ANALYSES

France-Allemagne : « Il faut créer des bases pour se comprendre »

Presse
14 septembre 2024
Alors que l’IRIS accueille ces 19 et 20 septembre la 39e édition du Cercle stratégique franco-allemand organisé en partenariat avec la Friedrich-Ebert-Stiftung, Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l’IRIS, a répondu aux questions du bureau de Paris de la Friedrich Ebert et partagé sa vision et attentes quant au rôle de la France et de l’Allemagne dans un monde de plus en plus instable.

Vous participez au « Cercle stratégique », dialogue franco-allemand sur les questions de défense co-organisé entre la FES et l’IRIS depuis 25 ans. Avec la guerre d’agression russe en Ukraine, les exportations d’armement, l’OTAN, les deux pays n’ont jamais eu autant de défis à relever en matière de paix et de sécurité qu’aujourd’hui. Ce, alors que les relations bilatérales entre les deux pays sont très tendues. En quelques phrases, s’il vous plaît, qu’en est-il de la relation entre les deux voisins en matière de coopération pour la paix et la sécurité en Europe ?

Il est nécessaire de replacer toutes ces questions dans une perspective historique. Nos cultures stratégiques sont liées à notre histoire, et l’histoire de l’Allemagne est différente de l’histoire de la France. Il est donc assez normal qu’on pense différemment. Trouver une position commune cela demande tout simplement du dialogue, l’échange, la compréhension de l’autre. Aujourd’hui, la situation est peut-être moins pire que certains veulent la présenter. Globalement nos deux pays partagent notamment la même vision de la sécurité en Europe et du défi qui nous est posée par la Russie en Ukraine En revanche, il y’a des maladresses qui ont été commises. Cela est sans doute lié à un manque d’information et de compréhension de l’autre. Mais je ne vois pas de désaccords majeurs. Tout simplement parce qu’on a quand même les mêmes intérêts de sécurité en Europe.

Mais, il y a encore des divergences et des malentendus entre la France et l’Allemagne. Quels sont les points de divergences les plus importants, qui susciteront le plus de débats lors du prochaine Cercle stratégique franco-allemand qui se tiendra la semaine prochaine ?  

On a un sujet qui, historiquement, peut créer de la divergence. C’est la situation au Proche-Orient et notre rapport à Israël. Il faut absolument qu’on se projette dans le futur et que l’on s’interroge collectivement sur ce que l’Union européenne peut faire pour la paix au Proche-Orient. La deuxième question, c’est le rôle que les Européens doivent jouer pour assurer leur sécurité. La France, a toujours considéré qu’il fallait d’abord compter sur nous-mêmes pour nous défendre, et pas nécessairement sur les autres. L’idée selon laquelle il est nécessaire d’être autonome pour être crédible et pour peser sur la scène internationale et notamment dans la relation transatlantique persiste. Sur ce sujet, il est évident qu’avec l’Allemagne, nous avons des nuances d’appréciation. En cas de crise majeure, l’Allemagne aura davantage tendance à se tourner vers les États-Unis.  Alors finalement, ce qui nous pousse à avancer en commun, c’est lorsque les Etats-Unis eux-mêmes disent aux Européens de prendre leur sécurité en main.

Pour avoir cette autonomie stratégique nous avons besoin d’une coopération plus efficace et plus profonde en Europe mais aussi entre la France et l’Allemagne. Qu’est-ce qui doit changer pour que la France et l’Allemagne coopèrent mieux ?

Il est nécessaire d’avoir une vision politique commune, c’est extrêmement important. Puis nous avons besoin de positions qui convergent sur toutes les initiatives de l’Union européenne en matière de défense et de sécurité et en matière d’armement. Le dialogue en profondeur est nécessaire afin de permettre une compréhension réciproque et arriver à une position commune. Sur cet aspect, il y’a quelque chose qui manque aujourd’hui, qui était beaucoup plus présent dans la période qui a suivi la signature du traité de l’Elysée en 1963. Dans le passé, la jeunesse française a été formée justement en fonction de cette relation avec l’Allemagne, et il en allait de même en Allemagne vis-à-vis de la France. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui, on a souvent tendance à dire que les malentendus sont la faute de l’autre. Mais il faut créer les bases pour se comprendre et il est vrai que l’apprentissage de nos deux langues à l’école et les échanges entre nos deux pays participaient de cette création d’un destin commun. Il faut retrouver des canaux de dialogue à la base par le biais de la société civile

Vous avez parlé d’initiatives politiques, mais face aux crises politiques et économiques en France et en Allemagne, Berlin ou Paris ont-elles encore la capacité de proposer des idées innovantes pour la sécurité de l’Europe ?

Je crois qu’il est justement nécessaire de dépasser ces questions de crise politique car nos deux pays ont un poids important sur la scène de l’Union européenne et qu’il y’a des attentes fortes en matière de politique étrangère et de défense.  J’ai souvent considéré que les idées allemandes étaient très bonnes parce qu’elles venaient nuancer les idées françaises et vice-versa. Donc l’addition de l’un et de l’autre, ça peut être un plus. Il faut que nos politiques ne perdent pas de vue que les questions internationales, malgré les crises politiques en interne, sont extrêmement importantes. Il faut éviter de se replier sur nous-mêmes en ces temps de crise politique.

Y a-t-il une opportunité, avec la décision du Président Macron de nommer Michel Barnier comme Premier ministre, de développer une nouvelle vision de la France pour l’Europe ?

Michel Barnier dispose d’une certaine visibilité au niveau international, notamment du fait du rôle qu’il a eu à la Commission européenne, en tant que commissaire européen puis en tant que négociateur du Brexit. Cependant, on a un problème franco-français avec cette nomination, qui vient de la manière dont le président de la République a procédé à la suite du résultat des élections législatives anticipées. Michel Barnier peut être un Premier Ministre intéressant, car il peut permettre de ne pas avoir une majorité contre lui, et donc de faire voter des lois. Sauf qu’il se retrouve dans une situation où il va y avoir une opposition de principe, tout simplement parce que le Président n’a pas commencé par désigner Lucie Castets, la candidate du Nouveau Front Populaire, qui était arrivée en tête lors des élections. S’il avait nommé la Première Ministre issu du Nouveau Front Populaire, et que le gouvernement eut été censuré, alors c’est le nouveau front populaire qui aurait eu la responsabilité de l’échec. Or, ici, la crainte qu’on peut avoir c’est que le président de la République place Michel Barnier dans une situation intenable où seul le rassemblement national pourrait décider de la vie ou de la mort du Gouvernement. On serait à l’opposé de la logique des élections législatives où le front républicain était destiné à repousser l’extrême droite et la seule et unique responsabilité en reviendrait au Président de la république.
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