Ophélie Coelho, Géopolitique du numérique. L’impérialisme à pas de géants. (Paris : Les Éditions ouvrières, 2023)
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